C’est toujours de nouveau la même chose, toujours de nouveau la même chose.
Franz Kafka, Journal, 10 août 1917
La nuit ne se connaît plus
Je ne comprends pas tout de suite ce qui m’arrive, c’est comme si je m’entendais. Chaque mot est relié à un autre mot par l’intermédiaire d’un autre mot et d’un autre mot, lui-même relié à un autre mot relié à un autre mot. Ne pas attendre, ne pas dépendre. Disparaître dans les ondes, comme si un mur était une masse d’ouate dans lequel on pouvait être capturé pour toujours. On se remet de tout, de presque tout, simple question de montage, il faut trouver le bon début et la bonne fin. Se faire, sans cesse, limite, mur, rempart, séparation. Peu à peu le temps réel s’adapte au temps sanguin. Quel est ce bruit qui monte dans les signes tracés sur la glace et le souffle du vent ? Pas que maintenant, dans le moment présent, mais depuis le début. Il n’est plus temps de s’excuser. Tout vibrant de vivre et d’entendre. Les hasards s’accumulent au-dessus des uns, tandis que les autres passent leur vie dans une invisibilité quasiment complète. Dans l’incertain, à la poursuite du réel. Ses plis retiennent le temps et chacun de ses replis. La nuit ne se connaît plus. Où se situe, dans la mémoire, la frontière entre la vision d’images et l’expérience vécue, comme on dit. Tout cela résonne d’une étrange musique. Vouloir s’en saisir c’est déjà la voir échapper. Cherchant du corps et du regard une possible fuite. En temps réel, comme on dit. Au départ, c’était un simple sentiment de flou. Seul le même peut agir sur le même. Cela et le besoin d’en finir. Soudain on se retrouve dans un monde autre. Le temps d’une autre fraction de seconde. On avance de biais. Le gris vibre, il n’en finit pas de s’évanouir. Dans cette obscurité au fond de nous, d’où vient cependant la lumière. Puis les voix se sont tues et le silence s’est fait. La lumière s’était modifiée dans la pièce. Ici s’arrête le monde selon l’aveugle. La délicatesse de l’ombre. Comme dans son souvenir, comme toujours.