Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.
Anima Sola #24
Je me maintiens au bord de l’eau, au bord du rêve. Je ne parviens pas à me dépoisser du sommeil. Je comprends le plaisir de se passer la main dans les cheveux. Je ne pense qu’à une chose, me retrouver seule. Je ne supporte plus toutes ses moindres attentions, prévenances et sourires, mots doux et regards complices. J’anticipe le désir lancinant de me retrouver seule. D’autres que moi doivent également ressentir cela. La solitude est enviable. Mais je dois reconnaître qu’en ce moment je me mets à pleurer sans raison. Je ne sais pas retenir mes larmes et je me laisse submerger par toutes ces incroyables poussées d’émotion qui m’assaillent sans cesse. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. Je me retrouve avec eux de nouveau face à face, toujours aimables, polis, et étrangers. J’ouvre, une salle bleue, puis un corridor, puis un escalier avec un tapis. Je découvre un revolver dans le tiroir du secrétaire. Je connais son air de dédaigneuse surprise. Je lui promets de lire un roman. Je reconnais cette espèce de témoins pleins de tendresse. Je redoute la peur, presque comme une envie de vomir. La nuit est tombée. J’admets que ce doit être bien difficile de tout prévoir à l’avance. La pluie continue à tomber, les gouttes d’eau ricochent sur la surface translucide de mon parapluie. Je vois leurs ondes se former au sol, tandis que les lumières de la rue sont éclaboussées dans les flaques par leurs reflets. J’arrive à un carrefour, je cherche ma direction. Et soudain, un son tremblotant m’interrompt. C’est une voix frêle que j’entends dans le tumulte de la circulation nocturne. Une voix privée de toute signification qui prononce des paroles incompréhensibles. Une voix sans âge ni sexe qui vient de loin, d’une silhouette inaccessible qui se devine à peine dans la pénombre d’une ruelle, sous la pluie qui redouble, comme une flamme qui vacille, une fente qui s’entrouvre, la frêle feuille d’un arbre qui tremble. Elle semble venir d’un autre temps, à une époque où ce quartier n’existait pas encore, sans doute n’était-il qu’un terrain vague, terre boueuse et vallonnée, où personne n’osait s’aventurer sans craindre pour sa vie dans ce lieu abandonné. C’est une chanson qui revient à travers les âges, sa mélodie m’accapare par saccades. J’ai l’impression d’entendre dans cette mélopée un ensemble indistinct de nombreuses autres musiques que je peine cependant à reconnaître mais qui, en s’assemblant les unes aux autres, virevoltantes et dansantes, me racontent une histoire que je croyais avoir oubliée, laissant en moi, avec ses notes, la trace du passage d’un temps que je n’ai pas connu mais qui m’interpelle et que j’interprète à mon tour en chantonnant cet air. Je retiens cette cadence heureuse où peuvent enfin entrer les mots, des lambeaux d’images. Le trottoir est désert mais je ne suis plus seule. Je me sens différente. Je franchis une flaque plus profonde que les autres. Je décèle sur mon visage comme un oubli. Il change encore une fois comme si la lumière, par ses infimes variations, pouvait le transformer de l’intérieur aussi bien qu’il le fait pour un œil étranger. Je pardonne alibis, hasards, erreurs possibles.
« Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. »
Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXème siècle - Le Livre des Passages, Cerf, 2006.