Dimanche 5 octobre 2025
Le sentiment d’une révélation
Contacts successifs #123

Se perdre ou se retrouver

J’ai mis du temps à accepter l’idée de la souscription pour la publication de mon livre Rien que les heures aux éditions JOU en 2026. Au départ, cela me semblait injuste de devoir solliciter mes proches, mes amis, mes connaissances, ceux qui suivent mon travail. Je trouvais gênant d’être obligé de leur demander de l’aide, comme s’il y avait dans cette demande un aspect contraignant et déplacé que je ne parvenais pas à définir avec exactitude. Qu’est-ce qui nous incite à publier un livre quand on est, comme moi, resté si longtemps dans les marges de l’édition, naviguant entre publications de livres à l’étranger (Québec, Suisse), dans des formats variés (album, affiches, cartes à jouer), oscillant entre imprimés et numériques ? Sans doute chercher à clôturer un projet numérique lancé quelques années plus tôt sur mon site, dans la forme circonscrite du livre. Avec l’idée naïve de pouvoir remettre le texte à un éditeur comme on transmet un flambeau. Mais, dès que les premiers soutiens sont arrivés, le doute s’est effacé, l’opération de souscription m’est apparue plus légitime, m’impliquant tout au long du parcours du livre, au-delà de son écriture, pour l’accompagner, avant même qu’il paraisse, et c’est ainsi que le livre a commencé à exister.

Rue de la Commune de Paris, Romainville, Seine-Saint-Denis, 17 septembre 2025

Il n’y a plus ni proximité ni distance

C’est un rêve. Je marche dans la rue. Je crois reconnaître une rue à Melun près de l’île Saint-Étienne. Dans une voiture, j’aperçois sur la banquette arrière ma grand-mère Denise qui a l’air aussi étonnée de me voir que je le suis. Je vois sa bouche former un O d’étonnement. La voiture poursuit sa course avant de s’arrêter quelques centaines de mètres plus loin. Je retrouve ma grand-mère, à la fois ému de la revoir et surpris qu’aucun de nous s’étonne de ces retrouvailles alors qu’elle est morte depuis des années, et nous nous mettons à marcher côte à côte en discutant. Mon bras droit replié contre ma poitrine, je mets du temps à me rendre compte que c’est un membre fantôme que je sens. Un moignon au bout de mon bras à la place de ma main disparue. Je ne souffre pas, la blessure est ancienne. J’ai oublié cette perte, voilà tout. Mais ce que j’ai tout d’abord pris pour mon bras est en fait un nouveau-né, bien emmitouflé dans ses langes, l’enfant à venir de ma nièce Clémence. Je ne vois que le visage du nourrisson, il a les yeux fermés, le nez retroussé. Je me réveille avec une douleur à la main. Le lendemain matin, je fais un nouveau rêve où je veux parler à ma nièce, Louise du rêve de la veille avec sa sœur et de son conseil avisé de ne pas lui en parler, c’est préférable, me dit-elle.

Tout se défait pour se recomposer

J’ai déjà fait plusieurs fois l’expérience de m’endormir au cinéma, assistant à la projection de certains films très lents, très longs et envoûtants comme les films de Tarkovsky ou de Béla Tarr. C’est une expérience métaphysique, accompagnée de sauts dans le temps et de coupures inexorable dans l’histoire, de pertes de repères, entre ce qu’on a vu du film et ce dont on rêve sur place, en continuant d’écouter la bande-son, cela apporte une dimension au film qui dépasse le film lui-même. Une autre expérience se précise, et c’est étonnant que j’en réalise seulement les impacts maintenant, alors que j’ai arrêté de regarder la télévision. Je ne regarde plus que quelques DVD empruntés à la bibliothèque. Mais il m’arrive encore parfois de regarder par curiosité un film diffusé sur une chaîne de télévision (j’allume la télévision à l’heure précise pour ne pas être contraint de supporter les couloirs de publicités, les lumières aseptisées des plateaux télé, et en règle générale, tout ce qui s’apparente à des grilles de programme). Et lorsque je me laisse tenter par le film suivant, et qu’intrigué par l’histoire je me laisse emporter par ce film, comme cela m’est souvent arrivé, dans cette attention flottante d’un visionnage nocturne, une étonnante sensation m’envahit. Tout ce qui est raconté est perçu avec une acuité différente, plus intime, un aspect personnel, voire biographique. Cette sensation est renforcée par la fatigue et la proximité de l’heure du coucher. Une façon d’emporter avec soi, dans son lit, des histoires qui se confondent avec nos propres histoires, notre quotidien, même s’il s’agit comme ce soir-là d’un film se déroulant en Corée du Sud, où je ne suis jamais allé, apparemment loin de moi. Le récit de cette jeune Française d’origine coréenne à la recherche de ses parents biologiques m’a cependant fait penser, en mode inversé, à Jiwon qui a quitté son pays pour vivre et travailler en France.

Étang de l’Or, Mauguio, Hérault, 16 février 2012

On perd tout contact avec le reste de l’univers

À la bibliothèque, nous avons un planning de nos permanences au public, et nous effectuons, à tour de rôle, des accueils dans les différents pôles (images et sons, adultes, jeunesse et accueil général). Nous avons des roulements pour le rangement pendant les heures d’ouverture où le public est plus nombreux et enfin, des plages de standard, comme nous disons entre nous. Aujourd’hui, alors que je répondais au téléphone, j’ai ressenti une drôle d’impression qu’une de mes collègues avait déjà expérimentée, et dont nous avions parlé. Un appel classique en apparence. La personne au bout du fil me pose des questions d’un air enjoué, faussement naïf. Est-ce que nous avons des livres d’Agatha Christie ? Oui, bien sûr. Est-ce que nous avons Ils étaient dix ? Je vérifie que nous avons bien un exemplaire disponible en rayon. Ses questions s’enchaînent un peu trop aisément, comme si elle suivait scrupuleusement le plan d’un questionnaire précis. Je vois que nous avons plusieurs exemplaires dans la version Dix petits nègres, mais je ne rentre pas dans les détails, pour éviter de tomber dans ce que je crois être un piège, soupçonnant qu’elle cherche à m’engouffrer dans une discussion sur la nouvelle traduction du livre et que je prenne parti pour ou contre. Elle me pose encore deux-trois questions sur les conditions d’abonnement. En raccrochant, j’ai l’impression d’avoir eté testé sur la qualité de notre service, et cela me laisse perplexe.

Dans les archives