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Séance 161

Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.

Vous pouvez commander ce livre directement sur la boutique de Publie.net (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-534-3, distribution Hachette Livre.

Proposition d’écriture :

Décrire minutieusement les objets du quotidien, la répétition de gestes machinaux, laborieux, jusqu’à donner le vertige, dans un bric-à-brac qui multiplie pêle-mêle les structures du néant. Utiliser des phrases nominales courtes, cinglantes, pour y parvenir, des verbes à l’infinitif, ou à l’aide du pronom personnel "on". La langue, elle aussi, traduit la déshumanisation opérée par le travail et participe de la même puissance hallucinée de susciter l’illusion des choses.

Composants, Thierry Beinstingel, Fayard, 2002.

Présentation du texte :

Le monde du travail est le thème du livre de Thierry Beinstingel. Le livre retrace la vie quotidienne d’un intérimaire pendant cinq jours. Vingt chapitres se succèdent selon un ordre chronologique, du lundi matin au vendredi soir. Toujours le même scénario : les 2 heures et quart de transport à l’aller et au retour, les heures passées à travailler, les pauses cigarettes, la gamelle, les repas avec la famille, les nuits. La mission : coller des étiquettes sur des boîtes d’engrenage et de composants puis les ranger sur des étagères. L’environnement : un hangar sans chauffage et sans électricité, situé dans le pôle d’activité d’une lointaine banlieue. Une femme et deux enfants, un licenciement après 15 ans passés chez un équipementier automobile à fabriquer des tableaux de bord, des petits boulots puis l’intérim : on sait finalement peu de choses sur ce travailleur des temps modernes, pas même son nom. Une absence d’identité à l’image de l’univers dans lequel il évolue : un milieu clos, peuplé de figures anonymes, et complètement déshumanisé, où la répétition de gestes machinaux le rend étranger à son propre corps.

Pour s’évader, pour donner du sens à des gestes qui n’en ont pas, l’intérimaire trouve une échappatoire : la lecture d’un catalogue, "engrenages et composants mécaniques" utilisé pour classer les objets à étiqueter. À l’intérieur, des poulies, des engrenages, des chaînes, des courroies, des "amortisseurs de chocs, rotatifs, en acier ", des " roues libres combinées à aiguille, en acier et plastique " : les mots, même les plus insignifiants, donnent vie à ce monde d’objets inanimés, faisant de l’intérimaire un " fidèle officiant de cette religion technique ".

Ce surgissement inattendu de la beauté dans cet univers si désinvesti par l’humain fait de Composants un livre étonnant sur le pouvoir des mots, leur poésie et leur capacité à réinvestir le réel.

Extrait :

« L’alignement de boîtes blanches à l’intérieur, impeccablement rangées dans le même sens et la répétition de la mention sur une étiquette collée parfois légèrement de travers Courroies Synchroflex. Passant cinq minutes à feuilleter le registre d’inventaire et s’apercevant qu’elles sont triées par " pas " croissant, puis par longueur et nombre de dents, en dernier par largeur.

Lisant plus précisément l’étiquette des boîtes : courroies Synchroflex en Polyuréthane, pas 10mm, température d’utilisation -30°C à +80 °C, vitesse maxi 40m/s et rendement jusqu’à 98%. Longueur 780 mm, 78 dents. Largeur 32mm. Dégageant quelques éléments, constatant trois rangées de vingt boîtes chacune. Collant une étiquette sur chaque boîte et la dernière étiquette à l’endroit prévu sur le registre, non sans mal pour le retrouver parmi les douze sortes de courroies Synchroflex. Remettant toutes les boîtes dans le carton, le carton sur le diable.

Traversant à nouveau la pièce en direction des étagères. Où les mettre ? Se plaçant juste au milieu, au hasard. Les indications éclairée à la lampe torche. En bas à gauche, une petite étiquette métallique, carrée d’environ 5 cm de côté, dépassant du pied massif de l’étagère : travée D. A hauteur d’yeux, sur la tranche de la tablette grise, peint au pochoir en blanc : ligne 5. Puis, alignant les boîtes du fond vers l’avant, juste en face d’une graduation (chiffre 6), également peinte en blanc sur la tranche de l’étagère mais en plus petit format. Traversant vers le comptoir, notant D56 sur le registre en face du code barre déjà collé.

Repartant vers le centre de la pièce avec le diable et le carton vide, le balançant en direction du balai et du pot de peinture transformé en poubelle. Saisissant maintenant un autre carton plein, le portant sur le chariot, rejoignant le comptoir, ouvrant la boîte : réducteurs planétaires, rapport de 48 :1, double ou simple, masse : 0,8 kg, durée de vie 12000 h, vitesse maxi 3000 t /mn, lubrification à vie, boitier aluminium, engrenages et arbres en 12NC15 (le dernier étage en 12NC15 cémentré trempé), garantie 13 mois. Se grattant la tête.

Déjà fait des dizaines de fois. Connaissant le métier. La conscience de ce qu’il y a à ranger, cinq jours n’étant pas de trop. Le catalogue du grossiste dans la boîte en carton posée sur le comptoir : engrenages et composants mécaniques. Les pages feuilletées, chacune ornée d’une photo noir et blanc d’un objet. Au hasard, page 58 : engrenage droit à 45 dents en acier, vitesse linéaire 300 m/minutes.. Page 59 : engrenage droit moulé en Hostaform, de même dimension (En haut des deux pages, un encadrement gris clair avec effet d’ombre portant la mention ensembles de serrage, clavettes et goupilles s’y rapportant).

C’est sûr, on va perdre du temps en passant par le comptoir. La solution toujours possible d’amener les cartons près des étagères, et moins de manipulations à faire, mais la pénombre, l’obligation d’utiliser la lampe torche, tout le temps la caler ou la tenir, bref, se grever d’une main au moment du collage des étiquettes. Difficulté supplémentaire, perte de temps, autant renoncer. »

Composants, Thierry Beinstingel, Fayard, 2002.

Présentation de l’auteur :

Thierry Beistingel est né à Langres en 1958. Il vit à Saint-Dizier. Il est cadre dans les télécommunications. Il a publié en 2000 un premier roman Central, aux Editions Fayard. Il est l’auteur de Central (2000), Composants (2002) et de Paysage et portrait en pied-de-poule (2004) édités aux éditions Fayard. C.V. roman (2007). Le bestiaire domestique (2009), Retour aux mots sauvages (2010).

Liens :

Critique du livre sur le site du Matricule des Anges

Un large extrait de l’ouvrage de Thierry Beinstingel sur le site de Remue.net

Présentation de Thierry Beistingel sur le site de son éditeur Fayard

Feuilles de route : Tentative d’exposition du travail littéraire à la vue de tous


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