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Séance 231

Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.

Vous pouvez commander ce livre directement sur la boutique de Publie.net (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-534-3, distribution Hachette Livre.

Proposition d’écriture :

Écrire un ensemble de textes parodiques, des pastiches à la manière de différents écrivains classiques et contemporains (on les choisira pour leurs styles distincts), avec pour fil conducteur à ces variations littéraires, une dimension sensuelle.

Le degré suprême de la tendresse, Héléna Marienské, Editions Héloïse d’Ormesson, 2008.

Présentation du texte :

« Le tout était surtout pour moi une affaire d’hygiène ; Il faut se purger du vice naturel d’idolâtrie et d’imitation. Et au lieu de faire sournoisement du Michelet ou du Goncourt en signant (ici les noms de tels ou tels de nos contemporains les plus aimables), d’en faire ouvertement sous forme de pastiches, pour redescendre à ne plus être que Marcel Proust quand j’écris mes romans ».

Marcel Proust, Lettre à Ramon Fernandez, 1919, citée dans Contre Sainte-Beuve (Gallimard, Pléiade, 1971, p. 690).

« On dérobe à la femme la parole, elle dérobe momentanément le sexe. Moi, je dérobe à mes auteurs leur style, le temps d’un récit. Rien à voir avec un « exercice littéraire ». C’est un livre politique (j’y tiens), et donc féministe (j’y crois). Un féminisme à ma mode, libertaire : un titre moqueur s’impose donc. Je le chipe à ce macho de Dali, qui définissait ainsi le cannibalisme : « le degré suprême de la tendresse ».

Reste maintenant, Lecteur, à te présenter mes honorables pastichés. Dans l’ensemble, je les ai choisis pour la force de leur style. Céline, Perec, Montaigne, La Fontaine et plus près de nous Houellebecq se sont imposés autant par l’originalité de leur inspiration que par l’autorité de leur écriture. Peu m’importait que les auteurs soient, ou non, célèbres. Il suffisait que je les aime, et avec tendresse. Les Historiettes de Tallemant des Réaux sont appréciées par un public lettré, mais on pourra goûter les caprices de l’entreprenante Marquise Héloïse sans avoir lu cet auteur méconnu. Ensuite, mille libertés par rapport au point de départ. Ce sont vraiment des textes libertins qu’on peut lire en oubliant tout à fait qu’ils sont des pastiches et n’y voir que les récits de fantaisies érotiques, celles d’une rate de petite vertu ou d’une star du Crazy, parmi d’autres friponnes. Parfois, la scène est traitée sur ce mode fantastico-comique qu’on ne trouve que chez Ravalec, ou sur un ton badin, avec La Fontaine et Montaigne. Il a même suffi de la suggérer, non sans désinvolture, chez Perec ou Céline. Bref, un prétexte à variations.

Pasticher est une étrange aventure : donner la parole à l’autre, à vrai dire la lui imposer, permet de lui faire dire ce qu’il n’a jamais osé formuler. Entrer par effraction dans le tréfonds d’un auteur, s’approprier son souffle, écouter ses silences, sonder son cœur et ses reins, révéler, au détour d’une phrase, les fantasmes qu’il a toujours tus... quelle jubilation, parfois. »

Héléna Marienské

Extrait :

« Le débat progressait : les hommes pouvaient-ils être considérés comme des partenaires sexuels intéressants ? Sur le plateau d’Arte, les échanges furent animés. Il y avait du pour et du contre. Des femmes évoquèrent avec enthousiasme les joies de la pénétration. Une grosse pouffiasse blonde témoigna longuement, un second boudin, une Black obèse, renchérit. « Une bonne queue, il n’y a que ça de vrai », résuma d’une belle voix de gorge Emilia, une jeune attachée de presse de Prada, bien moulée, dotée d’une grande bouche de suceuse. On avait tout de suite envie de lui mettre coquette dans le bec. Elle pouvait avoir vingt-trois ans. Elle adorait se faire ramoner, la salope. Devant, derrière, susurrait-elle, j’aime tout ! Boudin Blanc et Boudin Noir firent chorus : la pénétration, c’était trop bon ! Mais leurs consœurs plus âgées n’eurent pas de mal à les convaincre de la tristesse de la chair. Une bite qui ramollit inexorablement devant la chatte d’une femme parce que la femme vieillit, c’est déprimant. Cela atteint profondément l’ego. On filma Emilia en plan fixe, avec en voix off des microrécits de vioques délaissées, frustrées, définitivement minées. Les mecs étaient des porcs, ils les avaient bien sautées au début, et puis après... Quand elles avaient eu trente ans, c’était déjà devenu très dur, à trente-cinq après deux grossesses, c’était la Berezina. Les types voulaient de la viande fraîche, de l’adolescente en jupette, leur sexe était lamentable devant celui de la femme qui les aimait, mais il se redressait comme un gourdin devant la première nymphette qui ramenait son petit cul. Pour les femmes aimantes, le sort était cruel : frustration, boulimie, solitude, somnifères et antidépresseurs, suicide souvent. Le joli visage d’Emilia la baiseuse paraissait horrifié, elle retint de longs instants ses larmes, de toutes ses forces. Ses muscles faciaux tremblotaient. Un silence total régnait sur le plateau de télévision éclairé de couleurs pastel.

Ce moment fut très émouvant, très télégénique. Puis Emilia éclata en sanglots, son mascara coula, elle faisait penser à Nosferatu. Elle se réfugia dans les bras de Stéphane Bern. Il paraissait légèrement déphasé. Des vieilles peaux la prirent alors dans leurs bras plus ou moins ridés, la dorlotèrent. Une radasse permanentée, éplorée elle aussi, la blottit contre sa poitrine flapie, lui murmura des paroles de consolation, comme une mère rassure un bébé qui vient de faire un cauchemar. Il y avait des solutions, elle n’était pas toute seule... La petite attachée de presse était inconsolable, une madeleine.

L’audience de l’émission battit des records : un « mouvement de masse » s’ensuivit. Un peu partout en France, puis dans tous les pays de l’Union européenne, il parut acquis qu’on ne pouvait pas se permettre de conserver l’humain mâle en l’état. Les guerres, la violence, la misère affective et sexuelle des femmes, ça allait bien comme ça. Lorsque l’abeille femelle revient à la ruche après l’accouplement, les ouvrières, pour préserver sa suprématie, effectuent un véritable massacre rituel des mâles présents. Le frelon est supprimé pour deux raisons : il n’est plus utile pour la reproduction, il constitue une menace s’il reste en vie. Il fallait se rendre à l’évidence. L’insémination artificielle déjà, le clonage bientôt avait une conséquence de taille : les hommes n’étaient plus indispensables à la pérennité de l’espèce humaine. Leur libido (libido sentiendi, libido dominandi) était visiblement incompatible avec les besoins fondamentaux des femmes. Une refonte ontologique s’imposait.

Fallait-il gazer ? Très largement, les Européennes, consultées par référendum, s’opposèrent à cette solution radicale. Cela rappelait visiblement des souvenirs pénibles, et de toute façon les infrastructures allemandes avaient été très mal entretenues. Une réponse s’imposa, un moyen terme en quelque sorte : les hommes seraient maintenus en vie, alimentés, éduqués normalement. Mais à la puberté, ils seraient châtrés et leur verge serait sectionnée à la base. L’ablation se ferait sous contrôle médical, sans drame ni douleur (la péridurale serait remboursée et pourquoi pas, si nécessaire, les antidépresseurs). »

Le degré suprême de la tendresse, Héléna Marienské, Editions Héloïse d’Ormesson, 2008, pp.60-62.

Présentation de l’auteur :

Héléna Marienské est l’auteur de Rhésus (2006), premier roman couronné par de nombreux prix. Agrégée de lettres, elle se consacre désormais à l’écriture et vit entre Paris et l’Auvergne.

Liens :

Site des éditions Héloïse d’Ormesson

« Houellebecq, pour rire » par Didier Jacob

Un extrait du texte sur le blog de Lignes

« Le degré suprême de la tendresse » par Stéphanie des Horts (Revue Littéraire, 33)


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