Le paysage et son cadre, la fenêtre
Du hublot
Du hublot on voit la ville qui approche. L’avion semble bien trop imposant pour réussir à se poser sans dégâts dans ce décor en carton pâte. Il est plus long que ce stade, plus large que cet immeuble, plus volumineux que ce restaurant. Au moindre contact, il peut tout faire voler en éclats. Mais rien ne se montre capable de venir inverser sa trajectoire. A mesure qu’il perd de l’altitude, le bleu du ciel laisse place au gris des rues, au vert des parcs et au rouge des toits. Le soleil se fait moins éblouissant. Les nuages ne sont plus que de lointains souvenirs. Suspendu entre deux mondes, je goûte aux douceurs de cet éphémère métissage. Ce qui est au dessus me rappelle d’où je viens, ce qui est en dessous me dévoile où je vais. Bientôt, cette minuscule fourmilière deviendra ma commune, ce carré clôturé ma maison, ces petits points dans la rue mes collègues, mes amis, ma famille. L’altitude m’inspire.
De la fenêtre
De la fenêtre on voit l’avenue. On aperçoit un supermarché. On devine son parking. La route est bondée. Les voitures à l’arrêt. Insensibles à la situation, les feux tricolores refusent désespérément de virer au vert. Le double-vitrage nous préserve du bruit, mais l’on peut aisément imaginer le concert de klaxons et d’injures qui accompagne le blocage. D’ici, la scène est pareille à un tableau. Tout est figé, comme suspendu. Les quelques âmes que l’on perçoit semblent prisonnières de leurs véhicules. Le reste se terre dans les immeubles, les restaurants et les boutiques qui bordent l’artère. Le paysage est si saturé que rien n’autorise le moindre mouvement. Seul le temps s’écoule, imperturbable. Avec lui s’épuise la patience de l’ensemble des protagonistes. Dans un instant, inévitablement, tout explosera.
Aymeric D.
Ouvrir les fenêtres
La fenêtre de ma chambre donne sur des bureaux. La lumière qui s’infiltre et disparaît derrière les rideaux rythme ma journée tout comme les allées et venues dans les bureaux d’en face.
Tout est réglé, chronométré. Au début, cette mécanique semble étouffante. Entre 8h et 9h les bureaux se remplissent. Vers 10h les premiers à prendre leur pause se retrouvent sur le toit de l’immeuble. Vers 13h les bureaux se vident pour se remplir 1h plus tard et n’accueillir plus que les derniers travailleurs dans la soirée. Puis ce rythme rassure. Cet ordre est toujours intact, immuable. Comme les écrans des ordinateurs qui ne s’éteignent jamais et luisent dans la nuit, peu importe le jour ou la météo, les trajectoires sont identiques, toujours calées sur le même rythme.
La haute fenêtre du salon donne sur une cour en contrebas et sur des immeubles plus lointains. Quand on s’assoit et qu’on regarde la tête collée sur la vitre elle semble ne donner sur rien. Ou plutôt sur tout en même temps. Le champ est vaste mais on ne voit rien de précis.
Elle nous pousse à avoir un regard vague. C’est ici que l’on s’installe lorsqu’on veut juste souffler ou se perdre dans ses pensées. On se concentre alors sur des détails d’abord insignifiants : les lumières qui s’allument en décalé dans une cage d’escalier, ce chien qui échappe à son maître ou le soleil qui surgit entre deux immeubles en fin de journée. Et puis finalement ce sont pour ces mêmes détails qu’on s’y réinstalle.
Ma chambre à Lyon est la plus petite de la maison. Mais ce qui en fait une des plus belles pièces sont ses fenêtres. Elles n’ont rien de particulier, ne sont pas grandes ni décorées. Mais dès le matin la lumière qui les traverse est si vive que la pièce s’en trouve illuminée. La lumière est d’abord douce puis gagne brusquement en intensité. À tel point qu’en milieu de journée quelqu’un est régulièrement envoyé éteindre cette lumière qui serait, à tort, restée allumée.
Par la fenêtre je peux voir le jardin, étendue verte pendant l’année et roussie quand vient l’été. Elle donne aussi sur la piscine dont les multiples reflets renforcent la lumière dont la pièce est inondée.
Dans la salle de bain, à l’intersection entre le mur et le plafond se trouve une mince fenêtre. Fine et horizontale, elle est ce qui empêche cette pièce d’être un espace entièrement clos. Mais cette fenêtre ne donne pas sur l’extérieur, n’ouvre pas sur un ailleurs. Elle ouvre sur l’appartement en donnant sur la cuisine. Elle fait le lien entre les espaces, lie ses habitants lorsqu’ils ne sont pas dans les mêmes pièces. Dans la douche on entend alors les rires du salon, on sent les effluves des plats en préparation.
Pauline R.
Cadre, fenêtres
Fenêtre de ma chambre
Réflexion, ennuie, procrastination, observation, curiosité.
Voilà à quoi me sert cette fenêtre, beaucoup de fonction à remplir. Vitre transparente, entourée d’un cadre blanc, fait de plastique. Imperméable au bruit et au froid. Ouais, pas totalement. Elle grince et refuse de se fermer correctement parfois. Il faut forcer.
Ces journées d’hiver, d’automne, de printemps, d’été, passées derrière ; autant de moments de prise de conscience du changement des saisons.
Je dois travailler, je n’en ai pas envie, je n’ai pas d’idées, mon regard est irrémédiablement attiré vers cette fenêtre. Il fait beau, j’aimerais mieux être dehors.
Je suis dans mon lit, bien au chaud, il neige, je suis contente d’être sous ma couette.
Un simple rayon de soleil ou le bruit de la pluie me fait tourner la tête vers elle. Dans les moments d’ennui ou de réflexion je m’y perds. Rien de bien beau au-delà. Le mur de mon bâtiment fermant une impasse, la fenêtre donne sur cette dernière. Autour, des immeubles proches, la minuscule cour de mon voisin, des voitures en bas, des câbles en haut, des pigeons y sont perchés. Plus loin, encore des immeubles, parfois une grue. Je devine ce que je sais être, au-delà de ces immeubles, une partie de ma ville.
Pourtant, parfois j’observe la beauté d’un paysage urbain, perdue dans mes pensées. Un couché de soleil qui colore le ciel d’orange et de rose. Les gouttes de pluie sur la fenêtre. La bouillonnante vie citadine.
Il y a beaucoup de bruit, des cris en contre-bas, je n’arrive pas à dormir. Des gens saouls ? Je me lève et entrebâille le rideau, piquée par la curiosité, les lumières éteintes pour ne pas me faire voir, j’observe ce qui passe.
Beaucoup de fonctions à remplir décidément pour une fenêtre.
Fenêtre Rouiba
Il fait chaud, il fait beaucoup trop chaud. En attendant le déjeuner je vais nourrir la tortue. Je traverse la cuisine et ouvre la porte adjacente qui donne sur un petit balcon, tout en longueur. Je donne des feuilles de salade à l’animal. Je relève la tête vers la fenêtre. Ouverte pour laisser passer un peu de vent, des barreaux en métal courbés à quelques mètres du bord me cachent par endroit la vue. Au dehors, une grande cour, des voitures stationnés. La chaussée marron à cause de la poussière et de la terre, les traditionnels trottoirs aux bords colorés de bandes rouges et blanches. Des enfants jouent et crient, sur l’immeuble voisin du linge qui sèche et une profusion de paraboles. Je regarde la scène intriguée, m’imaginant le quotidien des habitants du quartier, comme ma tante. Quelle aurait été ma vie si mes parents avaient décidé de rester et continuer à vivre ici ?
Fenêtre voiture, périphérique
On roule, comme d’habitude en voiture je suis absorbée par ce qui se passe au-delà de la fenêtre. Dans ma musique, je ne prête aucune attention à ce qui se passe dans l’habitacle. On roule sur le périphérique, les panneaux, les bandes blanches au sol, les arbres défilent à toute vitesse. Parfois mon regard s’arrête sur une voiture qui nous dépasse ou une qui roule à la même allure dans la file d’à côté. Lorsque je me fais plus curieuse je sors de mes songes pour observer les gens dans les voitures autour. Seul ou à plusieurs, consciencieux ou sur leur téléphone. Je tourne la tête vers le devant de la route pour me repérer, où sommes-nous ? Je vois un panneau indiquant Porte de Clignancourt, on est bientôt arrivé. Dommage, une douce torpeur m’avait envahie. Je serais bien restée dans cette voiture à rouler, le couché de soleil commençant à poindre, avec ma musique dans les oreilles. Je sens la voiture ralentir, on est arrivé à la sortie Porte de Clignancourt. Au delà du pare-brise s’étendent les bouchons, les lumières rouges des phares arrières s’allument et s’éteignent au même rythme que l’avancé des voitures. Des Roms slaloment entre elles pour faire la manche. Un pont s’étend à gauche, toujours les mêmes affichent publicitaires se dressent à droite. Plus rien d’intéressant à constater, je replonge dans mes pensées.
Laura L.
Ça c’est Paris !
C’était aussi un exercice, ou un concours, je ne sais plus exactement si je cherche je retrouve, c’était à un moment où il fallait faire des images prises depuis quelque fenêtre et j’avais choisi la ligne qui tourne sur les boulevards de Philippe Auguste, mais celle du sud – encore que choisi soit un bien grand mot, je ne m’étais pas trop posé de question, mais j’avais emprunté un appareil photographique au fils de mon amie, la qualité du capteur je crois – le règlement stipulait douze millions, mon appareil n’en organise que huit – non, je me souviens bien, ce n’était qu’il n’y a pas si longtemps si tu veux voir, sans doute en quinze – regarder les informations sur le fichier, peut-être – des choses qui se passent, on prend le métro (je le fais tous les jours, et tous les jours si j’y pense, je prends une image – et puis là, c’est le mois de juin, il me semble) Nation-Etoile par Denfert. Il me semble me souvenir qu’il s’agit d’un trajet ouest-est, il me semble : d’habitude, je ne prends jamais le métro pour autre chose que de me rendre d’un endroit à un autre – lorsque je suis arrivé à Paris, soixante-treize, je le prenais pour lire, non que je n’aie eu de chez moi, c’était d’ailleurs chez ma mère avant que je ne m’en aille, mais le bruit et la lecture me plaisaient, je ne suis pas certain de la ligne mais comme à ces endroits, elle sort et domine les rues, c’est possible et puis « ça c’est Paris ! » a quelque chose de troublant (je me souviens de Joséphine Baker et de son régime de bananes, je me souviens de Juliette Gréco qui, comme dit une chanson peut-être cruelle, « avait encore son nez », la même immédiatement ensuite « Aragon n’était pas un minet » , le livre « Les voyageurs de l’Impériale » cadrait assez avec le trajet, toute cette différence des jeunes années probablement) Trocadéro, quelque chose, Passy et les escaliers qui vont au dernier tango à Paris dont j’agonis les frasques, la sonnerie, l’appareil que je ne connais pas, que je ne maîtrise pas, ses diverses dispositions, réglages positions dispositifs caractères, les portes fermées, l’avancée sur les voies qui ne sont plus des rails – cette ligne dispose de pneumatiques et le train n’y roule pas mais glisse - , se poster à gauche dans le sens de la marche, poser l’appareil sur la main gauche ouverte tandis que de la droite, on actionnera le déclencheur sans voir le cadre ( à l’aveugle peut-être), la Seine (« de nouveau, ruisselle d’eau bénite ») et puisque c’est Paris, la Tour Eiffel, je m’imaginais
aussi prendre en image la statue de la Liberté non pas à Ellis island mais un peu plus loin sur l’île aux cygnes en son sud, ici même du côté de la maison de la radio, clic clac,
c’était fait, une autre pour la doubler
la Seine la tour la statue, voilà des gens oui…
C’est un peu ce qui se passe aussi au Louvre, ou dans n’importe quel lieu qui présume, présage, présuppose une intention touristique affirmée : le populaire s’amuse, on pose sur une main ouverte la pyramide du Louvre, l’Arc de Triomphe du Carrousel ou le mont Saint-Michel, l’opérateur prend la photo qui raccourcit l’arrière et l’avant plan, le tour est joué : ici si je ne montre pas toute la photo, les mariés semble simplement se tenir dans une pose avantageuse, c’est un grand jour (« c’est le plus beau jour de ma vie » chantait Charles Trenet, qui aimait à faire l’idiot et y excellait, il faut bien le dire, « j’ai retrouvé mon chapeau ») il y a l’opérateur et son assistant, il se penche un peu en avant – j’aime beaucoup, énormément, le ton jaune de la jupe de la sœur de la (ou du) mariée à l’avant plan, elle regarde le métro qui file sur ses pneus, il fait beau, il fait chaud, ça c’est Paris…
Fenêtre papa
Il pleut. Le temps décrit les larmes de mon visage lorsque tu pars de la maison. Ton travail t’appelle, ta patrie te réclame et tu nous laisses tous les trois sur le pas de la porte. Derrière le carreau, je te regarde avec ton sac sur le dos mais tu ne te retournes pas. J’ai attendu longtemps, beaucoup trop longtemps derrière cette abominable fenêtre avant de te voir revenir plus maigre, plus fatigué et un peu plus abimé.
Fenêtre du train
Je vois défiler d’innombrables paysages dans le wagon de ce train vétuste et rudimentaire.
Nous sommes collés les uns aux autres, assis à trois sur des places de deux, tassés comme des animaux contre les vitres. Mais la fenêtre face à moi me fait oublier le cauchemar de la SNCF, les vues défilent et le temps passe à vive allure. J’oublie l’inconfortable, j’oublie l’incommodable, j’oublie même un instant d’envoyer une lettre pour me faire rembourser grâce à cette ouverture sur l’extérieur, ce petit trou de lumière qui me donne envie d’aller prendre l’air.
Fenêtre de la Bibliothèque
Cette fenêtre je l’ai appelé Germaine parce que je la côtoie chaque jour. Elle se trouve au troisième étage de la bibliothèque du 27 Rue Saint Guillaume. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle fait partie de mes plus proches relations. Elle me connaît par coeur : elle a vu le désespoir dans mes yeux, l’affaissement de mes épaules, mes expressions d’ennui et même les quelques sourires qui se dessinent à de très rares occasions dans ce milieu hostile. Cette fenêtre c’est à la fois la possibilité de voir le monde qui bouge pendant que je stagne sur mon exposé mais aussi un moyen révolutionnaire pour me coiffer lorsque quelqu’un s’installe en face de moi. J’aime cette fenêtre car elle est propre et transparente, contrairement à chez moi, sinon ça ferait longtemps que je ne travaillerai plus dans cet endroit.
Fenêtres
De mon quinzième étage, Paris est capturée par cette fenêtre plus grande que moi . Un échappatoire pourtant. De là, toute la ville s’y déploie. Ce sont d’abord les fenêtres éclairées qui sautent à nos yeux. Chacune est un tableau vivant. Famille à table, vieillard devant la télé, enfants qui font une ville Playmobil dans leur chambre. La nuit est noire. On entend le vent qui souffle. En se penchant, on aperçoit encore quelque passants à la taille de fourmis depuis la lueur des réverbères. Et puis quand on se perd au loin, c’est un amoncellement de toits. Des toits noirs à n’en plus finir. Quelques formes vagues s’en détachent. Un clocher d’église, le centre Pompidou, les invalides, la tour Montparnasse... Et au milieu la tour Eiffel qui scintille comme si elle gardait sur elle toutes les étoiles du ciel alors disparues. Quand j’étais petite, je restai là à regarder son faisceau de lumière qui passait et repassait en tournant. A chaque fois, j’avais l’impression que mes yeux pourraient capturer les particules aériennes de tout Paris.
Une immense porte fenêtre, voilà mon terrain de jeu. Et un parc, aussi, de l’autre côté. Un parc si grand qu’il fait presque toute l’immense fenêtre. Bien sur, pour aller avec le décor, Paris est gris, gris toujours. Moi je prends mes jumelles, je les ajuste à mes yeux comme si je réglais le volume de la télévision. Mon regard se pose sur un groupe faisant du yoga ou du taï chi, je ne sais jamais. Ce sont des femmes asiatiques, je les scrutes une à une. Elles ont des joggings flashy et des petites doudounes sans manches. Puis je suis un coureur qui monte et descend les escaliers. J’en profite ensuite pour regarder ces grandes pelouses vides. L’herbe y est presque marron. À côté il y a des bassins sans eau. Des flaques de boue y dessinent des œuvres d’art et des feuilles mortes s’y prélassent. Un jardinier est justement entrain de les ramasser lentement et péniblement.
Accoudée à la fenêtre de bus, je me réveille lentement. Paris est là aussi, qui s’étire. Il fait encore sombre, les magasins sont fermés. Je vois quelques personnes qui passent comme des flèches en vélo. Instinctivement mes yeux se ferment. Je me réveille en sursaut. Déjà les réverbères se sont éteints. c’est à ce moment précis ou on ne sait pas encore si c’est le jour ou la nuit. mes yeux collés suivent du regard des enfants qui tentent d’attraper le bus. Petit à petit, les gens se font de plus en plus nombreux. Les arrêts sur image se font de plus en plus nombreux. Les voitures nous encerclent. Et puis, j’aperçois la Seine, toujours là, fidèle à elle-même et à sa couleur habituelle. Je contemple les façades, elles sont toutes pareilles et en même temps toutes différentes. Il suffit d’un balcon agrémentés de plantes. Un à un les commerces s’ouvrent. A travers ma fenêtre, j’en sentirais même l’odeur du pain chaud de la boulangerie. D’un coup, je sors de mon état de végétation, je reviens à la réalité, mon voyage est terminé, je suis arrivée.
Ma fenêtre est ouverte. Je ne sais pas quoi faire, pas quoi penser, alors je tape, tape, tape. Les mots courent et s’alignent comme des fourmis sur le fond blanc d’un mur. Cette fenêtre est vide comme mon texte. Elle ne donne rien. Elle est sans sens. Et pourtant je continue. A un moment, je m’arrête comme lessivée. mon regard lentement ondule entre les lignes. J’en viens à me promener entre l’adresse et la barre d’outils. Une petite flèche fait défiler les menus pour laisser couler le temps. Et puis, je me dis ça y est, je m’y remet. Et la fenêtre, continue sa lente transformation. petit à petit les mots dansent sous mes yeux. Ils sont beaucoup, tout se noircit. Et puis plus rien. Blanc.
Camille-Ann L.