Dimanche 25 mai 2025
Le blanc n’est même pas une couleur
Contacts successifs #104

Le mouvement nécessaire pour que les choses tiennent ensemble

Rêve brutal, aux images saccadées, dont il ne reste au réveil qu’une sensation confuse mêlant douleur et scintillement. Je descends les escaliers d’un immeuble où j’ai vécu dans mon enfance. Je descends à toute allure, en sautant trois ou quatre marches à chaque fois, le corps emporté, propulsé par l’élan, rebondissant au sol. Rien ne peut arrêter son irresistible mouvement, pas même les murs, sur lesquels il vient systématiquement cogner, avec violence, à chaque palier. Mon corps gagne de plus en plus de vitesse, d’intensité en rebondissant, comme au fond de la piscine où, d’un coup net du pied, on remonte à la surface sans avoir besoin d’autres efforts.

Tombe du réalisateur François Christophe et de sa fille, Cimetière de Montmartre, Paris 18ème, 18 mai 2025

Le terrain des opérations

Un père entre à la bibliothèque en compagnie de son fils. Son petit garçon est tout mignon. Le père, un grand gaillard, bel homme fin, brun, élégant, une barbe de trois jours. Il demande à la cantonade, en entrant dans la bibliothèque, s’il faut déposer les armes ici. Je ne comprends pas tout de suite le sens de sa phrase. Ce qu’il veut dire. Plusieurs personnes en même temps que lui entrent, d’autres sortent, difficile de saisir ce qui est en train de se passer. Je regarde son fils qui marche à ses côtés, un peu derrière lui. Je remarque très tardivement qu’il tient dans sa main droite un fusil. Il le pointe vers le sol, le long de sa jambe. Un jouet en forme de fusil, pour être précis. Le trait d’humour du père résonne de manière ironique. Mais qui achète encore aujourd’hui un fusil à son fils ?

Tenir l’abîme à distance

Pour préparer la rencontre avec Olivia Rosenthal à la bibliothèque, j’ai lu ou relu certains de ses livres. Une manière de plonger dans son œuvre, de mieux comprendre les fils qui relient ses différents livres, dans cette recherche exigeante de la forme, du fragment qui lui permet, par un récit non linéaire, d’appréhender la complexité du réel. Son utilisation de paroles recueillies, issues d’entretiens ou de témoignages. Son écriture puisant dans le réel, dans la voix des autres, et créant un espace de transmission, presque documentaire. Dans plusieurs de ses livres, par exemple, elle intègre des voix réelles, recueillies au fil d’entretiens, comme dans Un singe à ma fenêtre, ou bien encore On n’est pas là pour disparaître qui évoque la maladie d’Alzheimer. Son désir d’écrire un roman sans jamais vraiment y parvenir qu’en en détournant la forme, en en modifiant les contours, la définition courante, en un mot en se l’appropriant, ses ouvrages oscillant souvent entre fiction et récit. J’ai noté au fil de mes lectures ce qui pouvait entrer en résonance avec son dernier livre, Une femme sur le fil. Ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’elle place régulièrement le lecteur dans une position inconfortable, comme s’il devait travailler avec le texte. Une manière de le rendre plus actif, de l’impliquer dans un processus d’enquête, de mémoire, ou même une déconstruction de ses habitudes de lecture.

Mariage de Véronique et Damien, La Tour, La Chapelle Montlinard, Cher, 13 juillet 2019

La passion de la durée

J’ai réalisé en écrivant mon texte de l’atelier proposé par François, et je le comprends mieux en lisant celui de Caroline, que ce qui me trouble vraiment et m’émeut en même temps, ce ne sont pas d’où viennent mes parents ni l’origine des parents de leurs parents, mais qui j’étais au moment où, dans mon enfance, je ne savais pas encore qui je deviendrais, alors même que c’est à ce moment-là que tout se mettait en place, se cartographiait par rapport aux lieux, par rapport aux autres et à mes parents. Les lieux de mon enfance me le révèlent à chaque fois que j’écris sur eux (je devrais dire à partir d’eux), et d’une certaine façon sur mes parents. Le grain de sable, c’est le moment où je me suis construit (en leur absence) car mes parents me laissaient tout l’été seul avec ma sœur, dans la maison de mes grands-parents. Des souvenirs comme de nos lectures, que nous reste-t-il ? l’impératif d’y retourner au plus tôt, d’y refaire un tour. Et c’est sans doute de cette absence que vient la nostalgie de ces textes. Le soleil ce jour-là écrasait nos épaules d’un poids d’odeurs et de sons inouïs, c’était à chaque fois le même chemin. Celui qu’on empruntait le dimanche en famille pour faire le grand tour. Pas tant l’absence d’aujourd’hui, avec le temps passé, mais l’absence déjà présente dans le vécu. Le passé est un temps du présent qu’on ne comprend toujours qu’avec un temps de retard, « marqué par une image d’enfance ».

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