Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.
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Proposition d’écriture :
Écrire un poème dans une langue alerte, le flot d’une parole qui s’écoule dans un flux continu (jeux de mots, mots-valises, paraphrases, allitérations, musicalité des vers). Aux mots hétéroclites qui se télescopent parfois dans leurs énonciations, aux visions entrevues dans notre vie, se mêlent des souvenirs aux saveurs intimes. Coulées de mots succédant aux mots, visions persistantes se substituant à des images bien réelles. Cette langue trace des frontières dans ce territoire où l’on ne sait plus ce qui est nôtre et ce qui est collectif. Baignant dans cette mémoire collective ordinaire : rime de chansons, noms de feuilletons télévisés, titres de journaux ou images publicitaire qui nous sont familiers.
Cette vie est la nôtre, Benoît Conort, Champ Vallon, 2001.
Présentation du texte :
On écoute à la radio des chansons lardées de publicités. Le soir, désœuvré, on zappe de feuilletons en téléfilms. Le matin, on achète le journal avec ses faits divers, ses photos chocs, ses mots gluants de consensus mou. Tout cela fait un conglomérat, la novlangue de notre temps ; elle saoule à peu de frais, détourne la pensée, nous pousse à "dépenser" pour les désirs artificiels.
Alors peu à peu on pense par colère, peu a peu on crie pour ne pas succomber aux sables mouvants du langage médiatique. Toute cette masse verbale qui nous submerge, on la détourne dans des poèmes qui ne peuvent plus ressembler à des poèmes ; taillant dedans tous ces mots ordinaires, quotidiens, qui nous composent, que nous le voulions ou non, on dessine quelque chose comme le fantôme d’une vie minuscule, une ombre qui demeure notre proie désirée, pour que cette vie, qui est la nôtre, résonne encore longtemps après qu’on a éteint la radio, débranché la télévision, refermé le journal.
Extrait :
1
poasis poasis chante le fils de la psy
ça gueule fort sur l’écran le vers vitaminé l’évian de l’enthousiasme
poasis poasis et des nixes nicettes au ventre plus plat qu’une chanson de sheila
se gondolent sous la douche se ripolinent le dos au rythme effréné de gym tonic haut bas haut seins fesses seins il faut que les yeux cliquent que le cœur s’arrête que ça bondisse que ça bouge
poasis poasis je veux de la poasis comme qui de l’eau dans un désert joli
un palmier vert un petit lac et que ça gicle dans le poème que ça mouille
la poasis est dans le sac l’affaire rondement menée
n est plus léger après la digestion même parmi les huiles même chez les filles
de madame claude close ouverte close elle rit de lire là le désir le vénal le seul qu’on peut se payer et en avoir
pour son argent et pour le reste
quand on va voir les petites femmes à pigalle ou d’amsterdam d’ailleurs encore plus impressionnantes qu’on n’imagine
si l’on en croit les journaux bouffées de chaleurs
printanières mais si reposantes rengaines de fin d’été
2
but crient-ils et c’est vrai que dans le salon ça crie à qui mieux mieux ça se congratule ça meuble tout l’espace
de poser ainsi le but en objectif comme ce qui gigote devant le photographe ces tas de chairs habillées fagotées qui voudraient bien mais n’osent pas
demain elle enlève le bas
et elle pleure beaucoup comme quand la mama est morte ou quand au bois de fausse repose il l’a prise entre deux coquelicots en forçant justement mais un peu seulement son petit coquelicot
bien sûr il y a les jours de la semaine aussi le travail ordinaire
mais est-ce qu’on vit pour ça est-ce qu’on peut continuer comme ça les souvenirs des parents ne sont pas ceux des enfants quand on a dix-sept ans et tant de lampadaires sur les trottoirs de la cité à disputer aux chiens
on descend dans les caves les sous-sols c’est plus frais l’été quand la chaleur devient étouffante et qu’on ne sait plus très bien de quelle colère se saisir
de ne pouvoir jamais oser on aimerait être tous ensemble mais c’est dur les lendemains de fête déchantent
la gueule boit avant d’être de bois on le sait bien au débotté du lit ce sont les déboires surtout qui reviennent à pleine vitesse
on n’y croit plus beaucoup alors à toutes ces chansons sirupeuses à ces paroles acidulées on n’y croit plus
comment faire autrement
3
la vie sans toi je sais pas ce soir le bal a mal commencé on a entendu dans la rue des enfants traînent leur ennui ils aiment casser du bois et faire un feu il faut apprendre les choses naturelles entre un homme et une femme et la vie sans toi ni jules ou jim je ne sais pas très bien où j’en suis sûr c’est pas tous les jours qu’on aime à perdre la tête les mains tremblantes la raison il y a longtemps qu’elle a fait long feu pétard mouillé ramassé au fond d’un caniveau on se rassemble autour dans une cave on partage jusqu’au corps plus loin ça fait trop mal c’est dangereux rester à la surface
Cette vie est la nôtre, Benoît Conort, Champ Vallon, 2001.
Auteur :
Né le 1er janvier 1956 à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). il a enseigné dans différents pays étrangers de 1981 à 1992 (Sri Lanka, Pologne, Portugal). Voyages également, en Inde, au Népal, en Thaïlande, au Japon. Benoît Conort, écrivain, enseigne le français langue étrangère à l’université Paris X. Il est membre du comité de rédaction de la revue Nouveau Recueil. Il fait partie avec Claude Ber, Jean-Michel Maulpoix, Laurent Flieder, François Bon et Patrick Souchon de l’équipe fondatrice de Carrefour des écritures. Publications : Pour une île à venir, éditions Gallimard (1988). Au-delà des cercles, éditions Gallimard (1992). Main de nuit, Champ Vallon (1998). Cette vie est la nôtre, Champ Vallon (2001). Pierre-Jean Jouve : Mourir en poésie. La mort dans l’œuvre poétique de Pierre-Jean Jouve, Septentrion (2002). Écrire dans le noir, Champ Vallon (2006).
Liens :
Larges extraits de l’ouvrage sur Google Books
Poèmes de Benoît Conort sur le site de Jean-Michel Maulpoix Revue Nouveau Recueil
Article sur Ecrire dans le noir par Richard Blin dans la revue Le Matricule des Anges Si verset il y a, un article de Benoît Conort