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Contacts successifs #38

Entre deux averses

Jouer avec la lumière, les mouvements des nuages dans le ciel, l’anticipation de leur déplacement, le contraste entre le bleu d’une partie du ciel et la gamme de gris des nuages qui s‘agglomèrent en couches successives, amas et superpositions, en perpétuelle transformation. Marcher d’un bon bas pour tenter de maintenir cette avance sur l’obscurité des nuages. Se demander s’il existe une vitesse des nuages et si, comme on dit lorsque la mer monte au Mont-Saint Michel, qu’elle progresse à l’allure d’un cheval au galop, on peut avancer au rythme des nuages. Marcher à leur vitesse. En suivant le déplacement de leurs ombres éphémères sur les trottoirs. En toile de fond, derrière les bâtiments éclairés par la lumière frontale, ces nuages soulignent les formes des immeubles, de leur architecture, leurs lignes directrices, renforçant leur aspect un peu factice de décor de théâtre.

Paris, 12 février 2024

Entre les lignes

Anne est passée à la bibliothèque. Nous avons discuté d’écriture, de lecture et de questions éditoriales. Dans le livre qu’elle a rendu, une collègue me prévient après son départ qu’un papier y a été oublié. Comme il s’agit de l’ouvrage qu’elle vient de rendre et dont nous avons parlé sommairement, je me demande si le papier oublié à l’intérieur est bien à elle, une feuille qui lui a sans doute servi de marque-page en même temps que de support pour prendre des notes. Je crois reconnaître son écriture sans en être tout à fait sûr. Au milieu du texte dont je ne parviens pas à comprendre le sens précis, que je ne cherche à déchiffrer que pour confirmer mon intuition qu’il s’agit d’un mot écrit de sa main, deux lettres attirent mon attention : DK comme Dita Kepler « enfermée dans une boucle et comme elle essaye d’en sortir. » Je me mets à songer à ces mots qu’on pourrait échanger secrètement à l’intérieur des livres. Entre les lignes. Comme un service de Poste restante à la bibliothèque. Je crois d’ailleurs me souvenir qu’à une époque pas si lointaine Anne s’amusait à déposer dans certains livres de la bibliothèque des messages à caractère informatif et littéraire. Comme ces trèfles à quatre feuilles qu’on faisait sécher enfant à l’intérieur des livres, qu’on oubliait là, surpris de les retrouver par hasard, en ouvrant à nouveau le livre, par chance, quelques années plus tard.

Digitalisation des points de vue

Un homme s’assoit en terrasse du café qu’il gère face à un autre homme qui a posé sur la table devant lui une tablette. Il pose avec une certaine solennité les deux mains autour de l’objet et prononce cette phrase : il est question tout d’abord de digitalisation des points de vue. Je passe à leur hauteur dans la rue, je n’entends que cette bribe de phrase, mais elle m’intrigue. Je la note sur mon magnétophone numérique. En arrivant chez moi je ne l’ai pas oubliée. Digitalisation des points de vue. Je perçois d’emblée le sens de cette adresse. L’homme est un représentant qui cherche à fourguer sa marchandise communicante. Le point de vue en question est celui du point de vue marketing et vente. Digitaliser son entreprise signifie l’associer à une expérience en ligne. Par exemple, une borne tactile peut être intégrée au sein d’un centre commercial ou des caisses automatiques peuvent être ajoutées au sein d’une boutique. Nous sommes loin de la fin des points de vente physiques qu’on prédisait il y a dix ans, Les enseignes physiques ont toujours la côte et elles se digitalisent pour attirer toujours plus de consommateurs. Voilà de quoi il lui parle. Mais pour moi digitalisation des points de vue a un tout autre sens.

Paris, 2 octobre 2016

Révélation

Les branches nues des arbres du jardin se balancent dans le vent qui se lève. Je regarde leur danse lancinante, maladroite et gauche. Leur lente oscillation dynamise le paysage de ce jour gris. Dans ce mouvement, je ne remarque pas tout de suite l’imperceptible changement qui s’est opéré sous mes yeux. Je suis distrait par ce mouvement régulier des arbres qui anime le paysage et trouble ma vigilance distraite. L’impression d’un vide, d’un manque. Une absence que je n’avais pas encore perçue. Je regarde plus attentivement. Derrière la haie du jardin de mes voisins, le balancement des arbustes n’est pas le même que celui des arbres qui les entourent. Je m’attarde un instant sur eux. La silhouette d’un homme surgit par intermittence entre les feuilles. Il vient de couper à mi-hauteur le bambou aux feuilles d’un vert légèrement argenté qui apportait jusqu’à maintenant sa touche colorée dans l’hiver du jardin. Je le comprends seulement maintenant.


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