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Les moyens du récit contemporain : Atelier de création et de réflexion

En découvrant sur Internet ce concours d’écriture présenté par Lire Montréal sur L’imaginaire de l’échangeur turcot qui invite les participants à partager leur interprétation de cette structure monumentale qui marque le paysage du quartier Saint-Henri à Montréal et dont la destruction prochaine est annoncée : l’échangeur Turcot, je me suis souvenu du texte que j’avais écrit sur l’échanger de Québec. Symbole de modernité pour certains, horreur architecturale pour d’autres, l’échangeur Turcot est un objet d’actualité et de discussion, ainsi qu’une empreinte visuelle et architecturale à explorer sous tous les angles.

J’avais en effet répondu en mai 2012 à l’appel de textes de création autour d’un trajet, réel ou fabulé, vers la ville de Québec : « Vers Québec » qui s’inscrivait dans le cadre de l’événement Les moyens du récit contemporain : Atelier de création et de réflexion organisé par René Audet et Mahigan Lepage à Québec, les 16-17 mai 2012.

Mon texte, Ruban de Möbius écrit à partir de Google Street View, s’interroge sur l’étrangeté de ces espaces et l’impression de déjà-vu qu’ils laissent en nous, ces paysages qui nous sont familiers sans que nous n’y soyons jamais allé, ces lieux qui auront changé d’ici que nous nous y rendions mais dont nous garderons toujours l’ancien souvenir intact.

Déployer des narrations en mouvement à travers le territoire nord-américain, via autoroutes, échangeurs et rues des villes. On peut par exemple imaginer ce que sera le trajet vers l’atelier de Québec, depuis l’aéroport ou depuis Montréal, ou encore travailler à partir du souvenir ou du quotidien. On prendra appui sur des enregistrements sonores, des photos et des vidéos afin de faire surgir l’écriture d’univers sensoriels et signifiants, en dépliant cartes, trajets et décors. On peut ainsi construire, à partir d’impressions et d’abstractions de territoire, de courts récits de déplacement, ou à l’inverse capter les cinétiques urbaines depuis un ancrage fixe.

Peut-être perdu, ne pas savoir. Tête en l’air. Tourner en voiture sur l’autoroute, chercher son chemin sans savoir où aller, ne pas parvenir à se repérer, savoir précisément ce que je fais là, dans cette voiture, emporté littéralement par elle, son mouvement lancinant, elliptique, le trajet qu’elle opère. Les images défilent sous mes yeux fatigués (la vitre se fait écran) différentes de celles que j’ai dans le crâne, et de celles qu’elles produisent en moi.

Tout se mêle. Les immeubles se profilent au loin. Immenses arches en béton des ponts de l’autoroute au-dessus de ma tête. Nuages passagers. Et cette impression de déjà-vu. Je suis déjà venu là, à cet endroit précis, la voiture y est passée en tout cas.

La voiture tourne en rond, monte et descend, mon corps ballotté d’un côté et de l’autre de l’habitacle, surpris par le vertige, suspendu entre ciel et terre, une vingtaine de mètres au-dessus du sol. L’impression d’avoir les yeux bandés, ce jeu que j’affectionnais enfant, tourne, tourne, et quand le voile se lève enfin, les yeux un instant aveuglés par la vive lumière, fermer les yeux l’espace d’un instant. Tout se brouille, le corps chancelant, déboussolé.

La tête à droite à gauche pour tenter de repérer un itinéraire, un chemin, une voie à suivre, une direction à prendre. La route effectue une boucle, la roue tourne en bretelles d’autoroute et ponts suspendus dans le vide. Difficile de se résoudre à sortir de ce paysage répété à l’identique, de ces variations de récit sur réel.

Les camions, les voitures nous doublent à vive allure. Personne ne nous regarde. Chacun pour soi. Je me laisse conduire, à la place du mort. Ne rien diriger, laisser juste glisser son regard par la fenêtre, tenter tout de même de voir quelque chose, des bribes de réel. Avec la vitesse c’est toujours compliqué.

Là, les rubans grisés de l’autoroute qui dessinent des S semblent s’enlacer à l’infini. En contrebas une structure en béton nu sépare les deux autoroutes aux murs taggés à la hâte. Depuis la ville haute, le port et ses grues et ses bateaux marchands. Les montagnes dans le lointain chapeautées de nuages anthracite. Un bus scolaire jaune, c’est la sortie des classes, le véhicule est plein d’enfants. Un parking de voitures à la place de l’ancienne église détruite. Sa façade dont il ne reste plus que le fronton, tient encore debout grâce à une structure métallique, décor dérisoire à la stabilité fragile.

Sous les piles du pont autoroutier décorées comme une cathédrale aux vitraux colorés, à ciel ouvert, sur l’herbe rase du printemps à peine arrivé, les histoires qu’on y raconte, il reste encore quelques tas de neige compacte mais un peu plus loin, dans les endroits les plus à l’abri, les moins exposés. Il fait grand soleil, le ciel est bleu, les jeunes s’allongent en grappe sur l’herbe. Une ancienne calèche, sans passager à l’arrière, cheval à l’arrêt, sage, devant un mur de larges pierres recouvert d’affiches publicitaires aux couleurs variées.

J’aperçois un homme chargé d’un lourd sacs de courses, marchant au milieu de la route bitumée plutôt que sur le trottoir défoncé par l’hiver, c’est son choix. Pas de voiture sur cette grande route à cette heure de la journée. Un jeune homme téléphone un peu plus loin. Toute la ville s’étale derrière lui indolente, immeubles en briques rouge et toits vert, c’est le printemps.

Tous ces lieux n’existent plus depuis longtemps déjà, en tout cas plus comme on peut les voir sur ces images, l’église par exemple a finalement été détruite et l’on n’en a préservé qu’une arche sur l’ensemble de son ancien fronton. Je continue pourtant à les voir ces lieux, à les arpenter ces routes vertigineuses, à refaire ce parcours en boucle. C’est un temps qui ne peut pas se clore. Même si ces images s’effacent peu à peu, ou viennent à disparaître, j’en préserve en moi un double sans pareil. Un trajet intime, un chemin qui s’ouvre en moi.


En relisant l’ensemble des textes proposés lors de cet atelier, je me dis que l’ensemble produisait vraiment une approche d’une belle variété de points de vue Vers Québec.


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