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Cinquière séance : 12 juin 2010

J’ai écrit le jour même de l’atelier un compte-rendu en image diffusé sur le blog de la librairie Litote en tête et dis que nous étions quinze à suivre cet atelier le long du canal Saint-Martin, en fait nous étions dix-huit, en comptant trois amies blogueuses qui ont joué le jeu, en travaillant sur les quelques pistes suivies lors de l’atelier sur place à Paris, mais en écrivant en duplex (comme on dit en télévision) et parfois en léger différé (léger car chacune m’a envoyé son texte avant les participants parisiens à l’atelier).

Quand j’ai lancé il y a six ans les ateliers d’écriture en ligne sur Marelle : Zone d’Activités Poétiques, les habitués des ateliers d’écriture disaient : mais personne n’écrira ainsi en ligne, à distance, sans le soutien, l’aide de l’animateur de l’atelier. C’était faux. Bien sûr, ces blogueuses ont déjà une habitude et un goût prononcé pour ces exercices, et leur pratique passionnée du blog et de l’écrit au quotidien ouvre toutes les portes. Mais quand même j’ai été très étonné par la richesse et la variété de toutes ces propositions, avec tous les échos et les correspondances que j’entends entre tous ces textes écrits au fil de l’eau...

Voici, en quelques lignes, les pistes de travail de ces ateliers :

Un paysage qui nous est familier, que l’on observe tranquillement depuis chez soi, un jardin, une cour, une place. Parvenir à l’expression la plus brève et la plus tendue pour décrire cet endroit, ce qui passe entre le dehors et ce qui nous est intérieur. Non pas l’état premier de la sensation, mais l’aboutissement de notre expérience au réel.

Antoine Emaz , Entre, Deyrolle éditeur, 1999.

Participants à l’atelier d"’écriture itinérant du 12 juin le long du canal Saint-Martin

Avec Entre, Antoine Emaz cherche à « prendre le flux, le mouvement d’un soir, et descendre son courant lent. » Il y suit la transformation d’un jardin au cours d’une année. La disparition des choses sous la neige par exemple ou dans la nuit laisse démuni, perdu devant un monde vide : « on ne retient pas - on se maintient seulement dans le silence ouvert d’une nuit sans saisir ce qui vient et s’efface entre les doigts - terre et mots passent glissent lents passent reforment d’autres figures et ce peuvent être des morts des nuages ou d’anciens arbres qui se succèdent. »

Le poème devient un acte de résistance. Ecrire, pour Antoine Emaz, c’est se révolter contre l’inacceptable, c’est repousser l’enlisement dans la matière et dans l’oubli par la création du poème comme forme.

L’écriture d’Antoine Emaz est d’une de l’extrême concision, à la fois saillante et rase, comme coupé au couteau. Quelques mots brefs, des mots simples, voir redits, répétés, ressassés dans l’incertitude, douloureusement arrachés au flux du langage.

Participants à l’atelier d"’écriture itinérant du 12 juin le long du canal Saint-Martin

Contempler ce que l’on voit depuis sa fenêtre et décrire le plus précisément possible le spectacle que l’on y observe. Ce qui se passe dehors même s’il ne se passe rien. Se retourner ensuite et décrire son intérieur. Ce que l’on voit chez soi, ou ce que l’on pense. Ce à quoi l’on rêve, ce qui nous tient à coeur. Composer son texte en passant d’un univers à l’autre à plusieurs reprises.

Lambert Schlechter, Smoky, collection « Lettres du Cabardès », Le Temps qu’il fait, 2003.

« Un homme à sa fenêtre contemple, écoute et vagabonde en pensée dans le temps et l’espace. Comment écrire, se demande-t-il, après Treblinka ? Mais la visite d’un pic épeiche, l’allure des nuages, la ténacité miraculeuse d’une fleur en décembre, une page de Montaigne, le souvenir d’une image de Wang Wei, d’une passacaille de Buxtehude ou d’un reflet de lune sur l’eau d’un étang perdu s’imposent à lui comme le chant obstiné d’un monde dont il est urgent, quoi qu’il arrive, de dresser l’inventaire obscur et incertain, car « il y a angoisse sous roche ». Ces chroniques du « presque rien », dans leur quête lancinante d’une expression qui ne cesse de se dérober, éclairent peu à peu, par la grâce des détours, des ruses, et d’un humour mélancolique, cet événement essentiel : la coïncidence de l’art d’écrire et du besoin de vivre. Ce que Follain nommait, justement, l’usage du temps ».

Ce recueil est bâti dans un genre à mi-chemin entre journal et pensées. La plupart des textes de ce livre ont paru dans « Livres / Bücher », supplément mensuel du quotidien Tageblatt de Luxembourg.

L’auteur s’oblige de façon quasi quotidienne de laisser flâner son esprit entre culture et réalité, en créant, dans une forme de vagabondage presque onirique, un savant dosage entre la perception et l’observation quotidienne des petits riens obscurs et incertains qui déclenchent l’improbable besoin de vivre de tout être.

Œuvres photographiques complètes, Laurent Septier, contrat maint, 2010.

Établir une liste de photographies prises dans un lieu précis, sur une période donnée et les décrire d’une description limitée à une seule ligne de texte, pour les garder dans la boîte noire de notre mémoire. L’ensemble de ces descriptions forme une espèce de litanie spéculaire.

Lecture des textes écrits lors de l’atelier itinérant

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Textes des participants à l’atelier d’écriture itinérant :
Jennifer K. Dick

La lèvre d’orée de la bouteille flotte dans l’eau vert sauvage.

*

Ce qui trouble. Ce qui revient. Le son de l’eau et la fuite des voitures d’à côté.

*

Sur le chemin j’ai eu le temps de regarder, d’observer. Ensuite, les deux hommes au bord du canal, les roses trémières qui fleurissaient le long d’un mur, l’herbe qui échappait sauvagement de ses confines rectangulaires—tous se sont éclipsés dans l’effacement des listes : …à faire, à terminer, à calculer, à chercher.

*

La fin d’ici ne veut pas dire la fin d’ici. Façades colorées (rose, jaune, vert pâle) en bas de l’effacement.

*

Série de rectangles et de triangles à moitié installés—le marché prend forme.

*

Le pont cambre son dos comme un chat qui se réveille.

*

Un autre trio—bande de trois—monte et descend les ponts du canal.
(Ils sont à la recherche de, ou sont-ils recherchés par… ?)

*

Vertige de la remontée. Au contresens de l’eau, la fille prend sa tête entre ses mains et se penche vers le courant. De quoi penses-tu ? Le soleil caché, les éclairs éteints. Nicolas Bleuscher

Trois feux éteints, en triangle.

L’écluse est verte, l’eau ridée.

Quel âge a l’eau ?

Un atelier d’écriture en marchant : l’idée ne tient pas debout…

L’eau suinte et l’encre bave, un peu. Sous le ciel changeant, la mousse tient droits les murs de l’écluse.

Je pourrais fort bien rester là, assis, seul, sur le banc. Ne pas vouloir les rejoindre, ne pas respecter la règle du jeu. Je suis de plus en plus sensible à ces petites tentations…

J’écris sur les pages d’un carnet Oxford, devant l’usine Clairefontaine. Le canal s’en fout.

Le soleil gâche l’émotion ; je préfère écrire dans l’ombre.

Ai lu « Bassin des récoltés » au lieu de « Bassin des récollets »

Après l’écluse, bateau bleu, l’Aspasia passe. Allitération dans l’S.

Près de l’Hôtel du Nord. J’aurais aimé entendre :

Tu as de beaux ponts, tu sais… Pierre Baldini

1)

Petit square au bord du canal St Martin, douce brise qui rend la chevelure vivante, eau calme et klaxons de mariage. Sportif récupérant de son effort sur les barres parallèles, le corps et l’esprit, la modernité et le temps qui passe et toujours les tentes des Afghans. Époque contrastée, le visage tourné vers l’avenir face à la poussée du vent, l’actualité se mêle à l’histoire fluviale, eau paisible et sérénité .Il tire sur ses muscles et il a l’impression d’exister.

2)

L’eau coule de l’écluse, torrent des montagnes, pigeon virevoltants entre rayons de soleil et les nuages. L’homme au cigare (Montécristo n°3) plongé dans sa lecture. Pendant ce temps les moineaux se nourrissent des parois végétales du canal, mousse verte abondante.
Je te tiens tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette.

3)

Qu’est ce que tu crois ?

Qu’est ce tu escomptes ?

Que tu ne boiras jamais de l’eau de cette fontaine ? De l’eau claire de cette clairefontaine ? La vérité est comme une femme qui sort du puits. Elle n’est pas une, tout dépend de quel angle tu la regardes.

Hé oui, la vie n’est pas si simple même sur le long du canal Saint Martin, banal et surprenant à la fois.

Le puissant fond dans la ville et l’impuissant fond, pour tout dire le puits sans fond.

4)

Olivier, Olivier que fais-tu de ce pas alerte ? Prestement sur le bord du canal, tu te diriges vers la bastille, décidé comme si tu voulais la libérer. Hé bien, pour tout te dire, c’est déjà fait. Alors qu’est ce qui t’animes de ce pas déterminé ? Vers quel objet, vers quelle idée ? Bon chemin Olivier.

5)

J’ai bien voulu cette consigne. Aller dans un bistrot.

Je choisis donc le café du poisson rouge, plus de place en terrasse, odeur de poisson à l’intérieur, forte, trop forte. Je m’assoie donc en face, sur le quai et en guise de poisson rouge, je me reflète dans le miroir situé au fond de la salle de ce café. Mon visage au premier plan puis des fleurs devant le café l’atmosphère de l’autre côté du canal.

Le poisson rouge, en façade, avec sa gueule patibulaire faisant PLOUF. Pas d’étonnement dans ses yeux, drôle d’atmosphère. Ce café est surplombé d’un petit balcon avec deux chaises jaunes de jardin, vides.
Deux personnages imaginaires y boivent le thé, chacun une tasse dans la main, regard vide, peau de porcelaine blanche, gracieuse, précieuse, pas un mot et le poisson rouge fait toujours PLOUF.

Canal Saint-Martin, Paris 10ème

Magali Joannelle

Froid, écrire en marchant difficulté.

J’ai l’impression de faire partie d’un groupe de touristes japonais sans appareil photo...situation incongrue. Impossibilité de se relire.

Entrée du jardin, le bruit du portail, l’homme sportif, la photo est floue, forcément il n’arrête pas de bouger.

L’eau du canal trouble, plastiques qui flottent. Derrière moi la station service « l’élan » il serait temps que je le prenne.

Le sportif a arrêté de faire des pompes, me regarde et tourne autour des agrès, tel un fauve en cage. Il s’arrête et se suspend.

Kickers – 40 %, mais comme il est 60 % plus cher que les autres, je ne vois pas l’intérêt.

Verdure, chant des oiseaux, eau qui coule, temps gris.

Le Valmy est fermé, QG du dimanche, bonne ambiance, copines, distraction.

Un rayon de soleil.

Sortie du jardin, bruit du portail.

Manque d’inspiration, je profite des rayons du soleil et subis directement les effets de l’apéro de midi.

Sur ma gauche, atelier Exacompta, bâtiment magnifique, cahier, agenda. Ils maîtrisent le temps, bien avant nous. Ils savent quand va tomber le 1er et 8 mai de l’année 2012, 2013.

Photos : 4 pré-ados en skate, torse nu, avec bonnet sur la tête, leur but : descendre des escaliers en skate.

Photo : Caroline bloquée, face au bâtiment Exacompta. Fait- elle un plan, un dessin ?

Non j’entends sa petite voix intérieure qui dit : « alors la, la chambre de Nina, ici celle d’Alice, mon atelier... »

Petite pause sur un banc, c’est beaucoup plus confortable, mais l’inspiration ne vient pas.

Moralité debout ou assise, ce n’est pas mon jour.

Photo : une vieille dame voutée, s’assoit. Elle a bien pris soin d’accrocher son berger allemand jeune et alerte solidement au banc.

Le chien, tire, tire encore, décroche le banc la dame se cramponne à la laisse. Elle se retrouve à faire du ski nautique sur le canal. Pourvu que le chien ne s’arrête pas.

Des stands se montent, en préparation de la fête de demain. Je passe dessous « les dames font comme ça, les messieurs font comme ça, allez passe passe passe allez passe donc. »

Au fond des façades : rose, verte, jaune ; 3 couleurs sur le drapeau encore inconnu du reste du monde mais que tous les habitants du 10ème connaissent.

Un bateau passe, je n’en parle pas, je sais que les autres vont s’en charger.

Espace Jemmapes, des grappes de parents se ruent au spectacle de leurs progénitures. Des enfants déguisés une princesse en rose avec des ailes dans le dos.

Le bâtiment est laid, triste, j’attends avec impatience sa rénovation.

A ma droite le jardin Villemin, avec sa belle pelouse verte. Souvenirs de jeune maman.

Un peu plus bas, naissance d’une fresque en direct. Un Delaunay qui aurait bu l’apéro avec Kandinsky Le mur derrière, image insolite.

Photo : un cumulus jaune accroché à l’extérieur sur le mur, gain de place évident.

Fresque de plus près, je me suis peut être un peu emballée sur les références.

Stop, je pense à m’asseoir et prendre un café, il me semble que cela fait partie de la consigne. Rassembler mes idées, me relire. Petit problème je ne voie personne du groupe, pourtant ça devrait se remarquer des gens qui se déplacent en écrivant. Quoique de nos jours nous ne sommes plus surpris de voir des gens qui parlent seuls en marchant.

Coup de fil, je suis descendu trop bas, rendez vous à l’écluse, la route tourne.

*

Je l’adapte, car je suis en terrasse, à l’intérieur 2 co-ateliers se chargent je suppose de d’écrire l’atmosphère.

A coté de moi, deux hommes. Discussion foot, Uruguay – France, il avait fait le bon pari, match nul. Pour ce soir la cote est différente.

Puis le sujet bascule, sa femme a porté plainte, mais il ne comprend pas pourquoi, de toute façon elle avait un peu cherché. T’aurais pas dû, lui conseille ( un peu tard à mon avis) son voisin.

J’ai dit au commissariat, si vraiment j’avais tapé elle serait morte. Et le mec qu’a voulu la défendre il est à l’hôpital, mais je vais aller brûler son appart. J’arrête d’écouter la nausée monte, ce n’est plus dans la consigne ce n’est plus du champ contre champ mais du corps à corps.

Résumé de la balade :

Sandro, tu avais décidé de prendre un nouvel Elan, de changer d’atmosphère. Tu m’avais donné rendez vous à l’écluse. Je m’y rendais d’un pas non Chaland, avec une angoisse, qui me rapprochait d’un poisson rouge qui n’aurait plus d’eau dans son bocal.

Antoine et Lili m’avaient prévenue : « A la Clairefontaine ou pas Sandro ne sera jamais ton Pierrot. »
Corinne Scanvic

Chaussures sur les pavés. Bruit de la circulation , eau calme du canal. Dans le square, un homme fait des pompes. Parcours sportif. Danger. Franchissement strictement interdit. Je pense à Rose déclic, le poème de Dominique Fourcade. L’écluse est fermée . L’eau s’écoule par les portes. Curieux, elles ne sont donc pas étanches. Est-ce un laurier rose qui pousse sur la berge ? Qu’est -devenu Joseph l’éclusier ?

Paul Fournel était à la librairie. Il a la même moustache que mon père.

La famille D. habitait sur le quai. Ils ont déménagé. Un homme lit sur un banc en fumant le cigare. Je m’assieds sur celui d’à côté.
Deux afghans viennent de se laver les dents. Ils me disent bonjour, ils rient et jouent.

Je voudrais connaître les noms des plantes qui poussent sur les berges.

Tiens, la café Valmy est fermé.

Exacompta, Clairefontaine, Car Laier, Camionnette Hertz. J’aurais dû compter mes pas. Jacques Roubaud est passé par là. Olivier est sur le quai d’en face. Coucou ! J’ai compté six couleurs de roses autour de la statue de Raoul Follereau.

Institut Supérieur d’études comptables et financières. Un homme dort sous le porche de cette école. Nous sommes samedi, l’école maternelle est fermée. Est- ce du seigle qui pousse au pied des peupliers ? Le ciel est gris. Va t-il pleuvoir sur le Parc Villemin ? Le bateau l’Aspasia se présente à l’écluse. Huit pare-battages. Deux hommes installent 60 piquets pour la manifestation de demain « Ensemble, nous sommes le Xème. »

Espace Jemmapes, école Marie Laurencin. Quatre canards cancanent.

Je rêvasse. Mille pensées.

Le Poisson Rouge, Antoine et Lili.

Une tête de mort bleue est taguée sur la façade rose. Passerelle. Quatre passerelles. Trente- neuf marches pour y accéder.

Un artiste peinturlure un pignon d’immeuble rue des Vinaigriers. Le Pont tournant tourne. Bruit sourd du pont qui s’emboîte. Canauxrama.

Café de l’écluse rue de la Grange-aux-belles. Un petit café va me réveiller.

Participants à l’atelier d’écriture près du canal Saint-Martin

Caroline Diaz

Vent bruissant dans les platanes, frissons sur le canal, plumes, pain, couvercles, sacs. Je traverse le square de gymnastique, un homme fait des pompes, j’imagine mes filles accrochées aux barres de métal. Faux gazon doux sous mes pieds, la lumière tamisée par les arbres et une fraîcheur humide apaisent l’endroit. La circulation bruyante puis l’eau ruisselante par la porte de l’écluse qui étouffe les klaxons intempestifs. Deux hommes sont assis sur chacun des bancs qui me font face, ils lisent le journal, le menton reposant dans leurs mains. Vert mousse, vert céladon, vert bouteille, vert d’eau trouble et laiteuse.
Je passe à côté d’un homme qui lit en fumant un énorme cigare. La lumière revient à l’angle de la rue Eugène Varlin et de la rue du pont des écluses. Il y a comme une moiteur qui monte du sol. Je surplombe la rive du canal, je découvre un corbeau qui fait les poubelles, je me souviens d’un joyeux pique nique estival. Les roses trémières s’épanouissent sous le soleil tout à coup plus chaud. De l’autre côté de la rive, quai de Jemmapes, les adolescents qui inlassablement poussaient leurs skates sur la rampe artificielle, viennent d’abandonner le skate park pour descendre le quai de Valmy à grande vitesse. Une famille s’arrête à ma hauteur évoquant le souvenir des bateaux qu’ils avaient fait flotter sur le canal. J’abandonnerais bien mon carnet pour rêvasser. Deux jeunes hommes pique niquent de sandwiches et canettes, les jambes pendantes vers l’eau, ils profitent vraiment de l’instant, je les envie, je ne me lasse pas de l’ondulation de l’eau sous le vent. Quai de Jemmapes, je m’attarde devant l’architecture du vieux bâtiment Exacompta : pierres, briques, grilles et petit carreaux. Je retrouve les jeunes skateurs sur la terrasse d’un immeuble moderne, torses dénudés, ils se filment descendant l’escalier sur leurs planches, cascade ratée, il a très mal mais il tient bon devant les copains. J’écoute les pas ralentis des promeneurs sur les pavés. une femme abimée, assise sur un banc, son berger en laisse, remplit une grille de loto. Je passe devant l’école maternelle où les filles ont passé leurs premières années. Cette balade met le temps dans une perspective vertigineuse. L’Aspasia, joli bateau à moteur, trace des sillons dans l’eau à la surface de laquelle je retrouve le même désolant spectacle de sacs, emballages crasseux, briquets, nuées lourdes de graisse et de poussière. Le canal forme maintenant une courbe, des festivités s’annoncent, on monte des architectures éphémères sur le quai. Un couple de touristes randonneurs passe à ma hauteur, abordant la soixantaine, ils portent de lourds sacs à dos. Je prendrais bien comme eux le temps du voyage.
Corinne vient de passer à petit pas devant moi. On se sourit de loin. Deux canards se suivent dans la lumière. Sur ma droite le parc Villemin étend sa pelouse d’un vert insolent. Puis c’est la succession des boutiques repères de la clientèle bourgeoise dite bohême : les façades colorées d’Antoine et Lili, L’Atmosphère et sa devanture aux accents rétros, Le Sporting, chic volontaire. Je traverse le canal par la passerelle qui était le but à atteindre tout à l’heure, et je m’ y enivre d’une odeur d’herbe mouillée.

Je parviens à m’asseoir au poisson rouge, dont le service est pour l’instant encore réservé à la restauration, la stratégie de rentabilisation des lieux branchés est exaspérante. La clientèle est plutôt jeune. La radio (fip) diffuse un air classique, du Tchaikovski. Les conversations vides de mes voisins se croisent.

un joli maillot de bain. j’en ai déjà un normal. il y en a des jolis normaux. Sonnerie de portable stridente. En fait on pensait aller dans un bar...

Pierre est à l’extérieur, posé au bord du canal, il m’offre une présence rassurante.Il ne me voit pas, il m’expliquera plus tard sa fascination pour le miroir au fond du bar. Devant l’ennui que me proposent les voisins, je m’attelle à la lecture de la carte des vins : Minervois, Roussillon, Premières Côtes de Blaye, Chiroubles, Morgon, Haute côte de Beaune, Arbois , Cheverny. D’’autres voisins se mettent à parler compteur, électricité, EDF, factures, rien ne parvient à capter mon attention, je m’ennuie ferme. A l’extérieur, j’apprécie la perspective formée par la rue des récollets et la rue Lucien Sampaix, comme deux invitations à sortir de ce lieu où plus rien ne me retient. Julie Portalis

Quai de Valmy. A droite, la rue, à gauche, le canal. En écrivant cela j’ai vérifié que je ne confondais pas ma droite et ma gauche.
Le groupe est devant moi. Klaxons. Un mariage. Écluse. Platanes.

Je ne sais pas pourquoi mais de regarder le canal, je ne ressens pas de calme particulier. Pourtant l’eau bouge à peine. Le bruit des voitures, peut-être.

C’est étrange un canal au cœur d’une ville.
L’eau en cascade et le moteur d’un scooter.
Un feu rouge et des gens qui s’installent sur des bancs pour discuter, tout près de l’eau.

Deux hommes se brossent les dents à une fontaine d’eau.

Fin des platanes au niveau du 145 quai de Valmy. D’un coup, le soleil et la foule. L’odeur de la vase, à un moment.

Deux hommes sont installés en contrebas, au bord de l’eau. L’un est assis les jambes dans le vide, l’autre est allongé, les bras croisés derrière la nuque. Ils profitent. Ils ont raison.

Merci de respecter la propreté du site et la tranquillité des riverains. Musique interdite.

Une basket noire flotte dans l’eau. Les lacets sont toujours attachés. Comment s’est-elle retrouvée là ?

Je marche un moment sans écrire : de la musique, des cris d’enfants, des gens qui déjeunent assis au bord du canal.

Soudain, en me retournant, je trouve le canal très beau. Je prends quelques photos. L’écluse est fermée. Pas de soleil. Je suis au croisement du quai de Valmy et de la rue des Récollets.

C’est déjà la seconde écluse, près d’Antoine et Lili. Les marronniers ne sont plus en fleurs.

je marche

sur la rive du canal saint-martin, quai de valmy paris 10°

Maryse Hache

je marche

puisque la consigne c’est d’écrire / décrire ce qu’on voit en marchant

et j’ai attribué d’emblée le en marchant à écrire, et pas à ce qu’on voit

alors je marche et j’écris tout en marchant

le chaland

jeune skater à casque orange

pavés sous les pieds

odeur de l’eau

anneau en fer

pour quel amarrage écluse je pense à simenon

un homme fait des pompes dans un petit jardin d’ombre

sous mes pieds c’est quoi

une moquette verte en plastique

vigilance poubelle dit le plastique vert vide accroché à son anneau

pour les reliefs repêchés sur le canal

pépiement de moineaux avec bruit d’eau écluse ça klaxonne

réverbères déguisés à l’ancienne

l’allumeur a coulé depuis longtemps

un homme sur un banc lit avec un gros cigare à la bouche

je pense à orson welles

les platanes regardent l’eau qui regarde le ciel

les verts se rencontrent

bouquets d’eleagnus ou de choysias sans fleurs

des petites herbes entre les pavés

des cases métalliques le long des portes de l’écluse exposent déchets détritus et autres restes qui s’y sont accrochés

comment décrire sur le pont cette plaque métallique au sol ouvragée de points pendant que je ne peux pas observer plus longtemps car

je marche sur le pont au-dessus du canal saint-martin quai de valmy paris 10°

les portes de l’écluse bougent

café restaurant le valmy

quelle date la bataille

les voitures coulent à flots inlassablement

leur flot n’est pas celui du canal

celui-là est discontinu voiture après voiture couleur distincte après couleur distincte

les particules d’eau sont tellement collées l’une à l’autre qu’elles construisent une nappe

et de même couleur

à nouveau grilles au pied des arbres et pissenlits

pour quelle salade

je marche et j’écris tout en marchant

je vois le sol pendant que j’écris

je vois ce qui m’entoure plus haut plus loin avec le regard périphérique

pour les détails en plan large je lève le nez de mon carnet

j’arrête l’écriture

en contrebas une allée herbacée et pierreuse avec pierres rondes

l’herbe abondante signale qu’elle est peu empruntée

les nez de marche des trottoirs défilent l’alignement de leurs longs rectangles de pierre

contraste de couleur de gris avec le bitume

le regard traverse le canal

sur l’autre rive grand bâtiment industriel

il semble abandonné

le mot "exacompta"

je pense aux carnets d’écriture

aux textes échangés sur blogs à leur endroit

moleskine ou clairefontaine

la surface de l’eau montre moins d’objets flottants non identifiés

je lis "131 espace vélos piétons" pendant que mes pieds sentent toujours les dessin des pavés

photo

jeune homme au balcon remontant la manche de sa chemise blanche

photo

une voûte quai de Valmy avec petite haie de troènes au fond après l’ombre

installation de piquets et barres de fer

marché sans bâches

ils piquent-niquent sandwich chez paul

objets flottants identifiés : deux sacs plastiques bleus un blanc un emballage de ships mais

je marche tout en écrivant et ne peux vérifier la marque

toujours l’irrégularité des pavés sous les pieds

je la sens très bien à travers la semelle des chaussures

mes chaussures

elles marchent

tantôt l’une tantôt l’autre

construisent un rythme vert anis

elles suivent la nappe vert bouteille du canal à ma gauche

un peu au-dessus sur ma droite le vert des platanes

le vent de la partie

fait rider la surface de l’eau

une musique des mots m’entraîne dans le courant

mémoire

la fontaine

le moindre vent qui d’aventure

puissance d’évocation d’un assemblage de mots

passé un jour dans notre vie

et faisant retour

un pigeon traverse le canal

au jardin sur la même rive mais de l’autre côté de la rue on s’allonge sur les pelouses

on s’envole comme on peut

les enfants jouent au ballon

des moineaux pépient dans une masse de vert lierre accrochée au mur

peut-être pas du lierre avec ces petites grappes fines de feuilles jaune crème c’est quoi alors

un pont sur le canal

je vois l’absence d’arletty

(même si elle était sur un pont-décor-de-cinéma)

les canards col-vert voguent

à l’écluse attend une péniche

un panneau de signalisation indique espace jemmapes

devantures peintes jaune d’or vert absinthe et rose bonbon

chez antoine et lili

plus possible de continuer sur la longueur du bassin d’écluse

_comment ça s’appelle_

je marche sur des marches

je fais demi-tour

je vois pierre ménard

suppose qu’il twitte l’atelier

je change encore de sens

reprends la marche un peu en contrebas sur le trottoir cette fois

un petit coup de vent

pas de longueur de cheveux suffisante pour en faire sentir le passage

pas non plus de jupe ou de robe

mais les joues

s’arrêter

moment du café

pas encore

je continuer à marcher

en marchant retrouve la berge possible

encore un anneau d’amarrage

quel est le mien

tiens voilà la péniche après changement de niveau

elle passe l’écluse

décrire en marchant

écrire en marchant

je marche et je tourne la tête pour regarder encore un peu

le mot "aspasia" sur bleu

au sol petites boules vertes hérissées de piquants

sûrement de jeunes bogues de châtaignes

tombées du nid

je lève la tête

châtaigniers confirmés

interdit aux chiens même tenus en laisse

n’ai pas de laisse ou du moins pas de celles-là

entre dans une aire de jeu

feuilles de platanes au sol

ça sent l’ombre mouillée comme un peu déjà l’automne

je marche

je marche

la main gauche tient le carnet

commence à s’essouffler entre poignet et carpes

la mine du crayon s’épuise

vais bientôt écrire avec le bois

sur le papier ça n’ira pas

ah il faut retourner l’aire de jeu ne dure pas

encore sentir du sol moquette plastique

écrire sans arrêter les pas

plus ralentis qu’une marche sans écriture

qu’y a-t-il d’autre de ralenti

les pieds sentent des petits cailloux sur le marches

avant que les yeux ne les voient

ils n’entrent pas dans la chaussure

ce n’est pas l’heure du scrupule

enseigne : carré revêtements céramiques

bribes de conversation sur la rive du canal saint-martin

"c’est pas l’artiste ...comment s’appelle-t-il ... c’est un australien"

photo

pignon peint signé bergerol, quai de valmy, paris 10°

bribes de conversation mais pas la même personne que précédemment : "j’ai toujours rêvé d’être un artiste ... j’ai toujours trouvé ça ...."

les pigeons roucoulent à trois sur la berge de pierre

un étui de papier à cigarette à côté des pigeons

je pense à fred griot et son JE CLOPE

elles mangent la dernière bouchée de leur sandwich

hygiéniquement correctes

elles se lavent les mains avec le liquide désinfectant obligatoire

difficile

à la caisse d’une pharmacie quelconque

de ne pas voir des amas de flacons en plastique transparent

proclamés gels mains antiseptiques

bribes de conversation : "on gruge les gens ... sur les vêtements ..."

photo

breton sur le canal saint-martin : rue jean poulmarch

lever les yeux et voir les nuages

l’écrire en marchant

et voir sur fond de pavés herbes capsules de bouteille et mégots

un avion passe

un autre pont et un pont tournant qui tourne

laisse apparaître dessous ...

photo

canne et couvée de canetons révélées par ouverture du pont tournant sur canal saint-martin

je marche en écrivant

s’amuser à l’impossibilité d’observer davantage et de compter les canetons

écrire en marchant

canauxrama et sa ballade touristique et ses touristes qui font bonjour repasse dans l’autre sens

le bruit du bateau qui glisse sur l’eau

la voix sonorisée du guide touristique

"vous allez pouvoir apercevoir sur votre gauche l’... (le quoi ?) de l’hôpital saint louis"

pas de places à la terrasse de la marne

sur l’autre rive du canal lire puis écrire : salle des ventes aux enchères

eau surfacée avec reflets et détritus surnageant

le vent offre des ondulations au ciel

tiens pas de garde-fous ici

de balustrade

de grilles

pour protéger

au bord du canal simenon rôde

une qui jogge

cette odeur un peu âcre un peu saumâtre un peu moisie-mouillée

quel mot pour le parfum de cette eau-là

le soleil

et des ombres

s’arrêter chez sésame café champ contre-champ en terrasse deux clients viennent de laisser places

je ne marche plus

contre allée champ et ses voitures garées entre trottoir et voitures garées allée pour cyclistes terrasse avec tables carrées revêtement bois mais lequel et pieds ferronniers à l’ancienne petites chaises de jardin pliantes en fer avec coussins orange un skater glisse sur l’allée des cyclistes une rangée de platanes

contre-champ une rangée de hauts tabourets autour d’un bar en bois ..... j’aperçois des livres derrière la vitre presque vitrine : shakespeare, jules césar, visible-lisible sur un dos une corbeille en osier à l’entrée recueille des magazines "papa, papa" dit une petite voix enfantine

au-delà du canal sur l’autre rive ligne de platanes aussi champ un grand immeuble moderne à balcons translucides orange, comme de grandes gélatines-filtres pour projecteurs de scène

ils passent devant la terrasse elle et lui en chapeaux haut-de-forme-déguisement..........entrent au café.........ils n’ont plus dix-sept ans "j’ai pas énormément faim moi" ...........ressortent champ et s’installent en terrasse

un bouquet de lysanthis autrefois blancs contrechamp continuent de faner en un vase trop de soleil ou trop d’âge trois chaises longues repliées le long de la porte d’entrée à côté d’une poussette tout-terrain-panier-à-commissions-intégré "papa papa donne-moi la main"

colette magny chante dans la mémoire réveillée

au fond de la salle au-dessus du bar immense ardoise-programme

"la nana elle a déjà poussé la voiture de 20 mètres en se garant tout à l’heure" dit un jeune homme buvant un café à une jeune file qui l’accompagne et observant la voiture qui manœuvre pour se désenclaver de sa place champ puis "ils prennent les tickets restaurants j’sais pas le samedi"

un ventilateur contrechamp au-dessus du bar

15h 35 quitte le sésame et le contrechamp en travelling

en sens inverse je marche en écrivant j’écris en marchant

du vent du vent des nuages des nuages

klaxons de vélos

les voitures voiturent

au loin j’aperçois une personne svelte, casque de vélo sans vélo, torse nu, sorte de boxer-short_le temps de l’écriture marchée me rapproche de l’énigme_ le torse nu se confirme, gants de boxe rouge sang et silhouette pliée d’une manière que je ne parviens pas à déchiffrer

quel est ce pli

quel est ce ploiement

est-ce douleur

est-ce rire

la position des jambes intrigue aussi

il me semble se protéger de quelque chose

il se tient sur la berge sous la pile d’un pont et trois ou quatre personnes stationnent au-dessus de lui il semble le regarder se pencher vers lui
encore quelques pas et l’énigme va tomber

ce qui tombe ce sont des œufs crus

et le récipiendaire a l’air consentant

j’imagine un pari

je me retourne pour regarder encore un peu

mais je continue à marcher

je marche

un homme endormi-couché en travers sur le rebord béton de la rive_ou dois-je dire du quai_la moitié de sa tête n’y repose pas

j’imagine un esseulé

un habitant du dehors

un avec pas de logis

un dans un équilibre instable

mais il ne peut pas tomber

dans l’eau

je marche

sur un bâtiment l’inscription : Assainissement de Paris

quid de celui du canal

quelques gouttes de pluie

à nouveau les trois couleurs de chez antoine et lili et la frise des ampoules colorées pas repérées lors de la marche dans l’autre sens

"en me voyant il refume" dit une jeune fille que je croise

une manif au loin avec sifflets et slogans

décryptage peu probable

crois entendre "qui va là" "où vas-tu"

aperçois de la couleur orange qui s’agite

le bruit fait s’envoler les canards

je marche

la fanfare va me croiser

je vais croiser la fanfare

orange c’est la couleur d’écharpes boa

sûrement acryliques

montées sur tiges de fer et agitées pour la circonstance par les manifestants

impossible de savoir de quoi il s’agit

pas de panneaux

pas de banderoles

pas de distributions de tracts

c’est fête de voisins ou quoi

ils sont tout seuls ou quoi

ça reste entre eux ou quoi

j’entends un "manifestez-vous"

guère plus avancée

je marche

les bruits de cette réunion de joyeux drilles s’éloignent

je m’éloigne des bruits etc

c’est une histoire de sol cette écriture en marchant

c’est par les pieds que ça s’écrit

c’est par le regard périphérique

c’est par les oreilles

pépiements de moineaux dans un bosquet je lève les yeux du carnet pour identification du bosquet

je marche

c’est du charme

je marche

je marche

je marche

le temps marche aussi

il est 16 h

l’heure de litote en tête

l’heure de la rue parodi

n’y suis pas encore

tiens revoilà canauxrama

photo assise sur un banc quai de Valmy paris 10°, femme indienne en sari chantant une mélodie

voilà la rue parodi

16h 05

Christine Jeanney, en duplex :

Si le vent se renforçait, les cerises les plus petites, les plus mûres, s’envoleraient sûrement sans leur noyau. Il les leste, et je n’ai pas la bêtise de croire qu’elles sont réellement accrochées aux branches. Leur lévitation tranquille plane au-dessus des tulipes fossiles, la tige sèche, la rigidité qui les prend, et le jaune qui s’éloigne comme s’est évaporé le vert au rythme de la sève. À droite, la grue de chantier avec son quadrillage mince s’est juchée sur le toit. Ce que je vois depuis ma fenêtre, quand le rideau orange se soulève. Le ventilateur, quadrillé lui aussi, atteste que dedans et dehors se superposent et ne se bordent pas. C’est bizarre comme les choses interfèrent, mangent les unes chez les autres, s’imitent et s’énumèrent.

Seul le mouvement est différent. Dehors, tout est poussé par les nuages, et si les branches du cerisier, les graminées, le linge pendu ne suivent pas la lente glissade atmosphérique, c’est qu’on les a collés au sol, par inquiétude. Dans les maisons aussi on supporte bien mal la nonchalance. On pose, on scelle, on cloue. On s’imagine contenir le flottement incessant pendant que la Terre dérive.

1-mur d’écluse, ombres portées en lignes transversales, croisées des horizontales de l’échelle

2- éclats gris sur rambarde noire, continents minuscules

3- gouttes verticales sur tiges vertes des plantes, mousses humide sur poutre massive

4- fontaine, grille humide, la veine d’un arbre enraciné au bord

5- pavé grumeleux et rose, une feuille à l’angle droit en bas

6- les ouvertures du garde-fou, le feuillage derrière

7- un fil de plastique rouge dans l’eau comme un tag qui flotte

8- l’eau, marbrures et reflets, volumes verts et blancs froissés

9- photo ratée, que du noir et mon pouce, j’y étais
Brigitte Célerier (en duplex d’Avignon)

Mon univers borné, volontairement borné. Quand je me lasse de l’écran, quand mes jambes le réclament, quand je veux faire le blanc, je me lève, je fais deux pas, je me tourne face à la fenêtre. Et d’abord, je vois. Le mur, avec ses pierres apparentes et les joints inégaux, qui ont plus ou moins bavé, les parements mal dégrossis, blessés, vivants. Juste devant moi, sur les trois quart de la largeur, il s’élève jusqu’au bas des carreaux les plus hauts, et au dessus, dans la partie cintrée, il y a, un peu plus loin, et selon la qualité de la lumière la distance, telle que je la saisis, varie, le mur, un peu plus haut, qui borde la cour voisine, et en perspective perdue, sur la droite, le haut de la maison abandonnée, pas réellement dégradée, sauf les volets de bois noircis d’humidité, et puis une petite terrasse ravalée, très blanche, qui fait suite, et des masses que je n’identifie pas, qui ressemblent à des containers, mais c’est vraiment dans le coin, je sais seulement qu’’ils sont là, ils ne m’arrêtent pas. Et au dessus, le plus souvent, il y a un bleu irradié, glorieux. Et c’est en lui que je repose mes yeux, et alors les idées me viennent, pendant que mon regard glisse, revient sur les pierres, s’y ancre, et parfois, idéalement, l’idée prend corps. Je joue avec, je dévie, je la précise. Et puis, je me détourne, mes yeux passent sur la partie haute du mur, à gauche, après le tuyau où est peint du lierre, derrière mon olivier, et reviennent à mes volets de bois, aux murs jaune doux, et je passe à l’action, j’exécute vite ce que j’ai décidé si c’est sur un acte que je me suis arrêtée, ou je prend un papier et note, commence à écrire. Ou, à vrai dire, le plus souvent, je suis restée dans un rêve indistinct, dans une contemplation pure et distante, écoutant ce qui vient de ma chaine, musique ou paroles, et je renoue ma lecture là où je l’avais abandonnée.

Debout devant la porte-fenêtre, les plantes de la cour, le balancement dans une petite brise gaie de branches disproportionnées en quête de la lumière qui, violente au dessus de nous, n’arrive que pendant quelques brèves heures à descendre jusqu’au sol, la tache d’une fleur, ou de plusieurs, rose, bleu, rouge vif, selon mes derniers achats. Mon univers vide, peuplé uniquement des variations de l’air, lumière et vent. Je me hisse sur mes pieds comme si j’étais jeune et pleine d’élan, je bois un peu cet air, et puis je me retourne vers le comptoir de la cuisine, dans une zone encore éclairée, et rentre, tout de suite à côté, dans l’ombre, presque l’obscurité de mon antre. Coquille, douce, les rayonnages hétéroclites et les livres au classement aléatoire, au fond de ce grand cube, le chêne d’un dressoir devenu bibliothèque qui perd peu à peu son identité de legs paternel, la douce brillance du cerisier ciré de mon coffre. Le plaisir que j’ai à les voir, familiers, pas luxueux, d’une beauté humble mais réelle. Le confort de cet éclairage presque absent, doux comme du miel, et de la certitude de la lumière, là tout de suite, il suffit de se retourner, et d’avancer vers elle et la cour, le mur de droite qui est à cette heure-ci doré de soleil, les rares bruits qui parviennent, au delà de la maison qui borne ma vue, de la petite rue qui la borde, des remparts, avec la présence du fleuve duquel nous nous défions. Un extérieur limité, proche, à la mesure de mes désirs maintenant. Et puis je peux si je le veux y voir un espace plus grand, étranger, généralement un coin de mer entre des rochers, et les rochers, où se blottir ils sont là, dans la profondeur de la pièce. Jeanne

dans l’absence des abords du canal Saint-Martin

me suis retrouvée là à cheminer dans les pas des flâneurs du canal Saint-Martin quelques heures après leur passage. me suis retrouvée là dans ma nuit à les revoir dans leur jour, tels des fantômes là sur cette passerelle, là à voir passer cette barque bleue, là encore à se poser un instant qui sur un banc qui assise dans l’herbe pour noter au passage quelques effluves ou quelques bruits de la ville. me suis retrouvée là près d’eux alors même qu’à l’instant de leur temps près du canal j’étais moi assise en terrasse à n’entendre que le chant des oiseaux qui se répondaient, les nuages masquants gravement un peu de soleil, les enfants dans leurs silences. je m’étais retrouvée moi dans un silence bruyant d’une conversation avec Virginia Woolf qui partageait avec moi ces lectures savantes, celles de temps qui n’existaient déjà plus, de mers, de routes des Indes et d’injustices face aux sauvages. je n’étais qu’avec elle, au bord de ces rivages quand, dans ce même temps, ces flâneurs côtoyaient les abords du canal St Martin..
quels étranges échos que nos vies qui, dans nos silences nous laissent entendre le monde qui fut et dans nos bruits nous retirent d’un monde pour s’absorber dans un silence d’écriture.
quels étranges échos cela a du être quand eux, flâneurs, se sont retrouvés face-à-face avec d’autres marcheurs plus manifestants mais dans un tumulte vifs et colorés - et de là j’en imagine quelqu’une qui, militante pour la culture, serait sortie de sa flânerie pour entrer dans la marche - et de là quelqu’autre qui, ne croyant plus en son manifeste, sortirait du cortège pour rédiger en silence sa colère.

et puis il y eu cette pause au café.

ce temps d’arrêt - pas mort - pas fourbu. juste pause pour un juste retour sur les mots venus et à venir.

instant suspendu où, comme retiré du monde, on se met à l’observer. et qui de la rue observe l’intérieur ne semblant apercevoir que quelques badauds figés se trompe - le mouvement est tout autant là, dans ce café
suspendu au fil tenu des réflexions des uns et des autres - les pensées
s’entrechoquent et jamais en écho avec les chocs du dehors - le tumulte est parfois plus violent. qui a vu ces fleurs qui jonchaient le sol lui rappeler un souvenir longtemps tu ? qui a senti le vol de cet oiseau pour se sentir lui-même à voler ? qui a vu cette écluse le long du canal St Martin et s’est alors plongé dans cette enfance.. la mienne.. cette promenade le long du canal St Martin, celle que je n’ai pas faite - m’a ramenée là, dans ce village haute-saônois de mes grands-parents maternels - chemins de halages écluse barrage péniche de fret ou de plaisance mon éclusier de grand-père - et ces haricots verts qu’on écossaient - ces heures, à l’heure des siestes - où je m’amusais les yeux mi-clos à observer les rais de lumières entre ces volets verts - ces volets qui, en guise de creux, de trou - ouvraient sur des coeurs - ceux de nos enfances restées là - et ces mêmes lumières qui me ramènent aux Noëls, aux cadeaux devinés à travers la porte vitré entre la cuisine et le salon - enfance..

d’une promenade le long de la Saône aux abords du canal St Martin, d’une écluse l’autre sur les pas de quelques flâneurs fantômes aux miens, d’un jour à une nuit
les mots mènent et nous emmènent timides tout d’abord quand il s’agit de franchir quelques portes plus vaillants alors et s’affranchir de toutes contraintes de temps, de marches et de lieux dans ces pages tournées écornées parfois que nous lisons

et s’il avait plu aujourd’hui et que cette promenade se soit faite sous les parapluies les mots auraient-ils été plus humides plus frais plus tristes ou alors à l’image de quelques parapluies plus colorés et s’il avait plu aujourd’hui et que chacun est vu apparaître un arc-en-ciel et s’il avait plu des cordes que même l’encre aurait coulé sur nos joues qu’en aurait-il été de nous de nos mots de notre sort

s’il avait plu je me serais retrouvée là sur mon balcon à épier les changements de couleurs mes changements d’humeur j’aurais écouté de la musique je me serais alors souvenu de ces photos prises de mon balcon en un temps où mes échappées n’étaient que dans ces passages du temps sur mes montagnes
de l’automne marron jaune ocre triste sous la pluie au reflet doré comme ceux des blés en rase lumière de l’hiver poudreux sapins saupoudrés blanc du printemps le chant des premiers oiseaux l’odeur du lilas les pâquerettes jaune vert mauve et puis vient l’été et le temps des promenades au bord de l’eau, au fil de l’eau du canal St Martin en passant par les mers de Virginia et la Saône, revenir à la mer
se poser là sur un banc à l’ombre d’une crique au bord de se laisser aller à flâner laisser errer les mots et quelques fantômes leur laisser leur pas suivre les siens tendre les cordes et faire couler l’encre pour mêler nos sorts

d’une rive l’autre


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