Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.
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Proposition d’écriture :
Écrire un témoignage fictionnel à la première personne, un texte construit à partir de diverses bribes d’informations, autour de différents témoignages sur la guerre (la vie du soldat, de son quotidien, de ses états d’âme, sur ses habitudes et sur les morts qui l’entourent), trouvés sur divers sites internet ou chaînes d’informations. Retranscrire ces paroles le plus fidèlement possible, pour qu’elles ne soient affublées d’aucun affect, d’aucun commentaire. Un terrible réquisitoire contre la guerre mise à nu par ceux qui la font.
Army, Jean-Michel Espitalier, Al Dante, 2008.
Présentation du texte :
Army est un texte composé de différents témoignages de militaires (pour la plupart revenus de la guerre d’Irak), trouvés sur divers sites internet, chaînes d’informations américaines, You Tube, etc. Ces paroles sont retranscrites le plus fidèlement possible, ne sont affublées d’aucun affect, d’aucun commentaire et elles constituent un terrible réquisitoire contre la guerre. « Quand on commence à appuyer sur la gâchette et que le tremblement du fusil mitrailleur secoue le corps tout entier, on a beaucoup de mal à s’arrêter. Tout le monde ici adore se servir de son arme. Le tremblement du fusil mitrailleur nourrit la peur en même temps qu’il l’évacue et on a l’impression que toute cette saloperie pourrait être ensevelie sous le bruit des balles, écrasée, jusqu’à se dissoudre, dans le tremblement des machines de guerre. Tout-puissant, maître du jeu. C’est effrayant. »
Extraits :
« On ne se fait jamais tout à fait à ce genre de choses.
L’horreur est une crampe. L’horreur brutale, panique, où le dégoût de vivre s’entrelace confusément à la peur de mourir. On ne peut vraiment éprouver ça qu’ici. Une peur constante, lancinante, qui paralyse tout le corps, comme un hurlement ininterrompu dans la tête. Une crampe. Lancinante, qui fait jouir et qui fait peur. On vit plus vite. L’instinct de ruse et le plaisir du jeu. A balles réelles. L’horreur qui paralyse et qui fait peur. Comme une crampe. Brutale, panique, où le dégoût de vivre s’entrelace à la peur de mourir. On ne peut vraiment éprouver ça qu’ici. Le dégoût de vivre et le plaisir du jeu. On vit plus vite. La peur qui paralyse et qui fait peur. Comme une crampe. A balles réelles. On ne peut vraiment éprouver ça qu’ici. Un hurlement ininterrompu dans la tête. Comme une crampe. On vit plus vite. L’instinct de ruse et la peur de mourir. Comme une crampe. Qui fait jouir et qui fait peur. Quand on a goûté à cet excitant-là, on ne s’en passe plus. »
« Nous ne sommes pas seuls sur le terrain. Depuis quelques temps, des rumeurs circulent sur la présence d’escadrons de la mort qui opéreraient à travers tout le pays. Ils auraient été créés par nos services, recrutés sur place parmi d’anciens membres de la police politique et un ramassis de zombies, traîne-savates et pègre locale peu regardants sur leurs employeurs, afin de terroriser les populations tentées par la résistance armée ou le soutien aux rebelles. Ils sont équipés de pick-ups et opèrent par petits groupes très mobiles, généralement de nuit. Officiellement, nous les appelons des « groupes de citoyens responsables » et le chef des armées a dit qu’ils « pourraient être temporaires depuis un long moment ». Je n’en ai personnellement jamais vus. Ils exécutent au hasard, souvent très vite, sortent les gens des maisons, leur tirent une balle dans la tête et laissent les corps bien en vue. Il s’agit de frapper les esprits. Les égorgements font partie des modes opératoires. Et les viols. »
« La peur extrême s’accompagne d’un très fort sentiment de solidarité entre tous les gars, un sentiment que je n’ai ressenti qu’au combat, comme qui dirait un instinct collectif de défense, avec l’impression de constituer un même organe biologique dont nous serions les anticorps. Nous nous retrouvons côte à côte avec des gars que nous ne connaissons pas et avec lesquels, instantanément, nous partageons une très forte intimité. Nous défendons les mêmes valeurs. Tous complices. La haine, la peur, les dents de fauve dans la tête. Dans ce genre de situation nous prenons des risques inouïs. Instinctivement. Sans héroïsme. C’est beaucoup plus que de la camaraderie. Se protéger les uns les autres d’un ennemi commun, ça n’est pas rien... Dans des moments pareils, brusquement, on ne sent plus le danger. D’ailleurs on ne sent plus rien. On fait la guerre, on court, on vide son chargeur, on est une machine. On se défonce. Ça va très vite. Comme expulsé du réel. On crie, on court, on vide son chargeur. On est une machine, on crie, on fait la guerre. On crie, ça va très vite. Je ne vois pas trop ce qui pourra remplacer ça lorsque nous serons rendus à la vie civile. »
Présentation de l’auteur :
Jean-Michel Espitallier est né en 1957. Il a fondé et dirigé la revue Java (1989-2006) avec Jacques Sivan et Vannina Maestri. Il a a publié : Ponts de frappe (Fourbis, 1995), Pièces détachées. Une anthologie de la poésie française aujourd’hui (Pocket, 2000), Gasoil : prises de guerre (Flammarion, 2000), Fantaisie bouchère (Derrière la salle de bains, 2001), Le Théorème d’Espitallier (Flammarion, 2003), En guerre (Inventaire Invention, 2004), Caisse à outils. Un panorama de la poésie française aujourd’hui (Pocket, 2006), Army (Al Dante, 2008).
Liens :
Un article de Guénaël Boutouillet sur Remue.net
Présentation du livre sur Libr-Critique