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Entre Little Odessa et Coney Island

Curiosité du calendrier, il y a trois ans, Daniel Bourrion et moi échangions textes et photographies pour les vases communicants de mai 2010. Je recevais son texte Ruines écrit à partir de photographies prises en Normandie, à Édenville, dans la Vallée des peintres, tandis qu’il accueillait mon texte Présence active du vide, écrit à partir de deux de ses photographies prises à Coney Island. C’est un lieu que je ne connaissais pas.

La ville, là-bas, avec son chaos de toits se diluant dans la pollution estivale. Les fenêtres d’abord qu’on devine, stores incertains. Je me dis que j’ai de la chance d’avoir un lieu comme ça pour travailler. Depuis le début, arrive-t-on encore à voir ? Barrières en bois, pièges pour le regard. Pris dans les plis et les lignes, sillons tracés à même le sable. J’imaginais le futur autrement, ce qui est banal au fond. Toujours pareil avec ce genre de lieu. Tout en façade. Et le temps passe à rebours des choses, éclairé soudain par ce rapprochement. Parce que ça passe par-dessus, par-dessous : ça s’emmêle.

Partant à la découverte de Coney Island, nous décidons de descendre en métro à Brighton Beach (un quartier sur la péninsule de Coney Island à la pointe sud de Brooklyn à New York), plus connue sous le nom de Little Odessa (quelques arrêts avant le terminus), de traverser ses rues marchandes où toutes les enseignes sont écrites en alphabet cyrillique, de croiser de vieux juifs russes (et principalement des femmes errant dans les rues adjacentes à la rue commerçante, sous le métro aérien, marchant au ralenti, toutes affublées de d’imposants déambulateurs.

Dans les deux photographies de Daniel Bourrion, l’une représentait la plage à perte de vue, je la retrouve immédiatement en sortant des rues de Brighton Beach pour entrer sur la plage. Au loin les attractions de Coney Island sont visibles de loin.

Nous avançons lentement dans le sable fin. Des mouettes, quelques promeneurs de chien, deux trois sportifs (ici, marcher d’un pas rapide est un exercice courant), et des chercheuses d’or. Plus aucun vestiges des inondations et des dégâts causés par l’ouragan Sandy, en octobre 2012.

Sur la deuxième photographie, un bâtiment ancien à la décoration très particulière, de style espagnol néo-colonial (relativement rare à New York), des arcs en plein cintre, avec aux murs des ornementations en trois dimensions faisant de nombreuses allusions maritimes.

Nous passons les jeux du Parc d’attractions de la station balnéaire : l’Astroland et le Cyclone, la grande roue (Wonder Wheel), Luna Park, et ceux qui ont disparus tels le Steeplechase Park ou le Dreamland.

Nous mangeons chez Nathan’s Famous.

C’est une chaîne de restauration rapide spécialisée dans les hot-dogs et célèbre pour son concours annuel de plus gros mangeur de hot-dogs.

Coney Island en 1944

Au bout de la promenade de planches, j’aperçois le faîte d’un bâtiment qui ressemble à celui de la photographie, en nous en approchant nous le reconnaissons.

Nous interrogeons des habitants de Coney Island en train de prendre leur bain de soleil, pour en savoir plus sur cet intrigant bâtiment qui semble abandonné. Ils nous apprennent avec un fort accent qu’il s’agit d’un Child’s Restaurant. Nous pensons avoir à faire à un restaurant pour enfants, mais en faisant quelques recherches sur Internet nous comprenons notre méprise. Il s’agit en fait d’un restaurant Childs. Cette découverte ravive en moi le souvenir des Bains Sutro, dont nous avions percé le mystère l’année dernière, lors de notre voyage à San Francisco.

Sitting on a carousel ride without any music or lights, everything was closed at Coney Island and I could not help from smiling. I can hear the Atlantic echo back, rollercoaster screams from summers past. and everything was closed at Coney Island and I could not help from smiling Brooklyn will fill the beach eventually and everyone will go except me.

Assis sur un tour de carrousel sans musique ou des lumières, tout était fermé à Coney Island et je ne pouvais m’empêcher de sourire. Je peux entendre l’écho de l’Atlantique en fond, cris des montagnes russes des étés passés. Et tout était fermé à Coney Island et je ne pouvais m’empêcher de sourire Brooklyn remplira la plage finalement et tout le monde va aller, sauf moi.

Les restaurants Childs sont en fait une chaîne de restaurant apparus aux États-Unis et au Canada dans les années 20, qui offraient de la bonne nourriture pour des repas à prix modiques. Créés par les frères Child, Samuel S. Childs et William Childs, ils connurent un grand succès entre 1920 et 1930 avec environ 125 emplacements dans des dizaines de villes, desservant plus de 50 millions de repas par an. La société Childs a été pionnière dans un certain nombre de domaines, y compris la conception, le service, l’assainissement et les relations de travail. Il était le contemporain d’entreprises de services alimentaires tels que Horn & Hardart, et le prédécesseur de sociétés comme McDonald’s.

Deux restaurant sont ouverts à Coney Island, celui des planches, face à la mer, et un second plus en retrait, sur la Surf Avenue.

Je rentre dans l’église à la recherche d’une autre dimension. La lumière incertaine d’une bougie, la pénombre et la fraîcheur rance entre ces murs gris. Les tableaux aux murs poussiéreux, les vitraux colorés. Variations impossibles à circonscrire, à limiter, à amener à soi, à comprendre. Donner forme à l’informe, visage à l’inconnu. Silhouette fugitive qui se cache sans doute derrière un pilier. Multiplication des points de vue et richesse foisonnante des observations. Attraper seulement quelques éclats le long des linéaments, dans ces jeux de continents aux contours imprécis, et tout ce trouble porté longtemps.

En regardant l’image j’avais cru qu’il s’agissait d’une église. C’était un restaurant. Pendant l’ouragan Sandi, il a servi d’abri pour les pompiers et les sauveteurs. Il est régulièrement utilisé par l’une des stars locales, la propriétaire de la boutique de cadeaux et souvenirs Lola Star dont on peut suivre le blog où elle évoque avec humour son magasin et sa ville. Le bâtiment est alors transformé en piste de danse et de patin à roulettes, le Dreamland Roller Rink.

When youre all alone and lonely In your midnight hour And you find that your soul Its been up for sale

And you begin to think bout All the things that youve done And you begin to hate Just bout everything

The city is a funny place Something like a circus or a sewer

McDonalds sur la Sixième Avenue et 28th Street semble être un fast-food d’allure banale. Mais, comme le suggère l’excellent site sur New York (Chronique d’une ville en constante évolution à travers les artefacts fanées et oubliés : Ephemeral New York si vous regardez de plus près le bâtiment, vous pouvez découvrir un motif inhabituel dans la frise près du toit : des paires d’hippocampes entrelacés encadrant un trident. Le motif maritime s’explique parce que ce bâtiment abritait à l’origine une partie d’un restaurant de la chaîne de restaurants de la ville de New York Childs, dans la première moitié du 20e siècle.

Quelque chose fait de sursauts de lumière, au hasard des rencontres et du chemin que l’on a parcouru, qui est la seule distance qui importe. Un silence. Et de nouveau plus rien, autant dire : tout à imaginer… Il ne me reste plus qu’à travailler.


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