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Tous les dimanches je vais courir jusqu’à Pantin, en longeant depuis Stalingrad le canal de l’Ourcq.

Hier, je suis retourné sur le Chemin de Halageà Pantin, faire le tour de l’ancien bâtiment des Magasins généraux des douanes abandonné.

L’accès au bâtiment est désormais interdit par de grands panneaux annonçant surveillance 24h/24h. La mairie de Pantin y a un projet immobilier d’envergure, avec bureaux à tous les étages et brasserie au rez-de-chaussée.

Je m’approche du rebord du quai, l’eau frôle le bord en béton, à quelques centimètres à peine. Pas un bateau à l’horizon, calme plat, étendue d’eau mirifique, spéculaire. Spectaculaire reflet du ciel sans nuage, du bleu intense d’un jour de chaleur estivale. Avec une pointe de noir. Nous avons l’impression d’être en face. L’absence, le manque, fantôme désincarné. Reste là pourtant comme un corps attendu que peut-être je ne reverrai jamais. J’attends. Dans l’ombre de l’imposant bâtiment de l’usine désaffectée, juste derrière moi, je sens sa présence menaçante. Le contraire est ce qui ne va pas dans le sens donné. La dilatation est une chance pour la dissolution. Je me baisse pour viser en aveugle, dans la pénombre ce que j’observe m’éblouit m’empêchant d’en distinguer les contours. Dans la tension de mon corps qui se baisse sans s’aider des mains, génuflexion hésitante, au bord de l’eau, l’espace d’un instant, ni ce que j’ai vu toute à l’heure qui m’attirait, cette forme blanche flottant immobile dans l’eau, ni ce que je vois désormais avec peine, ébloui à contre jour, mais juste la peur de tomber que j’enregistre, en une image, soulignée par cette lumière si particulière.

Tomber est un mot pour penser. Pourquoi nous faisons face à l’autre qui est sur le côté ? Nous sentons que c’est déjà la fin, que la fin est proche, mais nous n’avons rien à faire d’autre qu’à regarder. Les mots semblent figés au seuil de l’articulé, c’est plutôt le silence qui règne, ou des borborygmes, les aboiements des chiens, le bruit de fond des éléments, des arbres et des corps. Le lieu où ça naît c’est l’intervalle, l’espace entre. L’effarement y est profond. Vertige du bord du quai, ce qui nous fascine quand nous fixons trop longuement le reflet de notre propre image dans un miroir. Ouvrir la nuit du corps. Celui du premier regard posé par l’enfant sur le réel, celui de l’éblouissement chargé d’effroi. Au moment de se redresser, le corps hésite, vacille légèrement, trouble passager. À la place, tout autour, un trou immense. Le regard est proprement décimé, il ne voit plus que des forces.


LIMINAIRE le 18/04/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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