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Sable et solde | 18

Comme une flamme en signe de conquête, mes rêves sont au monde.

J’ai vu apparaître en cette fin de semaine des petits bouts de papier un peu partout dans notre appartement à Paris, au début je n’y ai pas prêté attention, mes filles étant coutumières du fait, elles qui aiment se raconter des histoires (en chantant, en dansant, en dessinant des personnages et les plans des maisons dans lesquelles se développent leurs histoires, en notant leurs humeurs à géométrie variable, à droite, à gauche), mais ce qui d’habitude prend forme dans leur chambre et principalement sur la porte de leur chambre, s’était hier propagé à toutes les pièces et parfois les plus incongrues. Je trouvais ainsi des petits billets dans les toilettes (dans la bibliothèque comme sur l’armoire), dans la salle de bain (sur les rebords du miroir, près du lavabo, contre la vitre de la douche). Il y en avait un peu partout des petits papiers couverts de définitions et de schémas mathématiques, de faits historiques ou de données géographiques.

Je me suis rendu compte que moi aussi j’écrivais des mots sur de petits papiers. Tous les matins en partant travailler, je laissais les filles seules, l’une allant encore à l’école et l’autre restant à la maison, leur mère étant en ce moment en Corse, je communiquais ainsi avec elles, par le biais de ces petits signes en forme de clins d’œil, comme un sourire à distance, un petit rayon de soleil dans ce temps gris, un signe de vie comme un bref signe de la main, tendre baiser ou geste d’affection.

Et les messages se sont accumulés sur la table du salon.

Alice devant l’entrée du Lycée Turgo, rue Turbigo, à Paris 3ème

Ma plus grande fille, Alice vient donc de passer son Brevet des Collèges, ce qui explique les petits papiers de sa chambre à la salle de bain. C’est une étape. Pas tant ces épreuves, les résultats seront connus à partir du 8 juillet, mais ce n’est pas ce qui compte, aujourd’hui, à l’issue de son épreuve d’Histoire ce matin, Alice apprenait dans quel lycée elle suivra l’année prochaine sa seconde. Elle a demandé et obtenu le Lycée Turgot, rue Turbigo dans le 3ème arrondissement de Paris, où nous sommes allées ensemble, ce midi avec sa sœur, chercher le dossier administratif pour l’inscrire.

Laissez parler Les p’tits papiers À l’occasion Papier chiffon Puissent-ils un soir Papier buvard Vous consoler...

Lorsque j’ai découvert le travail photographique de Phil Grey sur le Bureau de Will Self à Londres, il y a deux ans, j’ai écrit un texte à partir de ces images en relation avec mes Lignes de désir, diffusé sur Remue.net.

La pièce de travail de l’écrivain Will Self à Londres est un chef-d’œuvre de chaos organisé. Le photographe anglais Phil Grey a capturé dans un montage de 71 photos un panoramique de cette pièce. Initialement conçu pour fonctionner comme un portrait à la Hockney de la pièce, avec les photos qui se chevauchent les unes et les autres, la version Internet de cette œuvre de Phil Grey est visible sur le site de l’auteur sous la forme d’un diaporama photo que je reproduis ci-dessous.



Tout ce qu’il voit dans la rue, les gens qu’il y croise, les pensées qui lui viennent en marchant, tout ce qui l’obsède ou tend à disparaître, il le note sur un petit bout de papier de couleur qu’il peut détacher aisément et coller sur le mur de son bureau, à son retour. Il le fait à chaque fois qu’il sort se promener, à chaque fois qu’il marche dans la ville à sa recherche. Il arpente les rues avec l’espoir de la retrouver, sans jamais y parvenir, mais il continue d’avancer, et tous les soirs en rentrant il colle sur le mur, qui se recouvre peu à peu de milliers de papiers, et n’est presque plus visible à force, les notes prises la journée. Par manque de place, il doit parfois recouvrir certains meubles de la pièce, les montants en bois de la bibliothèque, les lampes, les milliers de feuillets du texte en train de s’écrire, les post-it lui servent aussi de marque page, et la carte de la ville qu’il a punaisée au centre pour se repérer et enregistrer systématiquement les lieux explorés.

La ville habite la ville. Elle se décompose et se recompose en une série de textes, de plans de lecture, de niveaux de sens, de collages de fragments et de moments qui font d’elle un texte ou, mieux, une succession, une addition de textes superposés, un palimpseste. Des bouts de texte qui renvoient à des bouts de ville. Il aurait été possible de construire un texte entier qui aurait été l’évocation de sa vie à partir de ces cases, en faisant émerger de chacune sa kyrielle de souvenirs enfouis. La ville nous apparaît ainsi comme discontinuité, collection de faits et gestes, de paroles, de commentaires, d’images, tous plus ou moins disjoints, figés dans le moment de leur surgissement, leur enregistrement par tel ou tel passant comme autant de prélèvements sur le texte multiple de la cité-palimpseste. Un récit qui ne ferait rien d’autre que traduire leur présence tapie, cette manière d’hibernation en quoi ils s’étaient enfoncés.

Extrait des Lignes de désir, publié sur Remue.net.

Photographie Planche-contact du jeudi 28 juin 2012, à 18h20, Rue de la Folie Méricourt, Paris 11ème.

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