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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #21

J’ai l’impression qu’il m’effleure parfois le visage de ses doigts. Les yeux fermés j’essaie de disparaître sous cette caresse. Je suis une statue qui ne ressent plus rien. Immobile, je reste de marbre. Insensible, ailleurs. Les images s’emparent immédiatement de moi, m’accompagnent et me consolent. Je vois un lièvre qui court derrière un tigre endormi. J’entrevois le tremblement presque furtif des feuilles de l’arbre. Je m’enfonce dans la vie. Je joue un rôle dans cette comédie. Je crois que ce n’est pas les mots, c’est ce qui est dans les mots. Je chante cette note sourde et brève qui m’a fait penser à un cœur qui éclate. J’admets la dérision de vivre comme un mot entre parenthèses. La violence d’un geste n’est rien par rapport celle des mots qui s’insinue en soi au point de vous faire croire qu’ils émanent de vous, que vous en êtes la cause. Le geste est extérieur, il vous blesse, vous cogne, vous frappe, le mal est à la surface, il peut se guérir, s’adoucir avec le temps. Les mots entrent en vous pernicieusement, ils n’en sortiront plus. J’adore l’incroyable obscénité de ses phrases. Je connais ce manque de grandeur. J’anticipe le retour en silence, le sourire de pardon. Je me limite à ce qui devait arriver. Je passe, la suite était facile à prévoir. J’étouffe. Je pivote de corps et de visage. C’est une apparition, un accident imprévisible, un signe qui m’arrête en chemin, happe mon attention, un temps distrait, mais mon corps ne le perçoit qu’avec un peu de retard sur l’œil toujours aiguisé, aux aguets, forcé de se retourner, de se reprendre, mais il ne voit plus rien. Nécessité de rebrousser chemin. En quelques pas, revenir au point d’apparition, prendre un nouveau départ, la rencontre aura lieu finalement. Échange de regards qui se dilate à travers le temps. Derrière une vitre. Un regard, une absence de regard qui me regarde encore. Elle est là sous mes yeux, je la revois, je n’y croyais plus. Mais elle disparait pour réapparaitre ailleurs, une autre, semblable. L’anamorphose a lieu, troublante. La rencontre est factice. Je m’en rends compte rapidement. Ce n’est qu’une illusion d’optique, erreur d’appréciation passagère qu’il faut vite corriger. On peut se tromper en amour, s’accrocher à des sentiments versatiles, s’enchaîner à leurs fils invisibles, leurs liens factices. Je dis les miroirs sont fidèles, mais je ne ressemble pas au visage qui me fait face dans le miroir. Un visage fuyant qui s’efface derrière des filtres, des films plastiques, des vitres occultantes, un jeu d’ombres et de lumières, une fine résille qui tresse ses filets, une fumée derrière laquelle disparaître en nuée, un masque qui m’empêche de respirer, une trop forte luminosité qui efface les traits de mon visage en une flaque lumineuse, aveuglante, d’un vif éclat blanc qui attire toute l’attention. Je fréquente une fille qui s’enduit le visage de blanc de céruse. Son visage me fait parfois le même effet fantomatique. Je reviens dans la chaleur de la nuit, le silence des rues. Je me penche comme si mon corps était au bord de la fuite.

« Il faut se servir des moyens qui sont familiers aux temps que vous vivez ; sans cela, vous n’êtes pas compris et vous ne vivez pas. »

Eugène Delacroix


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