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L’image interminable n°2

Tas de feuilles mortes sur un banc, pyramide précaire, où es-tu ?

Parc des Buttes-Chaumont, Paris 19ème

Nous nous sommes assis sur ce banc, nous nous sommes embrassés bien sûr, je me souviens de l’histoire que tu m’as racontée à cet endroit, le paysage qu’on a sous les yeux, qui s’ouvre devant nous, changeant selon les saisons. Nous avons regardé passer les promeneurs, les parents avec leurs enfants, les coureurs plus ou moins essoufflés, les jeunes rentrant de l’école, les rituels de promenades des plus vieux. Mais tous ces souvenirs aujourd’hui me paraissent si lointains lorsque je vois posé à l’extrémité du banc ce petit tas de feuilles à l’équilibre précaire, un coup de vent, un geste déplacé, un revers de main négligent, ignorant ce précieux agencement artistique, pouvant le détruire d’un instant à l’autre, je sais que tout peut disparaître en quelques secondes. Je regarde cette image attentivement, aux contrastes très marqués, qui soudain transforment ce petit tas de feuilles en tas de cendres. Je ne peux m’empêcher d’y déceler les traces et vestiges de l’incendie de ton appartement.

L’ordre et le désordre.

Rue de Tanger, Paris 19ème

Le silence était mon interlocuteur. J’ai gardé précieusement ce que je voulais te dire, repoussant le moment propice où je pourrais t’en parler, espérant trouver le sésame pour donner à cette histoire que je voulais te raconter un relief particulier, un écho adéquat. Toujours difficile de trouver l’équilibre, le bon moment, la note juste, à trop réfléchir, trop attendre et travailler son discours ou son histoire je prenais le risque de la dénaturer, de la pousser trop à bout, et pire encore, de l’oublier. Certaines choses s’écrivent, se disent, se racontent différemment avec le temps. la durée permet de les affiner, de parfaire la formation des mots, des idées, et permettre la rencontre entre les émotions et leurs dérives. Et c’est ainsi que quelques mois après, certaines choses s’écrivent, se disent, se racontent différemment. Ni dans l’instant, ni dans le différé, mais dans la narration, dans ce trésor que l’on délivre et transmet. Depuis je reprise notre histoire au fil de ma mémoire.

Une apparition comme un lointain souvenir.

Port des Célestins, voie Georges Pompidou, Paris 4ème

J’ai oublié ce que je voulais retenir. Une lumière si particulière, sur le quai de Seine, dans la chaleur de cet été là, étouffant et tenace, sous le rideau mirifique de lumière qui soulignait la forme de ton corps. Je ne contrôle pas ce que j’ai vu. D’ailleurs cela s’est inscrit à même l’image, comme à fleur de peau. Ce qui s’est passé, ce qui est à venir, rien ne nous est vraiment accessible. Il n’y a que maintenant qui compte. La silhouette dont je ne sais plus dans quel sens je la perçois, s’approche-t-elle de moi ou s’éloigne-t-elle ? Le mouvement de ses bras esquisse une danse, il l’accompagne plutôt mais je n’entends aucune musique, si ce n’est celle assourdissante des cris des enfants qui piaillent et s’esclaffent de se tremper ainsi et de voir leurs têtes nues se recouvrir d’une fine pellicule de gouttelettes, un manteau de perles si denses qu’on les dirait transparentes. Un poème dont je me souviens par cœur, que je récite les yeux fermés. Je retiens ce que je voulais oublier.

Dans un équilibre précaire.

Librairie ancienne moderne de Paul Gribaudo, Rue Vivienne, Paris 2ème

Avec Nora, ce furent d’abord les livres, comme toujours. Il y a le soir, il y a la fatigue d’avoir perdu son temps dans les cafés en lisant le journal qui est toujours le même journal, alors qu’à la bibliothèque, tous les livres nous attendent sagement sur leurs étagères. Il suffit d’en ouvrir un au hasard, d’en feuilleter quelques pages avant d’en parcourir les premières lignes qui se présentent à nos yeux, on peut le fermer, on entre dans une histoire qui n’est pas la notre mais nous accueille comme si nous en avions toujours été le personnage central. Et si l’on ouvre un autre livre, juste après sans réfléchir, sans choisir l’ouvrage en question, en laissant simplement glisser son doigt sur les tranches aux couleurs jaunies par le soleil et dont la poussière recouvre le dessus, l’histoire change tout à coup de direction, saute d’un monde à un autre dont les seules frontières sont celles du temps qui accueille ce récit débridé, entre les lignes imaginaires d’un jeu sans règles ni fin.

Architexture.

Rue de la Tombe Issoire, Paris 14ème

Sur le mur de l’immeuble, dans le recoin qu’il formait dans cette rue à la courbe très légèrement pentue, deux séries de panneaux publicitaires couvraient une grande partie des deux premiers étages, la perspective à distance plaçait au même niveau la façade sur la rue et son mur perpendiculaire, les affiches qui d’habitude recouvraient les emplacements dédiés à cet usage commercial étaient recouvertes de lais de couleurs posés à la hâte, pour dissimuler une annonce qui, une fois la période de sa diffusion dépassée, ne devait plus être visible, mais avant d’être effacées par d’autres publicités, pour promouvoir une marque de lessive, de voiture, de parfum, un prêt immobilier ou une boisson gazeuse, avec le temps, la chaleur, les coins commençaient à se détacher légèrement du fond, en tuiles disjointes, voile évanescente, comme la mue d’un serpent, fragile, éphémère, transformant la perception architecturale du bâtiment soudain fragilisée, nous donnant l’impression d’un château de cartes.


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