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La musique de Bernard Hermann dans le film d’Alfred Hitchcock

Lors des initiations du samedi que nous organisons au Cyberlab, l’Espace Culture Multimédia de la Médiathèque de l’Astrolabe à Melun, nous proposons un atelier de montage vidéo. Le support de ces initiations est la scène de la douche de Psycho. Découpée en petits bouts la scène dure moins d’une minute et s’avère être un véritable exercice de montage comme l’est par exemple celle de l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein.

Psycho est certainement le film d’Hitchcock le plus connu, et l’une des partitions les plus réussies de Bernard Herrmann. Le film fête ces mois-ci son cinquantième anniversaire. Autant le dire tout de suite, ce n’est pas une musique agréable du tout, elle n’est pas faite pour être "jolie à entendre". C’est là toute sa force, elle met mal à l’aise à l’instar du film. Et ça fonctionne à merveille. Le rapport images/musique est incroyablement efficace.

Alfred Hitchcock était très rigoureux et précis sur les fonctions dramatiques qu’il accordait au son et à la musique, et qu’il entremêlait à ses nombreuses suggestions au sein même du scénario. Lors de son entretien avec François Truffaut, Hitchcock il déclarait qu’il n’était pas très satisfait des musiques de Miklos Rosza pour Spellbound (1945), Franz Waxman pour Rebecca (1940) et Rear Window (1954). En fait, dans le scénario de Psycho Alfred Hitchcock souhaitait réduire au minimum l’expérimentation de la musique, une tentative qu’il a finalement mené à terme avec son film Les oiseaux, dans lequel on ne trouve pas de partition de musique classique.

Le réalisateur Brian De Palma a rappelé que le compositeur Bernard Hermann lui avait raconté qu’Hitchcock, après avoir vu le premier montage de Psycho, était nerveux et faisait les cent pas, disant que le résultat était terrible et qu’il allait plutôt le diffuser dans le cadre de son émission de télévision. Il était fou. Il ne savait pas ce qu’il avait. Et Bernard Hermann a dit : « J’ai quelques idées. Si l’on utilisait que des violons ? J’ai été violoniste vous savez... Hitchcock était fou. Vous savez, il a fait Psycho avec son propre argent et il avait peur que ça fasse un flop. Il ne voulait même pas de musique dans la scène de douche. Pouvez-vous imaginer cela ? »

La continuité de cette scène qui donne l’impression d’une scène tournée en temps réel, mais pour laquelle sept jours de tournage furent nécessaires, est produite par le son (bruit de l’eau quittant le pommeau). Comme il fragmente le corps de Marion, le personnage de Janet Leigh, Hitchcock découpe le temps, l’accélérant à sa guise. Toute la dramaturgie est soutenue par la musique de Bernard Hermann qui intègre au plus haut sommet de la tension les cris, quasi musicaux, de Janet Leigh.

L’intérêt de la démarche d’Herrmann, qui ne se contente pas de composer des partitions dites "classiques" collant aux images d’un film, c’est que ses œuvres sont profondément fouillées et pleines de sens, et Psycho en est un des plus bels exemples.

The Wall Street Journal vient de diffuser un très bel article sur l’importance de musique de Bernard Hermann dans le film d’Alfred Hitchcock : The Sounds of Violence.

En 1998, Gus Van Sant reproduisait Psycho à l’identique en réalisant un remake du film plan par plan :

« Gus Van Sant transpose le suspense du film (« que va-t-il se passer ? ») vers un « suspense » stylistique, vers un suspense du détail, qui s’adresse à notre mémoire : « comment va-t-il tourner telle ou telle scène ? » « Tel plan se trouvait-il dans le premier ? » ou encore : « pourquoi ce tableau ? Était-il dans le film de Hitchcock ? » C’est ce que montre très bien l’article d’André Habib, paru sur Hors Champ, le site canadien dédié à la réflexion critique sur le monde des images, du cinéma d’auteur aux médias de masse.

Intéressant également de découvrir le montage parallèle des deux versions sur Youtube. Et le nombre impressionnant de versions différentes (remontées, rejouées, détournées, pariodées (Brian de Palma, dans Phantom of the Paradise, Pulsions (Dressed To Kill) musique samplée (Beastie Boys, Egg Man) qu’il existe rien que sur Youtube pour mesurer l’impact de ce film.

Ou ce remake multiscreen d’une séquence de Psychose proposé par Ash Collins et auquel Hitchcock ne s’attendait pas, sur le site de l’émission de Canal + L’Oeil de Links.

Comme le rappelle sur son site l’Association CultureLLe de l’UFR lettres et langues de Poitiers, 24 Hour Psycho, œuvre vidéo de Douglas Gordon, fut installée au Museum of Modern Art de New York, le MoMA l’été 2006. Dans une salle obscure, sur un écran de trois mètres sur cinq, est diffusé le film Psychose, d’Alfred Hitchcock, en une projection tellement ralentie qu’elle dure vingt-quatre heures.

Dans son dernier roman Point Oméga, traduit par Marianne Véron et édité chez Actes Sud, Don DeLillo évoque très largement le film d’Hitchcock : « Lumière et son, tonalité sans paroles, la suggestion d’une vie au-delà du film, l’étrange réalité criante qui respire et mange là-bas, cette chose qui n’est pas du cinéma. » DeLillo explique dans le journal Le Monde que dans cette œuvre, « moins il y avait à voir, plus on regardait intensément et plus on voyait. » C’était d’ailleurs le but du jeu : « Voir ce qui est là, regarder enfin, et savoir qu’on regarde. » A l’en croire, ce serait « fou ce à côté de quoi on passe dans des circonstances normales. Fou ce qui se produit en une seconde. »

Tous ceux qui souhaitent jouer le jeu et tenter un nouveau montage ou s’y exercer, je tiens à leur disposition l’ensemble des plans de la scène de la douche que je leur enverrais sur simple demande par email ou en commentaire de cet article.


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