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De Plaisance à Saint-Germain-des-Prés

Difficile de savoir la meilleure piste à suivre, s’il vaut mieux raconter son trajet le jour même, dans la foulée de la promenade ou préférer attendre, laisser passer quelques semaines, voire plusieurs mois, avant d’en faire le récit. La carte est dessinée, le parcours noté, c’est ce qui est le plus difficile de retrouver avec le temps, il est préférable de le fixer tant que la mémoire du cheminement à travers la ville est encore neuf, et frais dans notre mémoire. C’est un itinéraire qui permet ensuite de retrouver, avec les photographies prises en chemin, ce qui s’est passé.

Je sais que ce n’est pas le chemin le plus court pour rejoindre la section de la Petite Ceinture qui a été ouverte au public récemment et que je veux visiter, en effet j’ai repéré en sortant du métro Plaisance, la direction du Jardin Georges Brassens, par lequel je dois passer pour aller au plus vite. Mais je me sens attiré par cette rue, la perspective qu’elle ouvre le long des voies de la Gare Montparnasse, j’ai reconnu de loin des paysages que je ne vois d’habitude que depuis le train, ses vues que le plus souvent on a à peine le temps de repérer ou d’apprécier, le train freinant dans les derniers mètres de son parcours.

Recouvrant une bonne moitié de la devanture aveugle du Comptoir du Chauffe-eau et chauffage (Plomberie, sanitaire, Robinetterie, climatisation, chauffage) de la rue Castagnary, à Paris dans le 14ème, une surprenante carte de la ville et de sa banlieue sur laquelle figurent les « 8 dépôts proches de vous ». En m’éloignant du carrefour encore un peu commerçant, je croise de nombreux commerces fermés, à l’abandon. Il ne reste ouverte, le long de la voie, que l’imposante poissonnerie « Les Samouraïs des Mers » (ancienne Criée du Phare) dont le phare en plein Paris, à des centaines de kilomètres de toute côte, imitation du phare du Croisic, sert d’enseigne. Au pied du phare la coque d’un chalutier qui semble échoué fait office de monument aux morts en mer.

Je fais un petit détour par la Villa des Charmilles qui se termine en impasse. La rue des Morillons me permet d’aborder la rue Santos-Dumont dont l’alignement de maisons de deux étages, en pierres peintes en blanc, toits inclinés courts recouverts de tuiles d’ardoises, et dont l’ensemble du bâti paraît avoir été construit en lotissement par le même architecte. C’est dans l’une de ces maisons, au numéro 42, qu’a vécu Georges Brassens à la fin de sa vie.

Au bout de cet alignement de charmantes maisonnettes se trouve l’entrée d’une des plus pittoresques villas parisiennes, la villa Santos-Dumont, conçue dans les années 20 par l’architecte Raphaël Paynot, elle accueillit dans ses ateliers de nombreux artistes parmi lesquels le sculpteur Ossip Zadkine et le peintre Fernand Léger.
Des deux côtés de l’étroite impasse pavée se dressent de jolies maisons et leur jardin verdoyant dont les plantes grimpantes et florissantes empiètent largement sur la ruelle en lui donnant son atmosphère campagnarde.

Difficile de trouver aujourd’hui à Paris un jardin municipal qui, aux beaux jours, ne se transforme pas en solarium, et dont la moindre parcelle de pelouse ne jaunissent pas aux premiers rayons de soleil, comme l’herbe des piscines en plein air de banlieue, de milliers de corps avachis dans l’espoir d’un teint basané et par ricochets être victime d’un carcinome ou d’un mélanome.

Le principal intérêt du Parc Georges Brassens, c’est qu’il offre un paysage fortement dénivelé, une rivière, et de nombreuses variétés de plantes.

Construit à l’emplacement d’anciens abattoirs, il en a conservé les grandes portes d’époque du marché aux chevaux, le pavillon de la criée ainsi que la tour d’horloge.

Le Marché du livre ancien et d’occasion de Paris, du côté de la rue Brancion. Les livres s’endimanchent et les vieilles affiches sèchent au vent comme de vieux linges froissés aux couleurs passées par le soleil.

Rue Olivier de Serres, entrée de la promenade de l’ancienne Petite Ceinture qui a été aménagée pour accueillir le public dans le respect du patrimoine existant.

Pour ne pas troubler le rythme biologique des animaux, aucun luminaire n’a été installé. Le site est fermé la nuit. Les talus ne sont pas accessibles. L’entretien s’adapte aux cycles biologiques, notamment à la nidification des oiseaux.

On est loin de la High Line de New York. Le parcours en encore très court, à peine le temps de se mettre en jambe, d’apercevoir quelques belles perspectives au-dessus de la ville, de marcher à hauteur d’immeubles, passer sous leurs fenêtres.

Et par ici la sortie, il faut descendre les escaliers, et nous voilà métro Balard.

Ce quartier est lié dans ma mémoire à mes années au Centre Saint-Charles de la faculté de Paris I, dont l’entrée ne se fait plus rue Saint-Charles mais rue des Bergers. Il m’arrivait parfois de pousser jusqu’au métro en me promenant, avec la sensation qu’on arrivait là à la limite de Paris.

Les usines Citroën ont occupé une très grande partie du quartier de Javel jusqu’aux années 1970-1980. L’usine automobile a fonctionné jusqu’en 1975 et s’est interrompue avec la production de la Citroën DS. Le siège de la marque a déménagé en 1982 pour quitter définitivement son adresse historique du quai de Javel. André Citroën a donné son nom au parc André-Citroën, au collège et au quai André-Citroën, anciennement quai de Javel. Le site industriel a été détruit.

Le Parc André Citroën est trop minéral à mon goût, trop cérébral aussi. Je ne fais que le traverser de part en part le plus vite possible. Mais dès qu’une parte est fermée, c’est un vrai labyrinthe pour en sortir. Amusant tout de même de s’apercevoir, après coup, que l’on a pris en photo sans s’en rendre compte une personne que l’on connaît. L’homme qui lit, assis parterre, le dos contre le muret est un spécialiste du VJing qui est intervenu plusieurs fois à la médiathèque de l’Astrolabe à Melun.

Je remonte la rue Léontine, le quartier entièrement rénové d’immeubles modernes aux angles accentués et pointus, dans le proche périmètre du Parc.

Dès que l’on s’en éloigne, la mixité entre immeubles anciens et nouveaux s’équilibre à nouveau.

L’Église Saint-Christophe-de-Javel agit à ce propos comme un emblème visible de loin, malgré l’étroitesse de la rue qui empêche d’embrasser la devanture en son entier.

L’église est dédiée à Saint Christophe. La peinture murale du chœur, œuvre de Henri-Marcel Magne, le représente entouré de voyageurs implorant sa protection, et de moyens de locomotion modernes (train, paquebot, ballon, avion, automobile), inspirés par les industries de transport du quartier dont les anciennes usines Citroën à proximité. Douze panneaux peints par Jacques Martin-Ferrières retracent sa vie. L’église possède également un vitrail et des verres moulés. Le fronton de l’église, en brique et béton, est orné d’une grande statue du saint réalisée en béton. C’est la première église construite avec des éléments de ciment armé moulé.

L’avenue Émile Zola se profile barrant la perspective de la rue en marquant une rupture urbanistique brutale. Le quartier de Grenelle nous accueille. Un ensemble de tours construit à partir de 1970 le long de la Seine (le Front de Seine), avec un centre commercial, Beaugrenelle, constitue le cœur du nouveau quartier de Beaugrenelle. Une autre partie du quartier est occupée par le nœud commerçant autour de la rue des Entrepreneurs et de la rue du Commerce.

La circulation se dédouble, au pied des immeubles, la rue réservée aux voitures, rares sont les piétons qui s’y aventurent pour se rendre à la piscine, accompagner leurs enfants à l’école ou faire leurs courses dans les centres commerciaux.

Une circulation alternative, au niveau des terrasses des immeubles (la plupart des lieux publics ouverts à l’origine de la construction des immeubles ont été abandonnés ou sont fermés).

Dans une grande flaque d’eau, j’ai même vu deux canards barboter.

Les terrasses sont donc désertées par les habitants, quelques jeunes viennent y rouler avec leurs vélos ou leurs trottinettes, y jouer au foot ou y discuter à l’abri de leurs parents.

Lieu de passage pour passer d’un immeuble à l’autre sans avoir à descendre et monter des escaliers entre chaque construction, ces terrasses agissent comme une route secondaire, mais désertées, fantomatiques, font peur ou intriguent.

La tour Cristal est un gratte-ciel de bureaux à proximité immédiate du pont de Grenelle. Sa façade de verre en fait une des tours les plus reconnaissables du Front-de-Seine. Pour la conception des pans coupés de la façade, les architectes se sont inspirés de travaux sur la lumière du peintre Salvador Dalí.



Les blocs de logement sont accrochés en grappe sur la structure porteuse centrale apparente de la Tour Totem, leur orientation est censée optimiser leur vue sur la Seine. Avec une physionomie immédiatement identifiable, c’est avec la tour Cristal l’une des tours les plus remarquables du Front-de-Seine.

Je suis venu sur l’île aux Cygnes cet hiver, en fin de journée, la lumière du coucher de soleil aplanissait les devantures des gratte-ciel. Le jaune des feuilles du saule pleureur aux côtés de la Statue de la Liberté, s’accordait à merveille avec les teintes du coucher de soleil.

En ce dimanche, c’est une troupe de scouts assis en rond qui fait le spectacle à son insu, se transformant de loin en couronne d’épines.

Une anecdote me revient en pensant à la Statue de la Liberté : Alors que Bartholdi en a terminé la conception en 1886, il est à la recherche d’un entrepreneur français spécialisée en fonderie. L’entreprise Gaget-Gauthier situé non loin du parc Monceau est retenue avec ses ateliers de chaudronnerie, pour réaliser la statue grandeur nature. Gaget met en place une opération médiatique et promotionnelle pour son entreprise pour fêter l’évènement : il va offrir la statue en miniature à toutes les personnalités présentes à l’inauguration. Les invités se demandaient : « Avez-vous reçu votre Gaget ? » (prononcé à l’américaine Gadget)

Une fois passé sous la Tour Eiffel et s’être mesuré à sa taille plus imposante que notre mémoire ne nous le laisse croire, le retour s’annonce long. Le Champs de Mars est un très long terre-plain de sable que la moindre bourrasque de vent soulève pour vous aveugler de sa poussière.

Le parcours est monotone, les touristes s’en emparent comme s’il s’agissait d’un stade en plein air.

Je m’attarde sur les panneaux qui annoncent la proximité de l’École militaire, et les signes peints sur les troncs des arbres malades à traiter ou à couper.

J’avance très lentement, mesure mes pas, je ne connais pas bien ce quartier, je suis désormais plus vigilent qu’au départ, plus question de se perdre, la fatigue et la configuration du lieu (grands bâtiments, avenues larges et longues) m’y incite d’autant plus.

Les invités d’un baptême, très peu nombreux, la famille proche essentiellement, sortent à pas lents de l’église Saint-François Xavier. J’ai l’impression de les voir avancer au ralenti. La mère porte son bébé dans ses bras avec beaucoup de grâce et d’élégance.

Je n’entre pas à l’intérieur, mais je sais que dans La Cène du Tintoret, pièce maîtresse de l’église, le Christ est au fond, en bout de table, Saint Jean dort dans ses bras, les autres sont, en vedettes, tous affairés devant ! Personne non plus n’avait voulu révéler l’étable de Bethléem comme un sinistre grenier de grange où le Divin Enfant s’est réfugié sur une poutre pourrie de peur de se faire piétiner par l’âne et le bœuf !

Je n’ai pas le courage d’entrer dans le Musée Rodin, l’heure tardive achève de m’en dissuader. Les ombres graciles des arbres nus sur les murs et leur dialogue avec les arbres derrière le mur me fascine. Je reste un instant à regarder ce ballet minimal. Je crois que c’est ce que je préfère dans cette saison, la nudité des arbres et le jeu subtil de leurs ombres projetées sur les murs : « L’arbre dans la ville est ainsi, révélateur. Son ombre court sur le mur. Sa course lente aux rythmes des heures qui s’écoulent. C’est cela une ville, l’ombre fuyante d’un arbre sur un mur de marbre, de béton ou d’acier. Forme libre, évolutive sur forme fixe. »

J’emprunte les rues droites et désertes en ce dimanche et à cette heure-ci, passe sans m’arrêter devant la Mairie du 7ème, rue de Grenelle. Les pierres blanches commencent à rougir sous l’effet du soleil bas dans le ciel.

Je retrouve enfin le quartier de Sciences Po, et sur une vieille affiche déjà présente l’année dernière sur un magasin fermé de longue date, un QR code de notre atelier : Inventer la ville, collé il y a deux ans déjà.

C’est encore l’hiver, et le soleil du jour nous a longtemps fait croire au printemps qui n’arrivera sur notre calendrier que quelques jours plus tard. J’ai parcouru ce jour là un peu plus de treize kilomètres. À la fin du parcours, fatigué, je me suis assis avec soulagement sincère sur la banquette du métro à la station Saint-Germain-des-Prés. Je suis rentré chez moi.

Le dimanche est décidément le plus beau jour pour découvrir Paris. Certains endroits de la ville retrouvent leur quartier d’été, les rues sont vides, très peu de voitures roulent et les trottoirs déserts s’élargissent : la ville s’offre à nous.

Et je repense alors à ce passage du livre d’Audiberti, Dimanche m’attend, que j’ai lu un peu plus tôt en commençant cette promenade dans l’ouest parisien :

« Je tâte, dans la poche gauche du veston, le carnet spiralé quadrillé, l’instrument de ma souffrance, de ma double souffrance, poursuivre vaille que vaille cette gazette sans laisser l’année me distancer et, aussi, me fatiguer à revêtir d’originalité descriptive le tout venant et l’allant de soi. Pour me réconforter, je me berce que seul compte le temps de l’écriture, temps à travers le temps, où le poète (ah ! quel vocable ridicule !) mendie sa chance de se justifier. Il doit se justifier, pour commencer, en tant que consommateur socialement tenu d’honneur à produire en retour dans sa partie. Mais ne rabaissons pas notre destin. Dans cette matinée où de petits cyclones, çà et là, prêtent à quelque frêne des gestes d’impatience tourbillonnante, la masse indéfinie de l’écriture possible m’entoure, me presse, me nargue. »




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