Une série de douze ateliers d’écriture durant le deuxième semestre des étudiants en première année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’une pièce sonore sous la forme d’un récit urbain (entre audioguide, audiolivre et dérive urbaine situationniste).
Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.
Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.
« La réalité est uniquement transmise à travers le langage, à travers l’écriture. Ce qu’il y a autour de la réalité à travers le langage est de la fiction. »
Georges Perec [1]
Le but de cet atelier est de sensibiliser les élèves à l’écriture créative et de les amener progressivement de la sensibilisation vers la création d’un texte dans sa dimension sonore. Pour cela, ils découvriront un ensemble d’auteurs contemporains utilisant le son dans leur écriture ou la diffusion de leurs textes, et ils apprendront également à créer, enregistrer et manipuler des sons, bruits de la ville ou lectures de textes écrits en cours, à élaborer le scénario d’une pièce sonore collective sous la forme d’un récit urbain (entre audioguide et dérive urbaine situationniste).
Cette deuxième séance est consacrée au livre de Virginie Gautier Les zones ignorées, publié par les éditions Le Chemin de fer, en 2010.
« Tu ne marches pas tu creuses, tournes et retournes sur ta langue des mots vieillis, retrouves au hasard des rues des endroits qui ressemblent à ceux qui t’ont amené là. Tu prends des virages à répétition comme on tourne un mot dans sa bouche jusqu’à l’user pour qu’il perde son sens, qu’il devienne étranger, vide tout à fait, écorcé de sa peau de souvenirs. »
Un homme déambule dans une ville et voit plus qu’il n’observe. Murs, maisons, rues, perspectives défilent en un long travelling visuel et sensoriel qui nous plonge au plus profond des surfaces familières de la ville, des matières, des flux mécaniques ou humains qui l’habitent. Dans ce flot incessant, un seul point de vue, celui du personnage que l’on sent à l’abandon et pour qui l’errance semble la seule attache au monde.
Le livre de Virginie Gautier est construit comme une séquence cinématographique qui suit un sans domicile fixe qui dort sous les ponts d’une route et qui remonte à la surface de la « vie » par une échelle qui mène à une voie ferrée en mouvement, en pratiquant des zooms sur certains détails urbains.
« Tu fermes les yeux, aspiré par le vide tiède que ton corps referme comme un couvercle et enflent alors les souffles, les échos, les soupirs d’une cité sous terre. Murmures tirés des fonds, pressentiment de voûtes humides, de catacombes, eaux claires des puits souterrains, silence distendu. Et enflent alors les chocs assourdis des machines, sifflements, circulation des fluides, bruit de pompe, aspiration, éjection - ce qui ne se tient plus adossé dans le jour se relie au-dessous en venelles et couloirs, enchevêtrement de câbles, de tuyaux confondus-dissociés - fuite des corps, battement des cœurs innombrables et spasmes peut-être, imprévus. Il n’y a pas de périphérie, de jour de nuit, ni d’extinction. La ville jamais ne se referme, les errements se perpétuent, les sons les signes s’articulent sans fin. Fleurs lumineuses qui clignotent, s’ouvrent ou se ferment, feux follets, braseros, sirènes, meutes, bruits de cascades, chant d’engoulevent te conduisent- tu ne leur accordes pas moins de réalité- vers un sommeil de courte durée. »
Proposition d’écriture :
Mener une réflexion sur la ville et le paysage comme expérience et mouvement. Le monde, insaisissable par essence, ne peut s’appréhender qu’à travers les surfaces familières de la ville, ses matières, les flux mécaniques ou humains qui l’habitent). Surrimpressions d’actions qui s’ignorent en créant une forme aléatoire. L’errance comme seule attache au monde. Capturer des bribes d’univers, non pour s’en emparer, mais pour les approcher, les étudier et les comprendre : "Pénétrer à l’intérieur de quelque chose que tu voudrais découvrir ou comprendre." Une réflexion sur l’être au monde écrite à la deuxième personne du singulier. Avec cette technique littéraire, dans laquelle le narrateur s’adresse au lecteur, pas de proximité entre le narrateur et le personnage, ni même de distance. C’est un entre-deux inconfortable, difficile à situer.
Textes des élèves :
[1] Georges Perec, Entretiens et conférences, vol. II, 1979-1981, Joseph K., 2003, p.250.