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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #30

La nuit est un long chemin qui serpente dans les sous-bois, quelques flaques d’eau forment des miroirs au sol. La brume épaissit à mesure qu’on avance. Le paysage se transforme lentement. Difficile de voir à quelques pas devant soi, parfois une lumière vacille au loin, tremblante à peine, cela ressemble à un signal secret, un repère dans la nuit, on pense s’approcher du but, à destination, mais c’est une illusion passagère, lumière chavire avant de basculer dans le noir. La nuit s’obscurcit toujours un peu plus. Bleu nuit sur fond noir. Les troncs et les branches nues des arbres se confondent dans les dernières lueurs bleutées du jour. La nuit se referme sur nous dans un bruit sourd. À peine un murmure. Dans la pénombre les souvenirs de la veille me submerge sans prévenir. Je donne rendez-vous aux moments les plus inattendus, sans horaires prévisibles. Dans le désordre des émotions du jour. Je souligne des passages, des morceaux si nets dans ma mémoire.J’espère une main caressant un cou, la fin d’un baiser. J’entends de belles paroles et de promesses à distance. J’articule comme si chaque mot était une bouchée qu’il fallait savourer longuement. Je me reconnais dans ce jeu absurde où l’on pousse les choses à l’extrême. Je souris avec un absurde sentiment d’espoir. Je m’éparpille en une perpétuelle confusion d’actes et d’impressions. Dans la nuit, le moindre bruit attire l’attention. Je vois des ombres s’agiter au loin, du mal à les distinguer, on dirait qu’elles oscillent en avançant vers moi d’un pas décidé, se déplaçant sur plusieurs plans différents, papiers calques qu’on superpose, laissant leurs traces fugitives se contrefaire. Ces silhouettes évasives envahissent tout l’espace, brouille la vue. Je suis troublée. Je délire à cause de la fièvre ou de la fatigue. Je ne sais plus où je suis. Leurs chuchotements s’unissent aux froissements des feuilles, aux craquements des brindilles. Des mots se perdent dans la nuit pesante, son souffle suspendu. C’est un secret que je dois garder. Je suis sensible à la présence visible de la musique. Je reste un instant sans bouger, regardant ce qui se passe autour de moi, essayant de saisir ce qui m’échappe, mais c’est impossible. Il est trop tard. La nuit est la nuit. La nuit est la matière nocturne. Je regrette ce moment de répit absurde. Je me couche dans une aube tremblante, au bord d’un temps plus clair. Je tente de saisir ces dessins de hasard que font les branches et les feuilles. Je ressens comme un creux, un passage à vide. Je ne regrette aucun changement, aucune résignation. Je disparais dans une indifférence presque agréable.

« Tant mal que pis encore et tout dans l’écarquillé encore. Tout d’un seul coup comme jadis. Mieux plus mal tout. Les trois courbés. L’écarquillé. Le vide étroit tout entier. Nulles taches brouillées. Tout net. Net obscur. Trou noir béant sur tout. Absorbant tout. Déversant tout. »

Samuel Beckett, Cap au pire, traduction d’Édith Fournier, Éditions de Minuit, Paris, 1991.


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