Quand je me promène avec mes parents, anciens habitants du 12ème arrondissement, où ils s’y sont rencontrés, mariés, ma mère y est née, y a vécu toute sa jeunesse, rue Beccaria, avant de partir vivre en banlieue, j’aime les entendre décrire à chaque coin de rue ce qu’il y avait avant, à la place de telle échoppe, dans cet immeuble, à l’angle de ce carrefour, et de s’étonner que des enseignes traversent le temps, et figurent encore en bonne place, alors qu’eux-même ont quitté ce quartier depuis plus de cinquante ans.
Le souvenir d’une ville dans laquelle on ne vit plus depuis longtemps, se concentre sur sa nomenclature, le nom d’une rue, le titre d’un commerce, l’histoire d’une enseigne, le souvenir d’un ancien voisin, des noms localisés à des endroits précis, comme des repères sur une carte.
Lorsque j’ai cette photographie de Robert Doisneau, qui porte le nom de ce café qui a récemment été détruit, je me suis souvenu de ce passage de Nana, d’Émile Zola.
« Dans la rue des Martyrs, Nana sentit encore grandir sa rancune. Bien sûr, elle n’allait pas courir après Satin ; une jolie ordure, pour y mettre le nez ! Mais sa soirée se trouvait gâtée, et elle remonta lentement vers Montmartre, enragée surtout contre madame Robert. Celle-là, par exemple, avait un fameux toupet, de faire la femme distinguée ; oui, distinguée dans le coin aux épluchures ! À présent,elle était certaine de l’avoir rencontrée au Papillon, un infect bastringue de la rue des Poissonniers, où des hommes la levaient pour trente sous. Et ça empaumait des chefs de bureau par des airs modestes, et ça refusait des soupers auxquels on lui faisait l’honneur de l’inviter, l’histoire de se poser en vertu ! C’était toujours ces bégueules-là qui s’en donnaient à crever, dans des trous ignobles que personne ne connaissait. »
On en trouve encore quelques traces sur Internet, dans ces bases de données qui collectent et relient automatiquement entre elles toutes les informations thématiques, par le biais d’un algorithme, processus et formules informatiques convertissant nos questions en réponses. Le « Café Au Papillon » localisé au 74 rue Doudeauville à Paris, dans le 18ème arrondissement, existe toujours dans cette base de donnée qui n’est en fait qu’une vaste carte. Comme sur le plan d’images à 360 degrés qu’est Street View, le café existe encore, en tout cas lorsque l’on vient du Boulevard Barbès.
D’un autre côté, ils s’est déjà transformé en fleuriste, pardon, signe des temps, en un Atelier Floral. D’août 2008 à juin 2012. La carte est évolue dans le temps, instable, sauts dans l’espace mais surtout rebonds intempestifs.
Depuis quelques mois déjà, le nouvel immeuble au coin de la rue Doudeauville et de la rue des Poissonniers. En son rez-de-chaussée, le fleuriste Anthony Gore et un marchand de chaussures, au nom opportun : Adéquat.
Le quartier de la Goutte d’Or a énormément changé en un siècle.
Au moment de la Révolution industrielle, le quartier s’est transformé brutalement, la construction du Chemin de fer de la Gare du Nord a entrainé l’arrivée massive de main d’œuvres tout d’abord française puis étrangère par la suite. Depuis le quartier s’est forgé au gré des vagues successives d’immigration.
D’abord des immigrants des provinces françaises au XIXème siècle, puis venus de Belgique, Italie, Pologne et Russie et surtout à partir de 1920, d’Afrique du Nord (la population maghrébine va se renforcer continuellement jusqu’aux années 1960). Ce qui explique pourquoi le quartier accueille la population immigrée la plus nombreuse.
Les travaux de reconstruction et de réhabilitation du quartier tentent de conserver l’aspect traditionnel du quartier, le profil de ses bâtisses et le tracé de ses rues. Pendant des années, cet angle de la rue Doudeauvile et de la rue des Poissonniers, où se trouvait le café Au Papillon, a toujours été à la recherche de sa forme, en cours perpétuel de changement, ne parvenant pas à se fixer, à se poser dans une forme définitive, comme s’il cherchait à trouver sa place adéquat, son équilibre, ses marques, son harmonie, telles les pièces d’un puzzle difficiles à agencer.
Papillon était le patronyme d’un serveur du Café du Cadran à Paris, dans les années trente. L’établissement était le lieu de rendez-vous de nombreux journalistes. Toujours pressés, ses clients, hélaient sans cesse le garçon de café par son nom : « Papillon, Papillon... » Le serveur débordé répondait : « Minute, j’arrive ! »
L’association de l’appel et de la réponse a donné naissance à l’expression minute papillon pour indiquer à une personne pressée qu’elle doit prendre son temps.