Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.
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Proposition d’écriture :
Le monologue est un type de dialogue qui se caractérise par la présence d’une tirade plus ou moins longue prononcée par un personnage qui est seul en scène. Un seul personnage, pas d’action, un long monologue de caractère assez rhapsodique, pour ne pas dire décousu. Un homme parle, dérisoire et pathétique tentative de rencontrer l’autre, l’autre voix... Je refuse de mourir dans un monde en ruines. Telle pourrait être la première phrase de ce monologue. Comment vivre dans un monde d’inflation verbale qui nous gave de savoir, d’information, mais nous prive littéralement de sens ?
Le retour de Sade, Bernard Noël, Léo Scheer, Collection Lignes & Manifeste, 2004.
Présentation du texte :
Une autorité religieuse, nous dit Bernard Noël, la plus haute bien sûr, réclame le retour de Sade. Rien de plus simple : il suffit de téléphoner à Madame d’Avila, qui récupérera la tête autrefois dérobée à l’illustre défunt et la déposera sur sa tombe. La résurrection ensuite va de soi et elle développe un tel naturel que le mort se conduit comme un vivant parmi les vivants sans provoquer chez eux aucun soupçon. Les problèmes viendront d’ailleurs le mort vivant se prend toujours pour un auteur scandaleux alors que les vivants-vivants s’amusent de ses livres comme d’énormes bouffonneries. Mais c’est oublier qu’en faisant rire du pouvoir, les bouffons en préparent la chute, et que celle-ci peut les conduire à prendre la place des papes, des rois, des présidents... ou même d’un dieu. " Le premier roman de Bernard Noël, "Le Château de Cène", lui a valu un procès pour outrage aux moeurs. Ce procès a été le départ d’une réflexion sur la censure, celle qui nous prive de parole et nous prive de sens. « La censure bâillonne, écrit Bernard Noël, elle réduit au silence. Mais elle ne violente pas la langue... Le libéralisme fonde son pouvoir sur l’absence de Censure, mais il a recours à l’abus de langage. Le discours qui étalonne la valeur des mots, le vide en fait de sens - d’où une inflation verbale qui ruine la communication à l’intérieur de la collectivité et par là-même la censure... Il faut créer le mot de Sensure, qui par rapport à Censure indique la privation de sens et non de parole... Et le culte de l’information raffine encore cette privation en ayant l’air de nous gaver de savoir. » Bernard Noël ressuscite donc le divin marquis de Sade. Sainte Thérèse d’Avila, Jésus Christ, un homme hibou, un ministre de la lecture nommé Johnny et une papesse sont de la partie. Dans cette pièce il est question du bien et du mal, de justice et de purification. Sade est un mort-vivant qui se prend toujours pour un auteur scandaleux alors que les vivants-vivants s’amusent de ses livres comme d’énormes bouffonneries. « Il faut dire que dans une époque où l’on déclare la paix quand on part en guerre, les tours de passe passe sont monnaie courante. » Dans son roman Le Syndrome de Gramsci publié en 1994 chez P.O.L., Bernard Noël met en avant la forme du monologue. "Le Syndrome, comme le rappelle Charles Tordjman, le metteur en scène de ce texte programmé dans le cadre de la sélection officielle du Festival d’Avignon 1998, n’est donc pas un texte qui se donne d’emblée au théâtre. Sauf à considérer qu’un homme qui décide de parler de la consistance d’un instant est dans la quête de l’instant de théâtre ; dans ce qui relie, comme un élan vital, celui qui parle à celui qui est venu écouter. « Dans le monologue, dit Bernard Noël, on a le sentiment d’une espèce de spirale qui s’établit et qui tourne à la fois à l’intérieur du personnage et à l’extérieur, la spirale n’enferme rien, elle vrille l’espace, mais elle laisse l’espace à l’intérieur et à l’extérieur. Ils s’adressent à quelqu’un. C’est une forme circulaire et tournante. Le cercle en tournant produit cette espèce de ligne qui n’enferme pas le personnage. C’est à la fois le vide et le plein. »
Extrait :
Scène 7. – Sade seul.
« … Quelque part une bouche de terre a faim de moi. Elle m’a pourtant craché avec naturel. Et déjà, c’était la vie. J’ai marché, j’ai parlé, j’ai vu. Un vivant ne pense pas qu’il est vivant. Je ne l’ai pas pensé. C’est une preuve. L’inconscience des vivants est la preuve qu’ils sont en vie. Il ne faut pas se retourner. Ceux qui le font n’en reviennent pas. (Il rit.) La soirée fut pleine d’imprévu : une sainte, une papesse, un ministre… et ce spectre ! Impossible qu’il ait eu un droit de retour. Le monde a toujours été très métissé. Ce ministre : un gigolo qui a de grands appétits. Trop de bâtards partout. Sait-on qui ne l’est pas ? Celui-là m’enrôle dans la vie sans me laisser souffler. J’ai l’avantage de voir tomber ses cartes et de garder les miennes. Je peux même faire le mort. (Il rit.) Non, je ne dois pas jouer avec ça, sauf pour rire ou pour faire peur. Séduire ? On ne séduit pas en faisant le mort ! Il ne s’agit plus d’être ou de n’être pas. Ne suis-je pas le seul à pouvoir me frapper la poitrine en criant : ceci est mon corps et ceci est également mon cadavre ! C’est ainsi que je peux être moi et ne pas l’être. Mais le gigolo a raison : la résurrection, cela ne se voit pas. Le cadavre sort du corps, le corps s’éjecte du cadavre, et cette réciprocité installe entre eux une troisième personne. Bilan : je suis la trinité ! Le Père est devenu une Mère. L’esprit fait de l’œil dans la fente. Le Fils… Mais pourquoi pas ? Je peux faire comme lui et me proclamer le Fils. Un peu d’obstination dissoudra les doutes. Très peu naissent roi, mais tous naissent fils, le seul problème est de bien choisir son père. Être un fils ou n’être pas un fils, voilà une bonne question, et parfaitement absurde comme tout ce qui relève du sens de la vie… Quelqu’un, dirait-on, marche sur mes pas. Non, je ne me retournerai pas ! C’est mon ombre qui m’a rejoint. Elle plie sous le poids de mes livres. Allons (il crie) lâche tous ces mots, qu’ils s’envolent par milliers de milliers, et qu’à leur tour ils lâchent leurs lettres, par millions, et que chacune aille à chacun comme une hostie (il hésite), comme une envie de foutre ! Cela vous prend sans mots, mais cela gagne à s’épicer de mots. J’entends une espèce de grand silence de ce côté. Ma chair est silencieuse. Il y a un vide par là, un peu d’air noir. La sainteté me guette. C’est un état qui vous contamine par en bas. Ne pas être est le commencement de la vertu chez l’organe, être le prédispose au contraire à la domination. J’aurais dû demander à Thérèse s’il lui en restait un petit quelque chose. Pas bégueule, Thérèse, mais avec en elle un balcon sur l’abîme. Lui arrive-t-il d’avoir le vertige ? J’aime le vertige de la lame qui pénètre en même temps que le sexe, et la fente fraîche jette sa parole de sang. Des mots ! De pauvres mots encore ! Où suis-je ? Je me moque de savoir où se trouve ici mais je voudrais savoir où est mon moi. J’ai vu le regard de Thérèse me regarder : il ne doutait pas de mon identité, il doutait de mon être. Qu’importe ce que je suis, j’ai la liberté d’être ce que je veux. Ils m’ont enfin laissé seul : ils pensent que ma tête bourdonne des projets qu’y jeta le gigolo. Arrivera ce qui arrivera. Planifier, c’est gâcher la chance. Cela n’interdit pas de préparer des adjuvants. Autrefois, quelques bonbons à la cantharide faisaient l’affaire. Je me racontais des histoires. Je les vivais à la diable. Je ne savais pas encore combien il est plaisant de les outrer en les imaginant. Un porte-plume est toujours raide. Ils m’ont laissé tout seul pour que je dévisage la chance qu’ils m’offrent et que j’en tombe amoureux. Thérèse aurait dû leur dire que la tragédie n’a aucun sens pour un revenant. Et que la comédie dans son cas est un pléonasme. Comment un revenant pourrait-il tomber de l’exaltation dans le sanglot alors qu’il n’a plus rien à perdre ? Ils ne se doutent même pas que j’hésite à palper mon visage pour savoir jusqu’à quel point j’existe. Certes, je pense, et je devrais donc en conclure que je suis, mais si je ne sens pas que je suis à quoi bon être assuré que je pense ? Il semblerait que le vivant, chez moi, l’ait définitivement emporté. C’est ce qu’on m’a suggéré en misant sur mon ambition, mais pourquoi ne serait-ce pas un piège ? Ce qui me rassure, c’est que je n’ai plus la moindre ambition, mais je voudrais une revanche. Ou plutôt, je voudrais – tant pis la chose était déjà risible de mon temps – je voudrais une sorte de justice. Celle qui passe toujours à côté de ceux qui la désirent sans les voir. La pute pour riches. Je ne lui en veux pas d’être ce qu’elle est, je souhaiterais simplement qu’elle ne se cache plus sous ce qu’elle n’est pas. Je souhaite qu’elle se flatte d’être partiale, qu’elle se targue d’ajouter à la misère, qu’elle se félicite du crime parce qu’il est charmant. Les victimes doivent leur place à la bêtise et à la soumission. La servilité générale doit être entretenue par une oppression qui la récompense. J’ai dit cela crûment et l’on m’a condamné au lieu de me reconnaître. Je suis le martyr inconnu du vocabulaire pour avoir tenté de remettre une petite dose de littéralité, c’est-à-dire de justesse, dans la dénomination. Cela mettait en rage mes contemporains, qui se sentaient démasqués ; cela fait rire aujourd’hui les vivants si bien qu’ils en redemandent. Sa Sainteté souhaite peut-être uniquement que je la distraie. L’Autre veut profiter de cette distraction pour fomenter une révolution. Quant à Thérèse, il se pourrait qu’elle veuille les confondre tous pour purifier ce monde. Ils m’ont laissé seul dans l’espoir que l’imagination forniquerait suffisamment avec le destin pour m’engrosser d’un désir qui servira leurs plans. Mon désir est aussi flasque que ma chair fatiguée, triste constat. Quelque chose n’a pas de sens. C’est la vie, bien sûr, à moins que tout à coup elle n’en ait trop. Mais cela revient au même, et j’en ris. Eh oui, je meurs de rire (il rit longuement). D’où vient cette bizarre expression ? Mourir de rire me projette au sommet de moi et, là-haut perché, je soulève la nuit et sa poussière afin d’apercevoir sous cette sacrée soutane le triangle papal avec sa bordure de cuisses et l’œil qui valide l’origine du monde… Son rire monte jusqu’au hurlement, puis devient tonnerre mêlé d’éclairs, puis musique céleste… »
Le retour de Sade, Bernard Noël, Léo Scheer, Collection Lignes & Manifeste, 2004.
Présentation de l’auteur :
Bernard Noël est né en 1930 dans l’Aveyron. Poète, romancier, dramaturge, essayiste, critique d’art, Bernard Noël est un écrivain polypraphe qui a beaucoup publié. Ses œuvres les plus récentes sont Le Syndrome de Gramsci (P.O.L), L’espace du désir (L’écarlate), La Maladie de la chair (Ombres), Le roman d’Adam et Eve (Stock), La castration mentale (P.O.L), Site transitoire (Editions du Scorff), L’espace du poème (P.O.L), La Langue d’Anna (P.O.L), Le tu et le silence (Fata Morgana), Les états du corps (Fata Morgana).
Bernard Noël a écrit pour le théâtre La Reconstitution, créée à la scène par Charles Tordjman. Leur collaboration s’est poursuivie avec La nuit des rois, Adam et Eve, Le Syndrome de Gramsci et désormais Le retour de Sade. Charles Tordjman a également mis en lecture deux de ces récits La maladie de la chair et La langue d’Anna.
Liens :
Entretien avec Bernard Noël réalisé par Lionel Tran
Bernard Noël sur le site de Remue.net
Interview de Bernard Noël par Dominique Sampiero publiée dans "Le Matricule des Anges" n°8