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Au lieu de se souvenir

Chaque jour, un film d’une minute environ, chaque lundi, la compilation du journal vidéo de la semaine précédente, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” »

Jorge Borges, Fictions

Couleurs, formes, images, collages, accidents s’inscrivent dans une dynamique du décloisonnement. Sans solution de continuité, comme un film où le montage fait alterner deux séquences que tout sépare. Combien de portes ? Je n’ai plus les clés. Le monde s’est ouvert à mes oreilles, transformant du coup ma perception de l’endroit où j’ai grandi et du monde en général. Et les itinéraires comme des passes, quand ont-ils acquis leur vertu magique ? Nommer, désigner, raconter sans un oubli. La porte est fermée, je suis devant la porte. Pas étonnant, depuis mois dehors ne m’intéresse pas.

Je m’accroche à des vues qui éraflent et fuient sans laisser un lambeau de tissu traçable. Pour remonter le temps suffit-il d’écouter un disque à l’envers ? Pour moi ne rien attendre et laisser venir. J’évite de cligner les yeux.

Secret renfermé d’interrogations, de trop de sensations, coïncidences troublantes, faisceau d’indices concordants propices à l’infinitif. L’après est aujourd’hui même, vide de sens. Tout devient sceptique, l’étriqué du trop humain en manque de symboles, comme le royaume du rare.

Mes rendez-vous sont reportés, la raison même de ma venue part en promenade. Je tente ce qui me tente quitte à perdre un temps fou. Couleurs à demi effacées, c’est tout ce qu’il reste. Les découvertes et leur légende. Je tarde à vider la clepsydre, à défaire mes souvenirs.

« Si j’écrivais un roman (Dieu m’en garde, j’ai des choses plus importantes à faire), je le construirais ainsi, en rhizome, en archipel, figures libres, interconnexions, hypertextes, car ça devrait être le fondement du récit contemporain. C’est une époque merveilleuse, vous savez : notre être peut se développer, comme le réseau qu’il a devant lui, en arbre, en végétal, en pente ou en fontaine. Nous pouvons devenir sauvages, croître, devenir multiples, innombrables. Internet n’est pas une interface, c’est notre désir réalisé d’être un autre, ce sont nos lignes de fuite incarnées. » [1]

Être dans le pli, chercher quelque chose qui pourrait expliquer pourquoi, comment. Ce que je vois ne suffit toujours pas. Ça ne suffit à personne à vrai dire. Comprendre que le réel n’est jamais à la hauteur de quoi que ce soit. Hauteur des promesses, de la faisabilité, des perspectives.

Revenir dans un souvenir déjà effacé. Je me souviens de la première fois. Le temps s’enroule à nouveau. J’établis la ponctualité que j’imagine. Ce n’est pas toujours vrai. Je prends le rythme et je le garde. Des fragments de temps. Instant d’arrêt, de temps suspendu. Ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître. Vous ne savez vraiment pas ce que c’est ?

[1Pierre Ducrozet, L’invention des corps, Actes Sud.


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