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La fenêtre comme point d’origine du regard

La photographe américaine Gail Albert Halaban a trouvé, à Paris, pour son projet Vis-à-vis, des points de vue sans perspective qu’elle a cadrés comme autant de morceaux choisis de la ville. Vis-à-vis est le portrait d’une ville à travers ses habitants dans l’isolement de leur habitat, leur cadre de vie.

« Le processus de fabriquer les photos lie un voisin à l’autre, permettant ainsi de lutter contre la solitude et l’énormité débordante de la ville.les habitants se rencontrent et se parlent au cours de la création. Bien que les clichés semblent voyeuristes, ce projet concerne surtout mon désir de trouver une harmonie avec mes sujets et leur propre désir de former une communauté avec leur voisinage. »
 [1]



Ces photographies font penser à la série Neighbors d’Arne Svenson qui avait pris à la sauvette, un immeuble aux parois de verre dans le quartier de Tribeca à New York, en face de chez lui, des images au téléobjectif de ses voisins new-yorkais.

Neighbors, photographie d’Arne Svenson

Dans Shame de Steve McQueen, Michael Fassbender voit depuis chez lui, avec le même point de vue, des couples faire l’amour contre les vitres d’un hôtel new-yorkais.

Inside Views, photographie de Floriane de Lassée prise à Istanbul

La photographe Floriane de Lassée a construit entre 2004 et 2011, une série baptisée Inside Views, qui confronte dans une troublante fusion des plans l’immensité des villes à l’intimité de ses habitants. Une sélection de ces images avait été diffusée dans le numéro 9 de la revue d’ici là consacré au thème de la nuit, sur Publie.net.



La séquence d’ouverture de Rear Window d’Alfred Hitchcock se présente comme un prologue du film, elle nous fait découvrir le protagoniste dans son cadre familier, et présente la situation du personnage principal à partir d’une série d’hypothèses sur lui tout en amorçant dans un même temps la thématique du regard, central dans ce film. Tout est vu mais presque rien n’est dit, en dehors de ce qu’on entend à la radio. L’environnement extérieur est observé depuis la chambre du photographe, immobilisé devant sa fenêtre suite à un accident, point d’origine du regard. Mais lui ne voit rien encore, car il dort. Ce qu’on voit n’a rien à voir avec ce qu’il verra et nous fera voir, dès qu’il aura ouvert les yeux et se mettra, en photographe, à regarder avec attention l’activité de sa cour d’immeuble, à observer ce qui se passe derrière les fenêtres grandes ouvertes de ses voisins, en ces journées caniculaires.

Night Windows, Edward Hopper, 1928

Comme dans de nombreux de ses films, Alfred Hitchcock fait référence aux œuvres d’Edward Hopper, et notamment dans Fenêtre sur cour, dont certains plans rappellent des peintures comme Night Windows ou Room in New York, dans lesquelles le peintre américain se plaisait à peindre des scènes intimes vues à travers les fenêtres de bâtiments aux fenêtres ouvertes, éclairées à la nuit tombée.

Fenêtre sur cour (Rear Window), d’Alfred Hitchcock, 1954

Dans le film d’Alfred Hitchcock, l’espace s’organise autour d’un échange, d’une communication, entre un intérieur et un extérieur, le regard entre et sort à plusieurs reprises par la fenêtre. La fenêtre est à la fois poste d’observation et lieu d’ostension, dans les codes littéraires et picturaux, comme dans ceux du cinéma d’ailleurs. On s’y montre, on y apparaît cadré. La fenêtre évoque par son cadre l’écran de cinéma ou de télévision, comme le décrit bien bien Raymond Bozier dans Fenêtres sur le monde.

Version colorisée d’un dessin de Bertall gravé par Lavieille,
couverture de l’édition de poche du roman de Georges Perec La vie mode d’emploi

Pour concevoir son roman La vie mode d’emploi Perec convoque la coupe d’un immeuble, nous le présentant sans façade, nous permettant de voir ainsi directement l’intérieur des pièces. Il en a publié le projet dans Espèces d’espaces en 1974 : « J’imagine un immeuble parisien dont la façade a été enlevée – une sorte d’équivalent du toit soulevé dans Le Diable boiteux ou de la scène du jeu de go représentée dans le Gengi monogatori emaki – de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les pièces qui se trouvent en façade soient instantanément et simultanément visibles. » Chaque objet, chaque souvenir attaché à une pièce, chaque personnage, créent autant d’histoires parallèles qui finissent par s’assembler en un puzzle géant.

Et c’est bien ce qui apparaît dans les images en vis-à-vis de ces différents photographes se plaçant à la fenêtre pour travailler, observer, des histoires de la ville et de ses habitants façon puzzle.

[1Fenêtres sur la ville, entretien avec Murielle Bachelier, À nous Paris, 20/03/15.


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