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Ateliers d’écriture à Sciences Po Paris à partir de Google Street View

Une série de douze ateliers d’écriture durant le premier semestre des étudiants en deuxième année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’un récit numérique à partir des images de Google Street View sur Google Documents et le blog Le tour du jour en 80 mondes.

Atelier du 7/11/11 Salle informatique SciencesPo, au 13 rue de l’université

Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.

Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.

Composant électronique comme plan de ville, photographie de Pierre Ménard

Après avoir travaillé à partir d’ateliers d’écriture sur le thème de la ville avec les étudiants, nous allons commencer la phase d’écriture collective, pour les quatre dernières séances.

Dans un premier temps (séances du 07/11/11, du 23/10/12 et du 21/10/13), nous avons travaillé sur une proposition d’écriture en temps réel sur le même support.

Dans un second temps (séances du 14/11/11 et du 06/11/12), nous allons de nouveau piocher dans les textes écrits depuis le début de l’atelier, des courtes phrases (entre maxime, description elliptique et micro-fiction), qui pourraient toutes commencer par la mention : Vous êtes ici. Puis nous enregistrerons les textes mis en forme lors de cette séance.

Séance du 21/10/13 :

Écrire un texte à partir d’un corpus de textes (ceux écrits lors des précédents ateliers) comme l’on peut prendre des photos (captures d’écrans), sans appareil photo. Avec les 17 étudiants en 2ème année réunis dans la même salle informatique de Sciences Po Paris, et l’aide d’un vidéo-projecteur, nous avons pu découvrir en temps réel ce qu’ils écrivaient sur Google Documents, spectateurs en temps réel d’un texte devenant à lui-même son propre spectacle et se reformulant en permanence sur la totalité de sa surface.

Atelier du 7/11/11 Salle informatique SciencesPo, au 13 rue de l’université

En 2011 nous avions été très vite rejoins par plusieurs auteurs qui avaient découvert l’atelier via Twitter et avaient joué le jeu en écrivant à leur tour sur la ville et en mettant en ligne des photographies : Isabelle Pariente-Butterlin, Anne Savelli, Louise Imagine, Maryse Hache, Grégory Noirot et Flo Helmbacher.

Textes des participants 2013 :

Le long tunnel, sombre

Fragments de ville

Rêve éveillé

Notre ville en fragments

Asphyxie

Rencontre de textes

Patchwork

Puzzle de vie

Ville multiple

Destruction textuelle créatrice

La chute

En 2012, Brigitte Célérier, nous a fait la surprise de participer à son tour avec ce texte : Ville – détourner en solitaire ateliers d’écriture pour jeunes crânes bien faits, et dériver trop longuement.

Textes des participants 2012 :

Collages

Synthèse de la ville

En plein Souk

Une activité débordante

Urbania

La ville-fleuve

Morceaux choisis

Copies conformes

Les textes des participants 2011 sont lisibles sur le site Le Tour du jour en 80 mondes :

Une fois n’est pas coutume j’ai également écris un texte pendant la séance :

Ce sont généralement des paysages. Chaque fois, c’est la même chose, la première impression. Une rue vide, bordée par des murs qui s’effritent et par dessus lesquels dépassent des branches touffues. Et bien sûr je voyais sans être vu. Ce fameux bruissement de verre si caractéristique, des reflets animés de la télévision projetés sur les murs, ainsi que le ciel d’un gris menaçant. L’atmosphère, au dehors comme au-dedans. Au loin le bruit de travaux dans le chemin est constant. La ville, la fenêtre de nos rires. Mais je suis sûr que j’y aurais trouvé à redire, tout à changer. La nuit le paysage est particulier. Un moment hors du temps. En un changement de direction, ou un zoom elle disparaît. Le bruit des klaxons et des marteaux piqueurs. Ce n’est pas le paysage qui change, c’est ma vision de lui qui est modifiée à chaque mètre. Le soleil. La contractuelle. Une vieille dame qui sort de la pharmacie. Le touriste japonais. Feu piéton rouge. Foule hétéroclite. La rangée de vélibs. Le crépuscule, les arbres nus, les collants rouges. Les échafaudages des interminables travaux. L’arrêt de bus bondé. La file d’attente. Les restaurants. Le motard pressé. Les voitures immobiles. Les affiches 4 sur 4. Les couleurs chatoyantes des vitrines. Le reflet lumineux des sacs en plastique des consommateurs sans tête. Tout a laissé des traces. Mais quelque chose me manque : du détail. Je n’ai aucune perspective, il reste toujours figé dans mon esprit. Alors je remplace ces détails. Capter l’intérêt de chaque détail gagne justement en valeur. Toujours avec son plan. Oui ça me représente. Nous ne sommes pas autre chose que l’image que nous donnons de nous-mêmes. En pleine lumière, c’est son seul visage qui organise l’espace. Il y a un homme qui cherche son chemin.

Résultat de l’écriture collective sur Google Document 2012 :

Proposition d’écriture :

Commencer par un premier exercice pour découvrir la notion de cut-up et de centon, en travaillant sur le poème express (inspiré du livre Coupe Carotte, Lucien Suel).

À partir d’un texte préexistant, dans lequel on a sélectionné un ensemble de mots, de phrases, de façon imprévue, en cherchant autre chose, voire rien de particulier, dans une approche issue d’une démarche heuristique qu’on appelle sérendipité, faire affleurer des histoires en filigrane, morceaux d’un roman, récits à demi-mot, microfictions, nouvelles en devenir. Une succession d’instantanés qui scintillent, en vrac. Composer le travail d’une réparation unifiante, inventer des liaisons nouvelles, entre ces mots choisis dans ce corpus dont on s’est imposé le rythme de prises et l’ampleur du tamis. Les tableaux fissurés se refont ailleurs. Et les scènes enfuies le sont dans le mouvement qui les tisse.

Le spectre des armatures, Pierre Ménard, Le Quartanier, 2007.

Le spectre des armatures est un défaut d’aspect de la peau d’un béton dû à la présence d’armatures trop proches de la surface, ou à leur mise en vibration. Ce phénomène se traduit par le dessin visible des armatures sous le béton.
Dans l’évidence et le vif de l’éclat ou de l’épars, Le spectre des armatures est le travail d’une réparation unifiante, de liaisons nouvelles. Une palpitation, un mouvement encore immobile, un espace de sursis dans la dissolution. Des fragments mobiles, une armature apparaît. Toute une série de signes, d’allusions disparates. Des histoires affleurent, filigranées, morceaux d’un roman, récits à demi-mot, microfictions, nouvelles en devenir. Une succession d’instantanés scintillent, en vrac. Les tableaux fissurés se refont ailleurs. Et les scènes enfuies le sont dans le mouvement qui les tisse.

À l’issue de ces ateliers et de l’écriture d’un récit collaboratif, nous allons créer une carte interactive où chaque point donne accès géolocalisé à l’enregistrement sonore d’une micro-fiction liée à ce point précis ou à une image du lieu en question. Nous associerons ensuite ces images de la ville ordinaire à des bribes de fiction qui inventent à leur tour une autre ville, en filigrane. Et nous les disséminerons dans la ville, par le biais de QR codes. Le projet a pour titre : Vous êtes ici !

Parmi les auteurs ayant participé à l’opération Flo H. m’a envoyé son texte qu’elle a écrit à distance en même temps que nous en atelier :

Un froid humide a lié ses murs, la ville se déroule comme un être gigantesque et labyrinthique, dont chaque cellule palpiterait de centaines de vies, dix ici, qui dorment ou dînent ou font l’amour sans un bruit, onze là, qui s’entraînent, masses projetées dans l’espace, et dont les efforts scandés de cris rauques, rebondissent sur les parois en caoutchouc sur béton, pour s’échapper par les larges baies hautes, ouvertes sur ces enfilades de rues.

Je descends ces escaliers trop raides. Me tiens à la rampe. Là, énormes et vitrés, posés le long de l’avenue, ces poumons qui respirent fort, et partout, ces fourmilières emplies de gestes automatiques. Le réveil sonne, se lever, ouvrir la porte, sortir, marcher… S’oublier dans la foule soudée au macadam. Chaque détail de geste rejoint une marée continue, qui retrace, seconde après seconde le chemin des vies dans le dessin des rues. Subconscience des réseaux... qui nous guide de nos raisons ou de la ville ?

Je bats le pavé. Le bruit de mes bottes en écho définit l’ampleur de la place. Château, cathédrale et ta juste flèche, ici le futur aménagement, la verrue minérale parce que les élus ont décidé. Entre les platanes, réfugiée un peu, ne plus voir les immeubles qui mangent le ciel mais n’est ce pas l’inverse ? Je me sens cette brique de plomb pleine et dense de tous ces flux mélangés et surfaits. Courses ici, magasins en cortège, files interminables là pour je ne sais quel manège. On oublie, on se perd. La ville en pleure, de verre, brisée, fragile.

Je me fonds à ce mur où je m’appuie, à cette margelle où je m’assieds, dans ce vieux jardin envahi de ronces derrière l’observatoire, où je lève les yeux au ciel, suivant ces quelques fils, conduisant le regard vers cet être, cet autre moi, Nous, à des lieues d’ici, dans cette autre ville auxquels ils me relient. Je respire l’odeur de ces pierres moussues, trop vieilles, larguées par la modernité. La fac de droit ici, volume inévitable et absolu, la librairie des facultés, plus loin et comme un rappel à la réalité, insolente, la crasse du discount qui les relie.

Dans les frondaisons des arbres du jardin botanique se perdent étouffés, les vrombissement gazeux des voitures, et du tram les dévers électriques. Les carpes du bassin me dévisagent. Non je n’ai pas de gâteaux aujourd’hui ! Cette ville ou l’on nourrit même les poissons et où les tortues enflées de surenchère finissent leur vie dans les canaux urbains. Quand ce ne sont pas des crocodiles, mygales ou autre reptiles peu diserts. Je passe en contrebas de la statue de Cacheux... qui en conservait, bien vivants, quelques spécimens, décourageant tout visiteur, ne pas entrer, ne pas sortir, incongru, en ville.

Je traverse la rue, respire... Effluve des bains municipaux... Je respire, suis le bord du trottoir, sans toucher les lignes, fixe l’œil de bœuf comme si c’était toi. La ville où je vis qui me regarde, me porte et me sent… Nos pieds en tête d’épingle, nos pas en tendresse. Ma ville que je traverse en tous sens, car je te cherche et t’y attends.

“De la ville se défaire en ses havres de paix” Flo H.

Grégory Noirot, qui a assisté à l’expérience à distance, la décrit avec enthousiasme sur son blog :

« L’expérience de Pierre Ménard et de ses étudiants, à mes yeux, a passé un cap : à défaut de participer directement au tissage du texte en tant que scripteur, j’ai eu la chance de lire, cet après-midi-là, l’expression, à multiples mains et en même temps — disons "à l’unisson" — d’une différance, telle que l’imaginait Derrida : « Ce qui se laisse désigner par "différance" n’est ni simplement actif ni simplement passif. (...) Nous désignerons par différance le mouvement selon lequel la langue, ou tout code, tout système de renvois en général se constitue « historiquement » comme tissu de différences. »

Il poursuite et conclut ainsi son article : « Ni passifs ni actifs, ou cette sensation d’immobilité et de mouvement que l’on retrouve aussi dans les affres du trafic automobile : j’aime cet heureux mélange de frustration et de stase, d’énervement et d’hébétude zen, d’où naît l’étrange pressentiment d’être seul dans une foule. "La circulation est plutôt dense", lisais-je dans "Inventer la ville", et cette phrase me percuta, surtout l’adverbe, "plutôt", et sa touche ironique. Cet après-midi-là, les textes s’écrivaient, non pas parallèlement, ou l’un après l’autre comme un cadavre exquis, ni même par vases communicants, mais simultanément : on y était enfin, à cette lecture kaléïdoscopique, remisant la notion de panorama au rang de vieillerie. Alors ne plus savoir où donner de l’œil, et cette impression de folie qui guette, à cause de la démolition non seulement de nos repères graphiques, mais aussi, beaucoup plus rare, de notre rapport temporel à la lecture : il y avait quelque chose du concert à la fluxus, du brouillonnement, mais enrichi d’une force intime, secrète, et — oui, allons-y gaiement — permanente, dont manquent les happenings. Les curseurs de chaque intervenant, comme une attaque de lemmings, s’agitaient sur l’écran, traçant le cadastre d’une commune sans axes, l’improvisant. "La vue est tout simplement renversante", lisais-je au détour d’une énième rue, puis : "Il y a un homme qui cherche son chemin". La lecture, ou plutôt le parcours, s’assimilait au regard qu’on porte sur une carte incomplète. Enfin, cette phrase à l’état liquide, qui m’ouvrit les yeux : "la ville est le rythme." Un chœur à branches. »

Séance du 14/11/11 :

Nous avons de nouveau pioché dans l’ensemble des textes écrits depuis le début de l’atelier, afin de composer de courtes phrases (entre maxime, description elliptique et micro-fiction), qui peuvent toutes commencer par la mention : Vous êtes ici. Dans la répétition de ces fragments qui ne nous appartiennent pas, retrouver ce que décrit Cécile Portier dans son projet d’exposition fiction Étant donnée en cours de création :

« Poser son ongle dans cette échancrure, c’était se relier à tous ceux perdus retrouvés, dans ce lieu déjà. C’était ressentir, avec eux qui n’y étaient pourtant plus, la même inquiétude bientôt rassurée. Comme s’additionner d’eux, de leur présence un jour ici, devant la même carte. Comme s’inventer des coordonnées de temps, pas seulement d’espace. Se découvrir aussi des fraternités d’égarement, des retrouvailles. »

Ce que l’on retrouve également en jeu dans “La disparition” de l’artiste italienne Paola Di Bello. Un collage de photographies reproduisant la carte du métro parisien, et l’effacement des stations au quotidien par les utilisateurs du métro cherchant leur chemin du doigt sur la carte, effaçant l’impression de la station sur la carte de manière différente pour chacune des 350 stations.

Puis nous avons enregistré les textes mis en forme lors de cette séance.

Textes des participants 2011 :

Ville composée

Fragments

Vous êtes ici

Ville d’avenir

Un premier pas

Reconstruction d’une ville

Vous êtes ici au 13 rue de l’université

Petites rues, nombreux commerces

Textes des participants 2012 :

Récit collectif

Récit collectif

Gazzouillis perchés

Devant ça. Tout ça ?

Réécrire l’histoire

Vous êtes ici

Une des milles facettes urbaines

Synthèse de conclusions (en toute simplicité)

Vous êtes ici à Montparnasse

Une ville, plusieurs architectes

Comme à son habitude

Lignes urbaines

Second souffle

La disparition, de l’artiste italienne Paola Di Bello

Les photographies qui illustrent cet article ont été prises pendant l’atelier d’écriture numérique proposé par François Bon au Labomédia, à Orléans, les 5 et 6 juillet 2011. et dans les salles de Sciences Po Paris.


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