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Séance 244

Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.

Vous pouvez commander ce livre directement sur la boutique de Publie.net (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-534-3, distribution Hachette Livre.

Proposition d’écriture :

Le sport prend la mesure du monde dans ses excès, il exige la démesure de l’homme, son élan, sa tension. Une force en marche. Faire le portrait de grands sportifs du passé en évoquant, avant sa fin, le monde dont ils sont issus. Mettre en résonance leurs exploits et leurs difficultés avec leur environnement, qu’il soit sportif, culturel, poétique, voire empreint de mysticisme. Un hommage littéraire en forme de portraits amoureux, de mythologies sportives.




Forcenés, Philippe Bordas, Éditions Fayard, 2008.

Présentation du texte :

« Le cyclisme est un art du chemin, un poème gitan. » Voici est un texte très étonnant : c’est une série de portraits des plus grands cyclistes français, italiens, belges des années cinquante à soixante-dix : Bobet, Anquetil, Coppi, Cippolini, Blondin, Poulidor, sortis de nulle part, ont imposé des records surhumains sans l’aide du dopage. Époque où ce sport est devenu un art, un art de l’extrême, du vertige et du tragique. Philippe Bordas réussit le tour de force d’évoquer la vie de ces cyclistes, ces lutteurs qui affrontent la chute, le vide, le sang.

Forcenés est au croisement des écritures, des mythologies, des approches, des sensations, forge une sémiotique singulière dans la nostalgie d’une radicalité perdue et le regret d’une perte de substance de la langue.

Extrait :

« La montagne est le lieu des rhétoriques faibles. Les figures pâlissent, les effets de style s’amenuisent. C’est l’endroit d’une vérité nue. J’admire l’éloquence des rouleurs, Anquetil dans ses œuvres ferroviaires expresses, les déboulés de Maertens si semblables aux prédations dans le ralenti des films animaliers. Les grimpeurs sont les seuls cyclistes qui satisfassent philosophiquement aux conditions de la proposition vraie. Les autres sont plus ou moins des hommes d’enveloppe et des rhétoriqueurs que démasquent les premières pentes de l’Izoard.

Les rouleurs de plaine propagent une confusion ; ils frappent du bec comme les sophistes, le dernier qui parle a raison. Un boyau fait justice et baste : le sprint s’achève en cacophonie. Le phrasé des grimpeurs s’établit sur des fondations : ils forment dans le peloton aux cent langages un souvenir d’avant Babel.

Le grimpeur surgit d’une claire définition.

Sous les à-pics de la Durance, les eaux hurlent sur des galets - c’en est fini des arrangements et des tope-là, dans un vacarme d’eaux ; les roues heurtent l’Izoard, les cartes tombent des manches, les ruses vont à bas. Les grimpeurs s’écartent du groupe. Ils élèvent le buste. Les gros parleurs souffrent l’hypnose des gravillons. Gréés de membres peu charnus rabotés vifs, les escaladeurs laissent le fardeau de la vie en commun. Des jurys de pins observent ces corps restitués à la fiction de la survie.

J’aime quand Bartali esseulé se tourne au décours d’un virage, quand Coppi, depuis les empilements de minéralogies, surplombe les hommes amalgamés aux brumes d’en bas.

J’aime le moment où l’homme passe de la compaction au détachement.

Mon amour va aux fiévreux, aux amoureux de l’alpage pour ce qu’ils suivent le rêve icarien sans penser à la chute. Il faut un cœur frais pour sortir des sociétés. Les grimpeurs oublient le calcul en quittant les coalitions. Ayant défait les mortaises du peloton, ils vont à vide, soutenus d’un squelette et d’un bidon d’eau. Un ferment suicidaire couve sous la casquette doublée d’une feuille de chou. Ils ne gardent rien dans les poches dorsales et pectorales. On voit le ciel à travers les pédales ajourées.

La Divine Comédie sous le pas de Virgile établit le monde chrétien sur les pentes d’un mont. Demeure l’idée confusément que l’homme s’élevant s’informe d’un mystère. Le cyclisme naît aux lisières du regret. Entre les cols passe l’écho de la mort de Dieu.

Les grimpeurs sont de l’espèce littérale. Ils s’élèvent dans l’allégorie sacrificielle du Christ, banalisée il y a un siècle par Alfred Jarry.

Dans Le Canard sauvage d’avril 1907, Alfred Jarry peint le Christ en grimpeur forcené. « Donc Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix. » Le cyclisme est à peine né. Jarry voit juste : il installe le cyclisme aux fondements de l’Occident, dans les jadis de l’Ascension. »

Forcenés, Philippe Bordas, Éditions Fayard, 2008.

Présentation de l’auteur :

Philippe Bordas est né en 1961. Etudes de lettres. Chroniqueur des courses cyclistes pour L’Equipe de 1984 à 1989. Il débute dans la photographie en 1990 et est pensionnaire de la Villa Médicis en 1996. Son dernier ouvrage, L’Afrique à poings nus, édité au Seuil, a obtenu le Prix Nadar en 2004. Il a aussi réalisé un film sur le lutteur Moustapha Gueye, Grand Combat, sélectionné au Festival de Venise.

Liens :

Critique du livre sur le site des Ruines Circulaires

Présentation du livre sur le blog des Oies du Capitole

Présentation du livre par Constance Krebs sur le site de la revue Remue.net

Le site de l’éditeur du livre de Philippe Bordas

Interview du 23 avril 2008 avec Philippe Bordas dans l’émission Esprit Critique sur France Inter


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