
Penser le présent
Dans les espaces vides du 2ᵉ étage de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, Wolfgang Tillmans présente l’exposition Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait. Conçue comme un vaste livre d’artiste, cette exposition mêle photographies, vidéos, sons, textes et objets, en exploitant librement les volumes, les murs, les tables ou les rayonnages de la bibliothèque. Loin des accrochages traditionnels, l’exposition favorise la déambulation, sans parcours imposé, jouant sur la répétition d’images, la surprise des formats et des supports. Tillmans y interroge notre époque à travers des photographies issues de moments marquants, des années 1990 à aujourd’hui, évoquant les crises, les frontières, l’amour, la coexistence. Il explore aussi les liens entre image, savoir, mémoire et transmission. À la fois intime et politique, le travail de l’artiste capte les tensions de l’histoire contemporaine tout en inventant de nouveaux modes de regard. Pensée en dialogue avec l’esprit du lieu, cette exposition marque aussi une étape dans l’histoire du Centre Pompidou, avant sa fermeture pour rénovation.
Du fond de l’incertitude
Dans la rue en contrebas de la bibliothèque, un homme crie à intervalles réguliers. Depuis l’intérieur du bâtiment, je n’arrive pas à percevoir ce qu’il dit. J’en peux plus de souffrir ! Un peu plus de lumière ! Je veux trouver mon frère ! À chaque fois qu’il pousse son cri, projeté de toutes ses forces, le corps tendu vers le ciel, tête rejetée en arrière, il se tourne vers le siège du Parti communiste. Je me demande un moment si cela peut être lié. Je ne vois pas ce qu’il veut. Il regarde régulièrement son téléphone portable comme s’il y cherchait une réponse qui ne vient pas, qui se refuse à lui. Jusqu’au début du XXᵉ siècle, on pouvait entendre le vitrier qui passait dans la rue et criait très fort, pour ceux qui avaient besoin de ses services : Vitrier, vitrier ! Mais, cet homme ne vend rien. Il reste de longues minutes à crier en vain, dans l’indifférence générale.
Le mouvement nécessaire pour que les choses tiennent ensemble chacune à sa place
En nous éloignant en train de Paris sous un ciel chargé de lourds nuages gris aux teintes sombres, apercevant derrière les vitres ruisselantes de gouttes de pluie, la forme de ces nuages se métamorphose progressivement. Ils s’éclaircissent tout d’abord, puis se trouent et finissent par s’effilocher jusqu’à laisser transparaître, par petits bouts, le bleu du ciel. Sur la vitre opposée du wagon, l’injonction publicitaire « laissez-nous rêver » se transforme alors en promesse. L’ombre formée par la trace d’une usure de revêtement anti-UV de la vitre, se reflète sur le livre que je suis en train de lire, au niveau du titre d’un nouveau chapitre : lumineux. Ce qu’on remarque d’abord en arrivant à La Ciotat, c’est la chaleur et dans cette chaleur, les bruits qu’elle accentue. Les cigales assourdissantes, le vent dans les arbres et les lointains moteurs d’avion. Après un long moment passé à l’intérieur de la Villa Deroze, on continue à percevoir le bruit régulier des cigales à l’extérieur, mais on s’y habitue, sans se rendre compte qu’il est atténué par les murs et les fenêtres, au point de le confondre avec le bruit du moteur du frigidaire.
La promesse n’est pas une révélation, c’est une reconnaissance
Les premiers jours de résidence passés à la Villa Deroze avec Caroline, nous cherchons nos marques, nos repères. Nous aménageons ensemble notre espace de travail dans ce qui sera aussi, tout le mois d’août, notre lieu de vie, que nous partagerons avec (Denis Cartet, les quinze premiers jours et Jimon Lee pour la fin du mois. Et si le chant des cigales, l’odeur des épines de pin, sous le soleil estival, rappellent les vacances, nous gardons en tête que nous sommes là pour travailler sur un projet commun d’écriture. En descendant en ville, le trajet nous le rappelle à son tour. Nous errons sans trouver tout de suite notre chemin. La difficulté des premiers jours ne peut disparaître sans préparation. Sans tout prévoir, il est nécessaire de baliser, au jour le jour, les grandes lignes de ce que nous souhaitons faire. Les temps de travail et les temps de pause. Les temps de lecture et les temps de recherche. Et les promenades pour se ressourcer et réfléchir aux textes en cours d’écriture, dans le mouvement de la marche. Nous sommes arrivés sur place avec une soixantaine de pages écrites de nos différents récits. Nous devons retravailler ces textes chacun de notre côté, puis les relire ensemble, en discuter, les remanier, puis écrire une série de textes qui s’inscrivent entre nos différents récits. Comme je l’ai précisé da la note d’intention de notre projet de résidence sur le site de La Marelle : « Écrire à deux, c’est engager un dialogue permanent. »