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Exposition photographique de Paul Graham au Bal à Paris

Le Bal présente le travail de Paul Graham, figure majeure de la scène photographique britannique, du 14 septembre au 09 décembre 2012.

Quelques mois après la rétrospective que lui a consacrée la Whitechapel Gallery de Londres et le Museum Folkwang à Essen, Le Bal présente deux séries de Paul Graham : Beyond Caring (1984-85), travail réalisé au début de sa carrière, dans les bureaux de la sécurité sociale britannique sous Margaret Thatcher et The Present (2011), exposée pour la première fois en France, dernier volet d’une trilogie américaine initiée avec American Night (1998-2002) et A shimmer of possibility (2004-2006).

Avec Beyond Caring, Paul Graham inaugure au milieu des années 1980 un langage visuel hybride, faisant un usage inédit de la couleur et d’une prétendue absence de style réaliste, pour montrer l’attente des chômeurs dans les centres sociaux en Grande-Bretagne.

Son intention : « prendre les tropes les plus éculés du photojournalisme et les faire entrer à coups de pieds et avec des pleurs dans une nouvelle ère photographique ». Les cadrages aléatoires, fracturés de corps résignés, accentuent l’aliénation du cri social. Une image, c’est une affirmation, deux images, c’est une infinie de possibilités.

Comme dans la série photographique Beyond Caring, Paul Graham relève, avec The Present, le défi de rompre avec l’instant unique pour aller vers le mouvement de la vie.

Cette série rappelle le travail des photographes de rue, les grands maîtres américains de Paul Graham : Harry Callahan, Lee Friedlander, Garry Winogrand. The Present honore la frénésie de la rue new-yorkaise et son flux cacophonique de personnages, enseignes, signes et gestes.

Quand on entre dans la salle d’exposition du Bal on découvre cette citation de Wallace Stevens, extrait de "Tea at thé Palaz of Hoon" écrit en 1923 :

« J’étais le monde que j’arpentais et tout ce que je voyais,
Entendais ou ressentais n’émanait que de moi :
Et tout à coup, je me suis senti plus vrai et plus étrange. »

C’est un choix. Un point de vue original. L’emplacement de la prise de vue est primordial. Tout est là, inscrit là, en creux. J’étais le monde que j’arpentais et tout ce que je voyais. La ville s’offre en spectacle, dans la lumière de son effacement, dans son défilement ininterrompu. Se placer à un endroit précis où le soleil dessine l’espace, entre la rue, et ses trottoirs, les murs des immeubles, les vitrines des magasins aux signes éclatants, éclectiques, le coupe, en cadre l’image, plongeant le reste de l’endroit dans la pénombre, l’indifférence. Il suffit d’attendre un peu. C’est en train de bouger, de vibrer. Attendre qu’une personne entre dans le cadre qu’on a délimité, un coin de rue, qu’il attrape la lumière et soit prise au piège du rayon lumineux. Compter dans sa tête en silence, c’est un jeu de l’enfance, un deux trois soleil, le temps que ça dure, une pause, un temps, au ralenti. Une minute de silence ? Faire le point sur une personne, l’isoler de la foule, avant de s’intéresser à la suivante, renvoyant la première au flou artistique, à son néant existentiel. La ville bouge, change, évolue. La ville est vivante, vibrante. Les passants s’y affairent, anonymes et confus. Les voitures filent à vive allure. Ils traversent la rue en courant ou d’un pas pressé. Une deuxième personne entre à nouveau dans l’espace choisi scrupuleusement par le photographe, coincé dans le rai de lumière, comme sous le coup de son projecteur, qui met soudain cet espace en évidence, et c’est à cet instant précis que la photographie est prise. Une forme de révélation, de miroitement de perceptions. Un présent.

J’étais le monde que j’arpentais et tout ce que je voyais. Entendais ou ressentais n’émanait que de moi. Entre ces deux clichés, c’est tout un monde qu’on ne voit pas, qu’on devine à peine, toujours en mouvement. L’entre-deux. Une scène et son double immédiat se livrent sous forme de diptyques (ou triptyque). Ce qui ne s’arrête pas, dont le fil est tendu comme un rayon du soleil. Un flash ? La tension entre les deux crée un mouvement, un sens de lecture, une force, une harmonie ou un chaos terrible. Mais le cadre n’est pas fixe, comme la ville des villes, et comme sous cette lumière le cadre bouge sans cesse, fluctuant et mobile, donnant à ces photographies, une vie autonome, un léger tremblement, et quelque chose de cinématographique. Un début de roman.

Ce qui se passe entre ces deux moments est au centre même de cette photographie. Ce qui entre dans le cadre de l’image, ce qui se passe entre deux instants. Je ferme les yeux. Tout ce que je vois tient dans les deux images qui ponctuent cette absence, entre parenthèse. Dans la marge de la ville, ces souterrains visibles. Je ferme les yeux, et je vois tout. Ellipse et laps. Ce qui s’y passe et ce qui ne passe pas. Tout ce que l’on ne voit pas. le fil du temps. Le temps qui passe. J’étais le monde que j’arpentais et tout ce que je voyais. Entendais ou ressentais n’émanait que de moi. Et tout à coup, je me suis senti plus vrai et plus étrange.

Les allers et retours d’une image à l’autre nous invite à appréhender ce qui se joue entre elles. Graham procède de manière revendiquée, explicite, au prélèvement de tranches de temps. Pour le photographe, c’est là que se situe le présent.

« Avec elle, on touche au point nodal de la photographie, déclare Paul Graham : l’écrivain est travaillé par l’angoisse de la page blanche. Le photographe est, au contraire, submergé par un flux permanent de choses prêtes à être photographiées. Postez-vous dans la rue et ça n’en finit jamais. Ça vient à vous, tout le temps, de partout. Le problème est de savoir qu’en faire. »

Paul Graham place directement son public face à une question aussi essentielle que problématique : qu’est-ce que le présent ?

« Une photo qui a pour but de capturer l’essence d’un moment, d’un personnage ou d’une situation souvent échoue alors qu’une photo qui ne se veut rien de plus qu’un memento peut étrangement y parvenir. Faire ce constat avec lucidité et sans préjugé permet d’aller plus loin puisque rien ne s’établit de soi-même par la technique, les principes photographiques ou même la sincérité de l’intention du photographe. »

« Paul Graham, écrit Rémi Coignet, conserve dans ses images la neutralité distante de l’observateur. »

The Present prend place au sein de l’œuvre de Graham de manières multiples. Le livre forme le troisième volet d’une trilogie américaine débutée avec American Night et A Shimmer of Possibility. Si le propos semble moins directement politique, ce dernier volume apparait néanmoins comme une forme de synthèse.

« La question du visible et de l’invisible d’abord, poursuit Rémi Coignet : significativement, la figure de l’aveugle est un motif récurrent de The Present quand l’aveuglement était le thème central d’American Night. Celle de la possibilité de la narration photographique ensuite : les diptyques et triptyques du livre forment par leur aspect lapidaire des nouvelles photographiques plus radicales encore que celles de A Shimmer of Possibility. »

Paul Graham, exposition au Bal du 14 septembre au 9 décembre 2012. Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris.


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