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D’ici là, pour les dix ans de Remue.net

Pour ses dix ans, l’association Remue.net m’invite à présenter à la médiathèque Marguerite Duras, Paris 20ème, la revue de création d’ici là.

Samedi 15 janvier 2011 à partir de 14h30 à la médiathèque Marguerite-Duras : 115, rue de Bagnolet, Paris 20e : demandez le programme !

J’ai déjà présenté largement la revue sur ce site et notamment son dernier numéro : L’immobilité de celui qui écrit met le monde en mouvement.

J’avais prévu de lire un texte accompagné d’un montage d’images et de sons provenant des six premiers numéros de la revue d’ici là et de sa bande son, mais un problème technique m’en a empêché. Voici donc ce montage.



J’ai lu avec Claude Favre qui m’a fait l’amitié d’accepter cette lecture à deux voix (J’espère pouvoir en diffuser très prochainement l’enregistrement ici même), mon texte sur ce qu’est une revue, texte composé d’un ensemble d’extraits de tous les textes écrits dans les six numéros de la revue d’ici là.

Une revue, c’est un trait de bitume noir dans les champs de blé, un volant, un pare-brise, les cheveux dans le vent et seul ainsi la magie du mouvement entre la vie et la mort, l’âge, de la tête aux pieds, songes corps, sans question, ni réponse, le vent sans la grève. Une revue, c’est s’arrêter, sortir la carte, déchiffrer. Envie de faire des expériences dans la disposition des étagères, revenir dans des mois. Un amortissement, un réfectoire, un préambule, un commencement, un état de fait. Une revue, c’est le grésillement de la transmission, la courbe du chemin sous les nuages ici, et là les touches de terre sombre et au matin soudain, même tremblement du pas résonnant, tourner en rond, partir très loin et revenir sourire aux lèvres. Raccords, fissures, tentative de pourquoi ici ou ailleurs. Une revue c’est varier à l’infini la stupéfaction. Des histoires qu’on tait, toujours les mêmes, pour interroger la pente, ce soin de les refermer toutes, ce qui jusqu’ici nous a mené, quel inventaire pour l’arpenteur des nuits. Un abri, un lieu où se cacher et attendre, observer de loin les secousses, mais c’est toujours dans le ventre, l’endroit où les secousses prennent. Franchir les étapes : les marches

Une revue, c’est regard, voix et gestes en mouvements, c’est comme battre le bitume, faire les cent pas, chercher son rythme, frapper au sol, quelque chose à réveiller sur l’uniformément lisse. Une revue, c’est un signe, une griffure, le moindre dessin où s’introduire. C’est l’envers qui se prononce, drôle de mix, ça macère, et détails, et légendes qui se fabriquent, et zoom ça tourne tourne des métiers perdus, des cous coupés. Chacune des petites variations de pensées troublantes où se joue le monologue du joueur effaré et seul, un chat sauvage dispersé dans la langue, de l’écart garde trace mais ne peut en dresser carte, directs sons bougent le sens dur rapiécé jusqu’à ce que nos peaux commencent à perdre pieds, des accents nobles des rythmes lucides & indéniables - lorsque le mot a volé hors de vue il n’y a plus de bord.

Une revue, c’est une nouvelle connaissance de la réalité - pas d’idée au sujet de la chose mais la chose elle-même - une absence, une lacune d’existence, un jeu dangereux que d’être en vie et d’être en écriture jusqu’à l’effacement des contours et des gestes, jusqu’à la disparition des traits du visage, cette musique incessante au rythme de la marche. Changement brusque qui se retourne contre lui-même. C’est comme une chrysalide qui échoue, la forme est là, mais c’est un masque vide. Une revue, c’est ignorer ce que nous dissimulons d’elle sous nos histoires, nos romans cousus de fil blanc. Une entrée en matière qui peut sembler abrupte.Un système en attente d’être surpris, dérangé.

Une revue, c’est quelques syllabes brûlées, matière où puiser figures qu’on s’impose, puiser, trier, mémoriser. Quelque chose que je puisse vouloir écouter. Penser les éléments en dualité. Créer les sons des légendes oubliées. Embrasser la langue pour la faire taire. L’aimer de tout le corps dont on dispose. Une revue, c’est une question d’interprétation, ne plus compter les temps, passer la main avec le reste. C’est à reculons que devant toi le temps s’en va, surface rythmée en ses limites, rythme d’avant l’orage, d’avant la nuit qui tombe. Les mots sont toujours là, mais ne transitent plus par la pensée, ils agissent ailleurs. Une revue, c’est faire circuler plus densément les énergies qui disposent à distance la vie et l’écriture. C’est inventer l’histoire. Toutes les façons d’écouter, les points de vue fragmentaires, contradictoires, aléatoires du jour déjà lointain, des secousses sans visages dans la chambre nue si noire des vertiges dans l’air. Une revue c’est une promesse, des points de couleur.

Une revue, c’est une espérance en le monde, c’est gratter les mots du présent
mots inachevés, images, et sensations, bribes et traces, résultat d’une collision, comme tout espace psychique, claquements sourds et sifflements qui lancinent. Une revue, c’est lever ses propres armées, construire ses propres forteresses mais faites de rien, de vent, de souvenirs, de la trame lacérée de nos mémoires un espace en attente de quelqu’un qui viendrait s’y loger, sans rien y ajouter que sa vie d’images projetées sur les murs, dans cet enchaînement des apparences, souffles et lueurs, comme chaleur les mots les sensations. Une revue c’est l’effacement d’un récit comme son montage, un tatouage sur un poignet, une file d’insectes rouges. Le présent comme passé, futur, comme résultat de leur superposition mais en leur absence. Un lien fabulé avec la mémoire. L’élan des mots. Une vague qui reflue. Le monde qui pivote. À l’arrière plan, une affiche.

Lectures, relectures, transmissions, rouages. Une pensée sur une pensée, une vie sur une vie, aiguillons d’inquiétude de notre perception en constante variation. Une façon de s’en aller laisser cadavres & les cris silence. C’est aussi un moyen de me représenter les distances afin d’estimer l’élan à prendre pour séparer chaque mot du suivant. Une revue, tenir tête mais en fermant les yeux. C’est un travail, c’est un travail à plein temps, pour moi vivre avec, dedans. Un étirement délicieux du temps et de l’espace, qui devrait ne jamais finir. Croiser des regards et des mots, des pages et des écrans, des visages, des couleurs et des lieux, toujours en partance pour des destinations nouvelles. Tout le monde s’y retrouvera. Une revue, c’est faire des bulles, tendre une respiration, ne pas se rendre, brèves formes fuguées qu’on ne sait d’où venues, le tout lubrifié d’un refrain à trois sous.

Trouver un terrain d’entente. Un lieu commun.Le furtif, l’instable du monde saisi par les ailes - d’une vitre, d’un pont, d’un chemin, du haut du ciel : des jours, des embrasures dans le couloir pour la parole sauvée, qui reprend souffle. Installez-vous... Une revue, c’est une place pour la rêverie et la transposition libre de nos propres sensations. C’est ici et maintenant. La fin et le commencement en nous-mêmes. La précision d’une description, l’organisation de la précision d’une description, la construction de l’organisation de la précision d’une description. C’est pas tous les jours qu’on rigole.

Une revue, c’est dans le secret des paysages silencieux. Une carte postale oubliée ailleurs. Notre mission, c’est d’ouvrir les fenêtres. Mon royaume pour un empire ! Je ne sais quelle vision, dans cet aveuglement, sans cesse déplace les marges et nous sommes mobiles à chercher sans savoir, à amorcer le geste, définir le mouvement. Des couleurs et expansions bien caractérisées, nettement distinctes, dans le texte hors du texte. Une revue, c’est se poser sur les mots puis lire, se poser dans les mots puis écrire. Pour te repêcher ensuite, plus tard, plus surement – dans ton champ, dans ta mer, dans ta ville, au moment même, au moment juste où le texte est le plus vivant, la nécessité de dire tout au long d’un parcours obstiné et dément que le temps efface à l’échelle de ce qu’on cherche, en fait, à nommer.

Une revue, c’est se couler dans les réseaux, et obéir au flux. C’est surtout et avant tout pour être ailleurs, pas forcément loin, hors de moi et en moi tout à la fois. Une revue, c’est un entre-deux, un interstice, une errance intérieure, un télescopage de deux mouvements. Mots surgis dans la nuit ou portés dans la marche. Poursuivre les jours à la lueur bleue des aubes. Un retour en arrière au présent, un détour, un monde qui s’accorde à notre désir. La pensée libre comme une source de vent. La capillarité de l’espace. C’est encore une question : Avant d’aller s’asseoir à sa table de travail, tentant de comprendre la provenance d’un corps, sinon c’est du sur place et la pensée en berne. Une revue, c’est se dépouiller : des avènements, des accomplissements, des fins. S’affranchir du souci de soi, c’est entrer en vigilance, se faire demeure d’instant. Ce n’est pas un voyage, c’est simplement traverser, surplomber fugacement des espaces. Prétendre, cette émotion, s’il s’agit de soi, la représenter dans l’instant même qu’elle bouleverse, creuser un terrain qui n’est page vierge des strates d’histoires inconnues. Une revue, c’est une phrase poursuivant une fiction en chantier. S’accrocher quelque part dans la trame du corps que tu oublies quand tu écris, dans la lumière de l’écran. Ce qui coule sans se diviser et s’allonge en une sorte de fil continu. Inutile de paniquer, on apprend lentement...


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