Chacun de mes voyages à Marseille est l’occasion de photographier cette ville que j’aime, car elle est toujours en chantier.
Quand on me demande ce qui m’attire dans cette ville, je parle de Caroline, des origines méditerranéennes de mon père, certains quartiers proches de la gare Saint-Charles m’évoquant, sans y être jamais allé, les rues de certaines villes d’Algérie où mon père est né et a vécu toute sa jeunesse.
Sortir se promener et sans réfléchir, sans y penser, emprunter les rues, ruelles, traverser les avenues et les places que nous avions suivis, avec Caroline, en compagnie d’Esther, Guillaume et leur fille Rachel.
L’émotion d’entendre la voix de mon amie au téléphone. Combien de mois sans se voir ? Des années ?
Surprise de découvrir certains quartiers de Marseille dont les travaux que l’on a l’impression de toujours avoir connus, sont enfin achevés. Le tram glisse lentement sur les rails et les pavés, long serpent sinueux, avant de remonter le boulevard Longchamp.
Dans d’autres endroits, la route est béante, en chantier. Des mois que cela dure, à ciel ouvert.
Étrange d’acheter le journal local parce que nous savons que l’intervention à laquelle nous participons est mentionnée à l’intérieur. Ouvrir le journal La Marseillaise en marchant et découvrir à la première page qu’on ouvre son visage en gros plan. Avec ce titre qui nous fait refermer le journal instinctivement.
Sur le trottoir aux larges pavés lisses, les feuilles très sèches des platanes craquent sous nos pas. Leur odeur automnale n’a rien à voir avec celle de Paris où il pleut plus souvent.
Anne et moi logeons Pension Edelweiss, rue Lafayette, pour elle qui évoque souvent cette rue parisienne et qui lira jeudi soir au théâtre des Bancs Publics un passage de Décor Lafayette, c’est amusant. De mon côté, je découvre que c’est précisément là qu’habitent mes amis Guillaume et Esther. Je ne m’en souvenais pas.
Sur la Canebière, Anne et moi nous nous arrêtons pour photographier une grande roue dont l’incongruité de l’emplacement nous fait rire. Au moment où Anne sort son appareil pour la prendre en photo, deux jeunes filles traversent son champ de vision et lui demandent si elle veut les prendre en photo. Anne s’exécute immédiatement, sans hésiter, ravie. Elle me montre ensuite le cliché. Magnifique.
Cette volonté enjouée d’apparaître sur la photographie d’une parfaite inconnue m’étonne et me laisse songeur. J’imagine que Facebook n’est pas loin.
Quelques mètres plus loin, l’affreux Centre Bourse, c’est là me dit Anne, qu’il y a les Galeries Lafayette. « Refuges bizarres pour rêves de femmes, les grands magasins : ces zones de désir autorisé. »
La variété des paysages à Marseille en écho à ses habitants, selon les heures, les quartiers, les saisons.
Il y a match de foot ce soir, et la ville est peu à peu envahie de supporters turcs venus défendre les couleurs de leur équipe, Fenerbahçe, avec leur maillots rayés jaune et noir. L’ambiance est bon enfant pour l’instant. La nuit tombe lentement. Je rentre chez moi. Je souris en disant cela.
La lecture d’Anne Savelli accompagnée de Jean-Marc Montera est tout simplement magnifique, le texte Décor Lafayette est un extrait du livre à paraître aux éditions Inculte. La lecture d’Anne permet de saisir les moindres subtilités du récit, le trajet de cette femme, rue Lafayette :
« Du monde, tant de monde massé devant elle et elle qui se mêlait à ce monde, l’attirait, le jetait, reprenait sa place sur scène. Depuis dans le quartier on la reconnaît et les passants en la croisant la voient partout. Tout à l’heure, sur le boulevard Haussmann près du 1, rue La Fayette, ils se multiplieront. Ils lèveront la tête, la détailleront, elle le sait. L’écouteront peut-être. C’est tout ce qu’elle espère à l’instant, il lui faut du calme. Le désir qu’elle suscite l’encombre. »
Quelqu’un nous fait remarquer que nous travaillons beaucoup sur les trajets. Les parcours. C’est juste. Anne a longtemps écrit en marge de ses horaires de travail, le temps des trajets. Elle écrit comme en marche, en voyage.
Et mes trajets à travers la ville, dessinent des lignes de désir. Cécile Portier est à nos côtés, ce soir. Pour elle aussi, même parcours.
Anne est heureuse, enjouée, la démarche légère et aérienne. Elle voudrait ralentir nos pas pour remonter la rue Lafayette, dans la nuit douce et calme, comme pour ralentir cet instant, en profiter le plus longtemps possible, le savourer jusqu’au bout, le faire durer, comme tous ces instants passés ici, à Marseille. Un temps suspendu, entre parenthèses.
Vendredi nous intervenons ensemble pour parler de notre livre numérique Laisse venir, comme nous l’avons fait en arrivant mercredi soir à La Friche Belle de Mai, à l’invitation de La Marelle, pour enregistrer une émission avec Pascal Jourdana sur Radio Grenouille.
Je parlerai également de Publie.net, PubliePapier et de la revue d’ici là à cette journée organisée par Alphabetville sur Les écrits du numérique.