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De la nécessité d’écrire sur Internet et d’y diffuser son travail

Le service juridique de Sciences Po a récemment souhaité que les textes écrits lors des ateliers d’écriture numérique que j’anime et que je diffusais systématiquement sur mon site depuis trois ans, ne soient plus publiques, considérant que les productions des étudiants devaient rester dans le cadre scolaire et ne pouvaient être diffusées sur Internet.

Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.

Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.

J’ai longuement discuté de cette demande de ne pas diffuser les textes des ateliers en ligne avec la responsable pédagogique de l’école qui convenait avec moi de la spécificité de l’écriture numérique et qui m’a demandé de lui envoyer quelques lignes justifiant la diffusion des textes écrits lors de mes ateliers. Le texte ci-dessous tente de faire le point sur cette question. Il est accompagné par les captures d’écran de mes étudiants réalisées sur Google Street View, lors de notre dernière séance de travail. L’intégralité des captures sont par ailleurs visibles sur le site Le Tour du jour en 80 mondes.



L’enjeu d’un atelier d’écriture numérique se situe précisément à l’endroit du questionnement et de l’expérimentation de l’écriture dans sa dimension numérique.

L’écriture numérique est une nouvelle lecture du monde et c’est par l’expérimentation des outils et des techniques dont on se sert pour le décrire, que l’on parvient à en interroger tous ses aspects.

Ces ateliers d’écriture numérique cherchent à donner aux étudiants les moyens d’affiner leur point de vue sur la ville à partir de Google Street View, qui, à sa manière, écrit la ville.

Le but de ces ateliers est en premier lieu de faire écrire les élèves, ils pourraient bien sûr le faire sur un traitement de texte classique, sans diffusion extérieure, mais il me semble que cela serait négliger la dimension spécifiquement numérique de l’écrit convoquée dans ces ateliers : une écriture créative, fragmentée, poreuse aux autres médias (photos, vidéos, sons), redistribuant les rôles entre auteur et lecteur, remettant en cause par là même le statut sacré de l’auteur, prenant en compte notamment le rôle de plus en plus grand de l’élaboration collective et collaborative des œuvres.

Chacune des séances est présentée sur Internet, comme j’ai l’habitude de le faire depuis longtemps, avec mise à disposition de la contrainte d’écriture, d’extraits du texte, de photographies, de liens, la présentation des ouvrages et de leurs auteurs, à partir desquelles les consignes d’écriture ont été élaborées.

Les séances sont diffusées régulièrement sur mon site liminaire.fr qui est suivi par de nombreuses personnes, manière de promouvoir la pratique artistique telle qu’elle est envisagée et soutenue par l’équipe pédagogique de Sciences Po et de permettre à d’autres auteurs d’y participer s’ils le souhaitent.

Les textes écrits par les élèves lors des ateliers sont quant à eux publiés sur un blog indépendant de mon site, Le tour du jour en 80 mondes (qui est un blog consacré aux recherches et aux travaux d’artistes autour de Google Street View). Les articles sont signés par les élèves (prénom, initiale du nom), mais sans aucune mention de Sciences Po.

Il est important que les textes écrits soient publiés pour ne pas être perçus par les élèves comme de simples devoirs, ou des exercices en vases clos, mais qu’ils s’inscrivent dans une pratique artistique qui n’est pas amateur, ni du reste un loisir, mais une discipline de même importance que l’ensemble des matières qu’abordent les élèves tout au long de leur scolarité, et à laquelle on souhaite sensibiliser les élèves. Et c’est bien tout l’enjeu de ces ateliers et fier, dans ce cadre-là, d’y participer.

« Un site n’est ni un objet (textuel ou non), écrit Arnaud Maïsetti dans Sites & écritures sur Publie.net, ni un support (même numérique), mais plus justement, plus singulièrement, un processus, celui qui conduit à l’écrire, un mouvement désœuvré déplaçant ses propres perspectives à mesure qu’il se constitue – il ne sera jamais constitué que dans son mouvement propre. »

Écrire sur Internet est en effet un processus et c’est ce processus que les élèves découvrent, expérimentent, au fil des séances, en écrivant directement en ligne. Cette publication fait partie de l’atelier, elle leur permet d’avoir une appréhension globale des textes écrits individuellement par chaque étudiant suivi d’un échange, d’un dialogue et de salutaires retours sur ce qui a été écrit par les autres, et plus généralement, sachant que leurs productions sont rendues publiques et que j’accompagne ces textes pour qu’ils soient lus, commentés, leur permettre de se confronter à une écriture et à une lecture qui débordent clairement et durablement le cadre scolaire. De même lorsque nous abordons l’écriture ou la création collective (tous les élèves travaillant à l’élaboration d’un texte commun à partir de leurs textes et de ceux de leurs camarades), j’ouvre cette séance d’écriture en temps réel, à un public plus large, à d’autres auteurs notamment, pour accentuer cette confrontation avec l’écriture d’autrui (en dehors de celles des élèves qu’on finit par connaître), qui est au cœur des enjeux de l’écriture numérique.


LIMINAIRE le 02/12/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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