« Rêver » : la thématique de l’édition 2017 du Monde Festival organisé par Le Monde résonnera dans les espaces publics de l’Opéra Bastille au cours d’ateliers participatifs organisés le dimanche 24 septembre 2017.
Dimanche, à l’invitation de Marina Wainer, artiste numérique, et Marie-Hélène Fabre, architecte et urbaniste, assistées de quatre jeunes architectes : Marion Autuori, Martin Detoeuf, Thomas Hostache, et Pauline Laplaige, tandis que des écrivains, designers, architectes, artistes viendront tour à tour prendre part à la réflexion d’ensemble, mais aussi fabriquer et échanger avec le public. Pour la clôture du Festival (18h - 19h le 24 septembre), une présentation finale restituera le travail réalisé. L’ensemble de ces maquettes et différents éléments (dessins, collages, création sonore) sera également rassemblé pour créer une œuvre représentant la ville de demain.
Dans ce cadre j’ai animé un atelier gratuit et ouvert à tous, le dimanche 24 septembre de 10h à 13h. Objectif : utiliser le réseau social à des fins de création littéraire.
« L’écriture par Twitter relève d’un détournement d’une technologie au profit d’un désir d’écriture, écrit Alexandre Gefen : celui de produire une théorie d’états d’âme une météorologie de l’humeur du lieu, un flux atomistique d’autant plus transitoire qu’il accepte de dissoudre sa propre voix dans le bruit immense de la présence textuelle numérique d’autrui. Cette discontinuité, qui interdit de constituer le texte en une nappe unifiée dont la lecture serait prévisible et maîtrisable, produit des fragments qui s’exposent et se détachent poétiquement de la temporalité énonciative globale, de la timeline sociale pour acquérir une portée expressive. »
Twitter est un livre. Sur Twitter on est à la fois le lecteur du livre (les personnes qu’on y suit, dont on lit les textes) et l’auteur de ce livre (le choix des personnes qu’on y suit, dont on lit les textes, détermine le texte qui s’écrit.
Chaque personne est un personnage. À mesure qu’on le suit, l’histoire qu’il raconte entre en interaction avec les autres personnages que l’on suit (et ceux que l’on ne suit pas) prend forme, avance, se construit progressivement.
Une histoire de trajectoire, de trajets individuels, chacun part de chez lui, les trajectoires vont se croiser, se nouer, se dénouer. Sauf que non, les trajectoires partent de plus loin, et elles sont aveugles. Tous parlent, bien sûr, ils tiennent tous leur rôle, ce ne sont pas des rôles, ce sont des vies, mais tous ne sont pas les narrateurs de ce texte. Un texte à plusieurs voix qui se relayent, inégalement, sans autre ordre que la nécessité du récit, la force d’inertie du récit, lancé comme le destin qui échappe à chacun.
Cet atelier propose d’utiliser le réseau social à des fins de création littéraire. À la question comment imaginez-vous le monde qui change ? nous essaierons de répondre collectivement, en partant à la découverte de la ville à livre ouvert.
Peut-on marcher en ville comme en un rêve éveillé ?
Inventer une ville n’est-ce pas la rêver ?
Si vous êtes ici où êtes-vous lorsque vous êtes ailleurs ?
Raconter la ville sous tous les angles et avec tous les tons et les sons possibles, dans une tentative d’épuisement du lieu, en composant un texte polyphonique à la forme éclatée.
Ce que l’on voit, ce que l’on perçoit en marchant, dans ce mouvement ambulatoire, cette déambulation parole errante, dire le flot des passants, les mots courant sous le flux des images, la ville défile sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor citadin si discontinu, petits bouts par petits bouts, c’est un détail, à partir de là une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants, une partie seulement, déjà un peu plus loin. On avance. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps, toujours un peu difficile de savoir ce que l’on ressent au juste, au fond, à l’intérieur tout va plus vite, pensées et situations parallèles, travelling avant et flash-back, silence on tourne, et toujours ce qui me regarde en paysages simultanés. On avance, on avance, c’est une évidence.
Mixage des lectures des participants à l’atelier du dimanche 24 septembre 2017 avec un montage vidéo réalisé la veille sur la Place de la Bastille.
Pistes d’écriture :
1. Écrire une suite de fragments de rêves et de manières de rêver, dans le désordre de leur venue.
« Rêver, étant endormi, est-ce avant tout voir des images et des scènes, est-ce avoir affaire à du visible, de l’audible ?
Pour moi, de tout temps, si j’excepte une lointaine époque, vers l’âge de six ans, où je subis des cauchemars, mes rêves furent pâles, sans couleur. Je n’y voyais guère, et n’y entendais pas grand-chose non plus… Semblable à quantité d’autres rêveurs de nuit, en rêve je ne proteste pas, m’habituant à l’instant à la situation, si impossible qu’elle soit, sans la rejeter, sans m’en évader.
En rêve, il semble que je n’ai toujours pas appris que je prends de l’âge. Je ne sais pas quel âge j’ai. Aucune référence à ce sujet, et ainsi suis-je ordinairement à mon réveil, sans âge. Toutefois, pas enfant, et plus qu’adolescent. Ce n’est pas plus précis.
Quoique depuis quelques années je n’utilise plus le rail pour mes déplacements, je me trouve invariablement en rêve dans des trains que pourtant dans la journée je ne prends plus. »
Henri Michaux, Le rideau des rêves, éditions de l’Herne, 1996 (extrait).
2. Les nuages dans le ciel forment d’étranges et fugitifs tableaux, en dresser l’inventaire.
1) Traces de dinosaures dans la boue le long des fleuves de laves parmi les cendres de sigillaires dévastées par la tornade, nuages.
2) L’horizon fait le gros dos comme un fauve tandis que les troupeaux dévalent parmi les haies dans les chemins creux mouchetés de touffes de laine, nuages.
3) Village de ruches parmi les ombelles au creux de la carrière abandonnée entre les tas de bûches qu’enlacent ronces, clématites et viornes au bord des tourbières, nuages.
4) Arène avec foule en chemises claires, chapeaux gris et noirs, éventails, mantilles, garçons passant plateaux de limonades et glaces, envols d’écharpes, fumées de cigares, nuages.
5) Villes avec dômes et flèches sur promontoires successifs battus par des raz de marée, séparées par de calmes baies et des rades resserrées avec ports et aéroports surmontés de phares et de tours de contrôle, nuages.
Mille et un plis (Matière de rêves 5) : 120 nuages, pp.341-342.
Anthologie nomade, Michel Butor, Gallimard, Collection Poésie / Gallimard, 2004.
3. Lieux de rêve :
Ce qu’on voit dans la rue : images, couleurs, sons, mouvements, personnes, bâtiments, véhicules…
Dans le mouvement déambulatoire de la marche, décrire ce que l’on voit, ce que l’on perçoit, le flot des passants, la foule des mots courant sous le flux des images, la ville défilant sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor discontinu, une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps ce que l’on ressent, pensées et situations parallèles, ce qui me regarde en paysages simultanés.
Mimer les articulations propre au rêve fait de condensations, de rapprochements et de raccourcis, en contribuant à la saisie d´un entre-deux dans de courts textes qui lient ainsi des espaces et des temps séparés.
« Kilomètres de conversation Rue fraîche Fraîche insensiblement On entre Ça sifle un peu Beaucoup de Vert d’un parc, mais Sombre Semelles de Circonstances Colle Bande passante vite Puces matière pied levé, arc »
Sombre les détails, Guillaume Fayard, Le Quartanier, 2005. 4. Le rêve des autres :
Le double rêve de Jacques Roubaud.
Dans cette même idée d’entrer en contact avec ceux qui nous entourent, qui comme nous font la ville en mouvement, auteur et lecteur de celle-ci, je vous propose d’expérimenter La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, de Jacques Roubaud, paru chez Gallimard, en 1999 : Une scène quotidienne brève, racontée avec la plus grande précision qu’il peut tenir dans un tweet. Et puis une deuxième version de cette même phrase à laquelle on ne transforme qu’un mot, un élément infime, un détail. Pour l’occasion, nous respecterons l’une des règles de la Twittérature qui consiste à écrire un texte en seulement 140 caractères (pas un de moins, pas un de plus). Et dans un deuxième temps, aller produire ces variations chez les autres, en retweetant leurs textes, en les modifiant comme suggéré ci-dessus, les tweets des autres participants.