« Sans parler des grands désastres de réglage, de mauvaises distances ou de mauvaises expositions, le premier mouvement, le premier réflexe, c’est la déception : « ainsi je n’ai vu que ça, voilà où m’ont mené toute cette tension et toute cette gesticulation, à ces petits rectangles 24 x 36 qui souvent ne me disent plus rien. » Les photos que j’imaginais les meilleures sont ratées, et celles auxquelles j’imaginais le moins d’avenir sont parfois assez bonnes. L’appareil m’a eu, encore une fois il n’est pas à ma hauteur, trop haut ou trop bas par rapport à ce que j’attendais de lui. Ou je suis un mauvais technicien, ou il est le mauvais médiateur. »
Planches-contacts, in L’image fantôme, d’Hervé Guibert, Les éditions de Minuit, 1990.
Un nouveau projet pour cette nouvelle année.
Tous les jours je prends une photographie avec l’appareil photo numérique que j’ai sous la main (iPhone, iPad, Kodak, Canon, etc.) et je la diffuse sur mon nouveau Tumblr : Planche-contact, en y associant une phrase trouvée sur l’un des nombreux blogs et sites littéraires que je suis régulièrement sur Netvibes. À la fin, je reprends l’ensemble des photographies pour les diffuser dans un article avec le texte que j’ai écrit à partir des phrases trouvées pendant la semaine.
Voici le texte écrit et les photos que j’ai prises lors de la première semaine qui s’est écoulée, entre Bruxelles, Paris et Melun : Une question de jours.
Une planche-contact désigne l’ensemble des poses d’un film, toutes de la même taille que le négatif, sur une feuille de papier photo.
Pour obtenir une planche contact, après avoir développé le film négatif, on coupe le film en plusieurs bandes que l’on aligne ensuite les unes sous les autres sur un papier photosensible. On expose alors le tout, sans insérer le film dans l’appareil.
Ce procédé a cela de particulier qu’il est simple et rapide. Mais surtout, il offre une vue d’ensemble des photos d’un film, ce qui est très pratique.
Ainsi, la planche contact offre la possibilité de jeter un rapide coup d’œil sur les photos d’un film. Ensuite, on peut aller plus avant, et s’intéresser aux images que l’on veut agrandir...
« Comparable au brouillon d’un écrivain ou à l’esquisse d’un peintre, la planche-contact ne se limite pas à une épreuve de lecture mais elle est susceptible d’occuper une place centrale dans le processus photographique. Comme le constate Gilles Mora à partir de l’analyse d’un questionnaire adressé à une centaine de photographes contemporains (Mora, 1983, p. 28), la plupart d’entre eux avouent revenir régulièrement sur leurs planches-contacts, parfois même plusieurs années après la prise de vue, pour y choisir de nouveaux clichés. Après avoir sélectionné leurs images, ils ne jettent pas leurs planches mais les conservent afin de les réexaminer dans une optique différente. La planche-contact n’est donc pas une simple étape intermédiaire du processus photographique mais un « espace central des déterminations de l’œuvre », un « lieu générateur de nouvelles images » (Mora, 1983, p. 28). Pour le photographe Bernard Plossu, elle est même la « clef de l’ensemble d’une œuvre » et sa « vision globale » (Plossu, in Mora, 1983, p. 34). Contenant une multitude d’images en latence ou en attente, elle est, pour Claude Nori, à la fois « gestation et gestion de l’œuvre » (Nori, 1983, p. 50), autrement dit ce qui la constitue et la nourrit constamment. »
Très belle planche-contact de Garry Winograd sur le site du photographe allemand Zoltán Jókay présentant l’ensemble de la série du photographe américain.
Envisagée comme une œuvre à part entière, cette planche-contact réunit 36 vues apparemment identiques d’une installation de Jannis Kounellis, présentée lors de l’exposition romaine Vitalita del negativo en 1969. Sur chaque vue, un pianiste en train de jouer dans le coin d’une pièce vide. Alors qu’elle donne l’illusion d’un déroulement continu et semble avoir été réalisée lors d’une unique séquence, le photographe révèle dans le texte qui accompagne l’image que la suite des clichés s’étale en réalité sur plusieurs jours, couvrant ainsi toute la durée de l’exposition. Ugo Mulas a photographié tous les jours, pendant 36 jours, ce jeune pianiste qui venait jouer à deux reprises le même extrait du Nabucco de Verdi. Loin de se réduire à une simple documentation sur le travail de Kounellis, cette planche-contact artistique engage et déploie à elle seule une véritable réflexion philosophique sur la spécificité de la temporalité photographique, située aux antipodes, selon Mulas, de la temporalité musicale. À l’opposé du temps musical, inscrit dans la durée et la continuité, le temps photographique s’apparente davantage, selon lui, à un temps haché et saccadé, complexe et stratifié.
« Alors que le numérique prend le pas sur l’argentique, écrit Claire Guillot, dans son article du journal Le Monde intitulé Grandeurs de la planche-contact, les planches-contacts sont en passe de devenir anachroniques. Autrefois étape obligée pour les photographes, ces tirages de l’ensemble des poses leur permettaient de choisir les meilleures images d’une pellicule avant agrandissement. Désormais, c’est sur écran d’ordinateur, voire sur celui de l’appareil, que les photos sont sélectionnées.
Paradoxalement, les planches-contacts n’ont jamais autant attiré l’attention. Désormais, on prend conscience qu’elles sont, avec leurs photos retenues ou rejetées d’un coup de crayon rageur, la mémoire d’un processus créatif. »