
Le réel jaillit à la moindre commotion du dehors avec notre horizon intérieur.
Pierre Cendors, L’horizon d’un instant, 2023
Chaque fois la fin du monde
Longtemps, je ne me suis souvenu de rien. Dans le miroir, un autre miroir, un lustre et une fenêtre. Quelque chose d’installé, d’immobile, de permanent, avant de partir encore. En passant dans le devenir, dans une autre flèche du temps, on change de sens. Il faut prendre le temps de comprendre. Pour le dire autrement, si les douleurs sont floues, c’est que la violence est rusée. Une envie distante, incapable d’atteindre ce moment où les sentiments s’emparent du corps et en font ce qu’ils veulent. Soudain on se retrouve dans un monde autre. Le temps d’un rêve, un silence mutuel, avec le bruit du vent nocturne dans un seul arbre de la steppe, pareil à un chuchotement. L’impression de rien avoir en commun avec celui-ci. Devançant l’ultime chaos. La sensation d’être à la bonne distance du monde. Un rapport de simple spectateur. Un jeu de dupes un autre temps, chaque fois la fin du monde. La fenêtre devient une porte. Il n’en restait plus en surface qu’une trace. C’est difficile de démêler les remords des regrets. On ne peut pas tout dire ou tout montrer, souvent on oublie que l’ombre est aussi essentielle à la vie que la lumière. Mais déjà, le cours de la lumière s’inverse. Il faut mettre des parenthèses. Il faut prendre le temps de comprendre. Le problème de cette mise à distance, cette découpe du réel de nos corps, c’est que ça va rester en nous, comme petite habitude de la dissociation. Comme une matière obscure, comme les trous noirs de l’espace, il y a aussi un lieu qui attire des possibilités qui ne se reproduiront plus. Il y a des contradictions qu’on accepte. Plus jamais de chasse au trésor. De ce sentiment éprouvé dans l’instant de la découverte. L’essentiel n’existe qu’à peine. Je referme la porte derrière moi. Comme un appel lancé dans le brouillard par un voyageur égaré. Au dehors le jour semble la nuit incognito l’un peut passer pour l’autre. Ce que nous voyons surgit de la masse noire. C’est une éternité.