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Série photographique à Ouessant

Après avoir suivi l’atelier d’écriture de François Bon à Ouessant d’après Armen de Jean-Pierre Abraham, sans participer, mais saisi par la qualité et la variété des propositions des participants au Musée des phares et balises d’Ouessant (quelques photographies en ligne), je décide de participer en ligne, directement sur mon site, cet atelier inspiré des Lettrines de Julien Gracq.

nuages blancs, moutons grisés effilochés dans le ciel bleu ciel qui attire en nous ce lieu, une fois sur place n’est plus celui qu’on avait vu, qu’on voulait voir, qu’on pensait retrouver, lumière changée, ciel transformé, comme l’envers de ce paysage, son ailleurs, lointain écho dissonant, fugace, aux franges écrasées des rochers détourés d’écumes

le mouvement d’un bras, le corps d’une femme allongée, endormie, elle se tourne en cherchant le sommeil encore à demie éveillée, un court instant encore calme indolente, l’eau la caresse et l’ombre seule suit son mouvement de nuages, le ciel au-dessus d’elle pour la bercer dans le clapotis de l’eau, et tous les souvenirs d’enfance dans cette courbe saline

les lignes des sentiers pour se perdre dans le vert tendre de l’herbe, le violet fané des bruyères et déboucher à cet endroit précis bleu de la mer accueillie, protégée par les galets blancs et gris, on ne voit que l’eau et les vagues, pourtant ce sont les pierres recouvertes de lichen jaune qui attirent notre regard, la trace de la morsure d’une bouche géante qui blesse le rivage à cet endroit précis

confiant on s’éloigne, toujours le phare en ligne de mer, la vigie au loin nous indique le chemin, non pas là où il faut aller, pas maintenant, pas encore puisqu’on lui tourne le dos, on marche dans le sens opposé, mais toute à l’heure quand il faudra rebrousser chemin, revenir à bon port, il sera toujours là, présent, à la même place, et curieusement, plus on s’éloigne plus le phare nous semble proche et la phrase s’éloigne

il observe l’île perchée sur son minuscule rocher, son promontoire un peu ridicule, les bras croisés, immobile dans le vent qui se lève, il ne bouge pas, ne dit rien, il regarde fixement cette île déserte qu’un bras de mer sépare d’Ouesssant, île nue, presque nue, je regarde cet homme, c’est l’enfant que je vois

ce qui surgit soudain, remonte brutalement à la surface, c’est là depuis des milliers d’années, mais avec la force des vagues, la puissance du vent, l’impression que la roche émerge de l’eau, comme un volcan, et si l’on ferme les yeux, tout au fracas des éléments qui brouillonnent dans nos têtes, compriment nos tempes, peut-être auront-ils disparus, comme ce phoque hier qui pointait son museau à la surface mouvementée de l’eau, avant de disparaître

je n’ai ressenti ça qu’à un endroit, c’est à Rome, il m’arrive encore quelques fois d’être ainsi soufflé en entrant dans une très vieille bibliothèque au milliers de volumes poussiéreux couvrant les murs entiers de rayonnages, le dédale d’un labyrinthe, son palimpseste, ma mémoire

c’est le bleu qui m’attire en premier et la couleur des rochers bruns roux rouges rosés, leurs peaux striées, leurs cicatrices, leurs empreintes, on dirait celles d’une main, paume ouverte, mais quelle ligne de vie je vois là, ce bleu est d’ici sans nul doute mais il m’attire ailleurs, me projette loin, en Corse et l’envie de plonger tête la première, me couvrir tout entier de ce bleu et plonger dans le ciel

haut perché au-dessus de la mer, ce petit port de pêche, revenir à cet endroit, comme au premier jour, on ne l’avait pas vu, envie d’appeler le bateau quand la journée décline ainsi à quelques encâblures à peine et calme plat sur l’eau, un miroir aux nuages, une respiration neuve et inconnue, une couleur inédite teinte tout en rose

un rocher qui plonge délicatement dans une mer transparente d’un bleu très clair c’est comme un nuage qui prend parfois forme étrange, les rêves qu’on forme en dormant font de même, là c’est un crocodile, sa gueule quand il plonge dans l’eau silencieusement pour ne pas se faire repérer par sa proie, il glisse et fond dans l’eau

une plage c’est banal une plage, c’est si rare de pouvoir encore se promener sur une plage qui ne soit pas devenue une base de loisir, un lieu balisé, enlaidi de serviettes éponge aux couleurs criardes, sable recouvert, disparaissant à certains endroits, travesties par les conversations oiseuses, les bruits et les cris couvrant parfois même le bruit des vagues et leur ressac, ce matin, juste avant que le car de la visite commentée de l’île d’Ouessant déverse sa cohorte de touristes fatigués, une femme nue s’est jetée à l’eau pour nager et c’était troublant cette nage, la tranquillité qu’elle mettait dans chacun de ses gestes lents et amples, j’ai pensé à une sirène, puis en m’éloignant, je me suis rendu compte qu’il y a ange dans nage


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