Une série de douze ateliers d’écriture durant le premier semestre 2011/2012 des étudiants en deuxième année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’un récit numérique géolocalisé à partir des images de Google Street View sur Google Documents et sur le blog Le tour du jour en 80 mondes.
Google Street View est un révélateur de notre expérience du monde, et en particulier, de la paradoxale tension entre notre indifférence quotidienne aux choses qui nous entourent et notre incessante recherche de connexion et d’interaction. C’est l’occasion de porter sur Google et le monde qu’il dessine, un nécessaire regard critique, une analyse de la représentation du monde que nous proposent Google Maps, Google earth et Google Street View.
Textes des participants en 2013 :
Là-bas, contrairement à la majorité des ports, aucun cri d’oiseaux. En l’absence du bruit du ressac, on peut même se demander si l’on se situe bien dans un port.
Si Las Vegas fut construite sur un désert, c’est sur la banquise que se dresse Lyronnah. Pour se protéger du vent glacial la ville est entourée de hauts murs, formant une étoile, tout autour de celle-ci.
Il est 5h58 quand le soleil se lève sur l’immense ville de Dabiab.
Ô voyageur averti, à Mylegèle tu prendras garde de ne fixer en aucun cas ton attention sur un monument extravagant, une curiosité décalée et encore moins sur un passant attirant.
Yasbic était une ville redoutée. On racontait qu’une fois entré à Yasbic, il était impossible d’en sortir.
La première chose qui frappait le voyageur égaré lorsqu’il arrivait à Meltar, c’était l’absence de couleurs.
Tout juste arrivé à l’aéroport d’Oryana, il me tarde de découvrir cette ville dont j’ai tant rêvé pendant toutes ces années.
Je m’avance tranquillement dans la petite ruelle à la sortie de mon hôtel, j’ai pu lire sur ma carte française que je me trouvais faubourg Boral.
L’été n’était pas encore là que déjà, le soleil nimbait les murs de couleurs dorées, et les petits vieux sortaient leurs chaises sur le pas de leur porte, pour profiter des derniers rayons.
Ce matin là, c’est le bruit qui le réveilla. Lorsqu’il leva la tête vers le plafond du gymnase troué par les obus, il ne vit pas la lumière.
Si un jour vous souhaitez vous rendre à Wolenn, il faudra vous préparer à un long voyage.
Navidad, située entre la mer et la montagne, représente une richesse naturelle face à une pauvreté humaine.
Alerray surgit d’un coup, au bout d’une route courant sur une campagne vallonnée et parsemée de forêts.
Stop. Pause. Répit, enfin. Tageah, ville en trêve, Tageah, ville en grève. Le tic-tac de l’horloge se retire et un monde glacé se dresse devant vous.
La ville de Baniost est réputée pour ses grands immeubles gris aux façades délabrées.
Le voyage a été rude, mais me voici arrivé à Mawili. à vrai dire, je ne sais pas encore quoi en penser. J’ai d’abord été saisi par les contrastes qu’offrent cette ville.
Le temps semble s’être arrêté il y a quelques millénaires dans cette bourgade nichée au creux d’une vallée alpestre.
Textes des participants en 2012 :
Les textes des participants en 2011 sont disponibles sur le site du Tour du jour en 80 mondes, entre Un été à Bois-Denet ! et Vierrie jolie.
Les villes invisibles :
« Marco Polo, de retour à Venise, dictera à son compagnon de prison ses souvenirs de son long voyage jusqu’en Chine. A l’inverse, dans les Villes invisibles, il raconte à Kubilaï khan l’Europe et ses villes. Mais des villes anachroniques, celles de notre Europe contemporaine, villes fantasmées et aux multiples formes. L’atlas qui se construit ainsi, est en fonction de ce que le Grand Khan imagine et contient également les cartes de terres visitées en pensée, inventées mais non encore découvertes ou fondées. »
Italo Calvino, Les villes invisibles, traduit par Jean Thibaudeau Le Seuil - Paris, 1974
« Dans Les villes invisibles, d’Italo Calvino, nous rappelle François Bon, à l’inverse de son Livre des Merveilles, Marco Polo raconte à Kubilaï Khan, le pays dont il vient. Mais ce sont les villes modernes qu’il raconte : villes verticales, villes des morts, les villes et la mémoire, les villes cachées, villes rêvées, villes fantasmées, villes au futur. Une réflexion sur ce fantasme des villes, et de les rêver chacune depuis une idée, souvent récurrente. Ainsi, les villes verticales, les villes sphériques, les villes miroir, les villes provisoires ou démontables, et comment dans chaque ville on traite les morts. »
Extraits du livre :
La ville de Foedora
Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l’on regarde dans ces boules, on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d’une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre si, pour une raison ou une autre, elle n’était devenue telle qu’aujourd’hui nous la voyons. A chaque époque il y eut quelqu’un pour, regardant Foedora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale ; mais alors même qu’il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n’était plus ce qu’elle était au début, et ce qui avait été, jusqu’à la veille, l’un de ses avenirs possibles, n’était plus désormais qu’un jouet dans une boule de verre.
Foedora, à présent, avec ce palais des boules de verre possède son musée : tous ses habitants le visitent, chacun y choisit la ville qui répond à ses désirs, il la contemple et imagine qu’il se mire dans l’étang des méduses qui aurait dû recueillir les eaux du canal (s’il n’avait été asséché), qu’il parcourt parché dans un baldaquin l’allée réservée aux éléphants (à présent interdit dans la ville), qu’il glisse le long de la spirale du minaret en colimaçon (qui ne trouva plus le terrain d’où il devait surgir).
Sur la carte de ton empire, ô Grand Khan, doivent trouver place aussi bien la grande Foedora de pierre et les petites Foedora dans leurs boules de verre. Non parce qu’elles sont toutes également réelles, mais parce que toutes ne sont que présumées. L’une rassemble ce qui est accepté comme nécessaire alors qu’il ne l’est pas encore ; les autres ce qui est imaginé comme possible et l’instant d’après ne l’est plus. »
La ville de Valdrade
Les anciens construisirent Valdrade sur les rives d’un lac avec des maisons aux vérandas entassées les unes au-dessus des autres et des rues hautes dont les parapets à balustres dominent l’eau. De sorte qu’en arrivant le voyageur voit deux villes : l’une qui s’élève au-dessus du lac et l’autre, inversée, qui y est reflétée. Il n’existe ou n’arrive rien dans l’une des Valdrade que l’autre Valdrade ne répète, car la ville fut construite de telle manière qu’en tous ses points elle soit réfléchie par son miroir, et la Valdrade qui est en bas dans l’eau contient non seulement toutes les cannelures et tous les reliefs des façades qui se dressent au-dessus du lac mais encore l’intérieur des appartements avec les plafonds et planchers, la perspective des couloirs, les glaces des armoires.
Les villes invisibles, d’après Italo Calvino.
Photographies et conception : Francesco Acerbis.
Pour cet atelier, je reprends donc les pistes lancées par François Bon, dans Tous les mots sont adultes (Fayard :
Imaginer toutes sortes de villes : des villes de gauchers, des villes tout en confiseries, des villes sans écoles, des villes où les habitants sont classés par âge, des villes transparentes ou mobiles…
Donner pour nom à la ville un prénom ou un anagramme de son propre nom.
Rédiger un texte en deux colonnes : « d’abord, on liste les villes qu’on connaît, loin ou pas, en tâchant d’en dégager la structure, la géométrie, la représentation qu’en donnerait un voyageur venu d’encore bien plus loin que nous […]. Et seconde colonne, partir des mêmes structures de texte, mais cette fois les laisser évoluer pour une ville inventée. »
L’ensemble des visuels de cet article proviennent de la série de Nicolas Baudouin : Paris Story Street View, visible en intégralité sur le site de l’artiste.