Dimanche 21 septembre 2025
Sortir du cadre
Contacts successifs #121

Une forme de disparition

Je découvre sur Instagram un street-artiste italien qui, au lieu de parsemer les murs de ses fresques ou de ses graffitis, profite de la nuit pour effacer les tags qui recouvrent les murs de Brescia. La simplicité de sa démarche à contre-courant m’interpelle. Pendant longtemps j’ai été attiré par ses inscriptions sur les murs, ces fresques sur les parois comme ces dessins au sol. Je ne vois plus aujourd’hui du même œil ces interventions urbaines qui, à quelques exceptions près (je pense notamment au collectif des colleuses ou à l’action de Zoo Project en son temps), sont devenues très policées, consensuelles, souvent soutenues par les villes elles-mêmes qui décident ainsi ce qui peut ou non figurer sur ses murs, ce qui les embellit ou les défigure. La ville est un espace de dialogue social dont l’art urbain semble malheureusement de plus en plus déconnecté. Ghost Pitùr n’est pas un artiste au sens propre mais un peintre en bâtiment. La nuit, pendant que les autres dorment, incognito, il efface les tags qui s’entremêlent sur les murs. En quelques semaines seulement, il est devenu célèbre avec ses vidéos qu’il poste sur les réseaux sociaux. Sur ces images, on le voit repeindre des murs pour laisser ensuite une feuille avec sa signature et ce simple message : Ceci est un acte d’amour urbain.

Métro aérien au-dessus de la Seine, Gare d’Austerlitz, Paris 12ème, 13 septembre 2025

Fantôme rime avec fantasme

Écrire des phrases courtes pour passer d’un point de vue à l’autre plus rapidement.
Sentiment cruel d’avoir perdu mon temps, de l’avoir utilisé à mauvais escient.
On ne sait trop d’où ça vient ni où ça va, comment ça s’est fait ni pourquoi.

Des zones de confluence

Le temps n’est pas une ligne, il se replie, se superpose. Chaque instant en contient d’autres, invisibles, persistants. Le sol garde les morts. On marche sur des ombres, on vit avec et non après. Les disparus traversent nos gestes, s’infiltrent dans nos voix. Le progrès est un mirage, demain n’existe pas, il ne reste que le présent saturé, tremblant. La terre n’oublie rien, pierres muettes plus fortes que toutes les archives. Durer n’est pas avancer mais résister, s’obstiner comme les racines qui plongent, mémoire souterraine, mousses, lichens, avec lenteur comme loi. Le temps n’est ni progrès ni déclin, mais perpétuelle métamorphose. Rien ne se perd, tout revient, tout change. La mémoire humaine éclate en fragments. Un parfum ramène un visage, un son un été, une ombre une absence. Souvenirs discontinus, générations enchevêtrées, vivants portant les morts, enfants rejouant des voix oubliées. Pas de succession, mais un maillage ancien. Le langage aussi craque de partout, il laisse passer d’autres voix. Parler du temps, c’est accepter l’instable, le mouvant, renoncer aux lignes claires. On croit qu’il faut courir, accumuler, peut-être suffit-il de s’asseoir, pour ralentir, toucher le sol, mesurer en respirations plutôt qu’en années. Le temps n’est pas capital mais matière fragile à habiter. La fin n’est qu’une recomposition. Rien ne s’arrête, tout se transforme. La ligne est mensonge, le temps un cercle. Ce qui brûle devient cendre, ce qui s’éteint perdure. Dans une étreinte brève, une génération entière, dans un souffle, le monde entier. L’intensité du présent suspend le temps. Ce n’est pas avancer mais tenir, accueillir toutes les strates, et les recommencements. La suspension n’est pas arrêt mais dilatation. Le temps n’est pas un compte à rebours.

Passage des panoramas, Paris 2ème, 9 mars 2014

Bien après les jours et les saisons

Sur France Musique, dans l’émission MAXXI Classique, Max Dozolme évoque Une voix des rues, à propos du morceau Jesus Blood Never Failed me Yet de Gavin Bryars. Je garde encore intact le souvenir de ma première écoute de cette pièce, c’était dans May B de Maguy Marin, son travail chorégraphique inspiré de Samuel Beckett, que j’ai découvert à La Coupole de Combs-la-Ville. Je l’ai ensuite écouté sur un CD qui mettait en avant ce titre avec une autre composition du musicien anglais, The Sinking of the Titanic. Pour moi, dès le début, les deux étaient liés. Jesus Blood Never Failed Me Yet de Gavin Bryars provient des bandes magnétiques inutilisées d’un documentaire du réalisateur Alan Power. En 1970, un sans-abri londonien chante ces quelques mesures : « Le sang de Jésus ne m’a jamais abandonné, c’est une chose que je sais, tout comme je sais qu’il m’aime. » Ce chant est repris ensuite par le compositeur, qui le répète en boucle. La voix juste et fragile du vieux chanteur devient le centre d’une pièce où plusieurs instruments (des cordes, une guitare, une basse électrique, des instruments à vents mais aussi un orgue et un vibraphone) viennent peu à peu l’accompagner, par vagues successives, avant de le faire disparaître sous leur masse sonore. La puissance émotionnelle de ce chant est incroyable. C’est à la fois une apparition et une disparition. La voix de l’homme met du temps à se faire entendre, mais à force de répéter son chant, son chant devient plus clair et puissant, plus assuré aussi, avant que les instruments qui l’accompagnent, dans une sorte de valse avec un temps de retard, ne viennent le faire disparaître. En 2004, j’ai réalisé un mixage à partir de témoignages de survivants du Titanic, sur une musique de Gavin Bryars, The Sinking of the Titanic. Dans une autre version, plus courte, j’ai inclus un texte lu par Denis Lavant, élaboré à partir de fragments de phrases extraites des Illuminations d’Arthur Rimbaud.

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