Dimanche 14 septembre 2025
Par-delà le temps et l’oubli
Contacts successifs #120

La pièce est à l’intérieur de la pièce

Paris garde encore les traces de la révolution automobile dont elle a été le berceau à la fin du XIXᵉ siècle. C’est à cette époque que la ville, pour accompagner l’essor de ce nouveau moyen de locomotion, a multiplié les garages urbains avec leurs ateliers, leurs équipements de lavage et leurs espaces protégés pour mettre à l’abri ces véhicules. Depuis des décennies, la place de la voiture se réduit à Paris. Le bâtiment de l’ancien garage automobile Peugeot, situé près de chez moi, rue du Faubourg Saint-Martin, n’a pas été détruit, contrairement à ce que j’imaginais en apprenant la fermeture du garage il y a de longs mois. Cette construction offre un remarquable potentiel de réutilisation. Les ouvriers y travaillent en ce moment pour la transformer plutôt que de démolir sa structure et ses murs porteurs, afin de valoriser les atouts de ses superstructures et créer de nouveaux espaces, en respectant les enjeux environnementaux de notre temps. Cela représente un véritable défi architectural. Depuis la rue, on aperçoit bien les vastes plateaux du bâtiment, sa structure d’origine rendue visible par la destruction des murs extérieurs. Au sol, des amas de gravats.

Immeuble en construction ravagé par un incendie, Rue du Charolais, Paris 12ème, 29 août 2025

Lenteurs qui sont un chemin

Il est question d’étirement, de délai, de projection, d’attente, bref de temps.
Le vent conjugué aux déplacements imperceptibles de l’ombre et de la lumière franche.
Esquiver toujours à dessein ce qui cherche à nous perdre.

Intime conviction

Le paradoxe du mot saute aux yeux : intimer, c’est projeter vers l’autre une injonction qui ne laisse aucune échappée, un ordre qui tombe, ferme, public dans son autorité. Pourtant, dans son corps même, le mot contient intime, ce qui se replie, ce qui se garde au plus secret, la zone où personne ne pénètre sans invitation. Comment se peut-il qu’une même racine nomme en même temps le geste de contraindre et le domaine le plus fragile de soi ? Peut-être parce que l’ordre le plus violent est toujours celui qui traverse l’intérieur, qui atteint la part qu’on croyait protégée. L’intimation d’un ordre n’est supportable que parce qu’elle résonne au plus intime, parce qu’elle trouve, dans le privé de la conscience, l’espace exact où s’imprimer. C’est là tout le paradoxe. Ce qui m’est imposé du dehors ne prend force qu’en se gravant dedans, dans la chambre secrète où je pensais que rien d’autre que ma voix ne pouvait entrer.

Cité Rouge, Avenue Simon Bolivar, Paris 19ème, 19 mars 2022

Faire de la joie présente la manière d’un chant

Four Shadows, le film de Larry Gottheim, se présente comme une expérience sensorielle et mentale où images et sons s’entrelacent dans un jeu de combinaisons multiples. Le spectateur est plongé dans une suite de séquences qui se répètent, se déplacent et se recontextualisent sans cesse : On voit des géomètres mesurant le terrain près de la maison du cinéaste, vus à travers une vieille fenêtre qui en déforme les silhouettes. Une famille de gibbons siamangs au zoo de Washington. Un site industriel sous la neige. Une page tournée d’un livre sur la composition de Cézanne montrant un diagramme de son tableau Mardi Gras, filmé en extérieur devant des feuilles d’automne. On entend une scène dramatique de l’opéra Pelléas et Mélisande de Debussy. Un passage du poème autobiographique The Prelude de William Wordsworth lu à chaque fois par quatre lecteurs différents. Des sons provenant d’une promenade en barque sur un lac la nuit et les vocalises des singes au zoo. Cette construction circulaire crée une impression de solennité mais aussi de liberté, comme un espace ouvert où chacun peut tisser ses propres associations. La répétition intensifie la perception et révèle de nouvelles affinités entre les éléments. L’expérience est à la fois sensorielle et méditative, traversée de thèmes universels comme la nature, le langage, la peinture, la musique. Ce qui domine, c’est la sensation d’un film qui invite moins à comprendre qu’à éprouver, à se laisser porter par ses résonances intérieures et à trouver son propre chemin dans ce flux.

Dans les archives