| Accueil
Au lieu de se souvenir (Semaine 48 à 52)

Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».

Jorge Luis Borges, Fictions


Sur Twitter, en réponse à Olivier Ertzscheid qui s’étonne de sa capacité d’écouter en boucle des heures ou des jours durant une chanson sans aucun effet de lassitude, Marc Jajah fait remarquer qu’il s’agit de la définition même du « zen » : percevoir le présent intemporel à l’intérieur même de ce qui ne cesse jamais de se transformer.

Étrange de se promener dans un quartier que l’on a beaucoup fréquenté il y a plusieurs années avant de ne plus y venir sans raison précise. En limitant ses venues au seuil de cette zone, demeurant toujours à proximité, à la frontière, sans jamais aller plus loin. Retrouver par hasard cet endroit au détour d’une promenade avec Caroline, une enclave isolée dans la ville, c’est un peu retrouver au milieu d’un livre un vieux marque-page oublié là il y a plusieurs années. Une carte postale, une carte d’électeur, un ticket de métro usagé.

Depuis plusieurs semaines, un dysfonctionnement de mon site provoque des remplacements intempestifs d’images. Dans de vieux articles publiés il y a près de dix ans, je retrouve des images d’articles diffusés il y a quelques mois. Ce phénomène est incompréhensible. Je ne peux que les remplacer au fur et à mesure par les images originales que je retrouve par l’intermédiaire du site Internet Archive (Wayback Machine). Je remonte ainsi dans le temps pour maintenir mon site au présent.

À la maison, en cherchant à ouvrir sur mon Mac le fichier du planning de nos plages de services publics à la bibliothèque, celui-ci s’ouvre avec Numbers le logiciel dont je dispose sur mon ordinateur. Sa présentation est différente, avec plus de couleurs, ce qui me surprend toujours. Je cherche mon prénom dans les colonnes de l’agenda. Un prénom attire mon attention, celui de mon collègue Alain, mais ce dernier est en arrêt longue maladie depuis plusieurs mois. Céline apparaît également. Elle a quitté la bibliothèque il y a plus d’un an. Je réalise alors qu’il s’agit d’un ancien planning sans comprendre comment cela est techniquement possible.

Ce geste que j’ai répété mentalement pendant des années, ne parvenant jamais à l’achever, le répétant encore et encore, même longtemps après avoir cessé de jouer au tennis, lancer la balle en l’air sans la quitter des yeux, le bras gauche levé dans sa direction, avant d’effectuer un arc de cercle avec la raquette, dans le dos tout d’abord puis montant pour frapper la balle au moment même où elle retombe, geste que je ne réussissais pas à visualiser dans sa vélocité première, aujourd’hui je ne parviens même plus à l’esquisser, à cause d’une tendinite.

Toujours difficile pour moi cette période de fin d’année, je manque d’entrain, je suis régulièrement malade. Le ciel est souvent bas, blanc, uniforme, quand il ne fait pas froid comme cette année, c’est humide et gris. C’est l’heure des bilans. Mais c’est également le mois pendant lequel je finalise les projets que je souhaite développer pendant l’année à venir. Je vais prolonger par exemple l’expérience débutée à l’occasion de l’atelier d’écriture de François Bon sur les carnets, pour mener à bien un journal quotidien. Le principe formel de ce journal sera très simple. Un paragraphe par jour, une section par semaine, pendant un an.

Chaque jour : Un texte composé de phrases qui décrivent la journée dans le désordre de leur surgissement, la variété des sensations, des émotions, des pensées en arrière plan, des interactions, des attentes et des remords, des visions qui m’envahissent au quotidien. Description de paysages, de lieux traversés, de souvenirs, bribes de rêves qui remontent à la surface, fragments de conversations entendues dans la rue, phrases lues dans les livres du moment et les journaux, descriptions de scènes de films vus le jour même, perceptions météorologiques, ciels et visages, silhouettes et vêtements, passage des saisons, ce qui me surprend, la relation souterraine et secrète du présent au passé, ce qui est invisible, incertain, éphémère, ce qui se déroule en même temps, dans une étrange synchronicité, ce qui disparaît à peine apparu. un déroulé d’instants, une succession d’images. une projection au ralenti de ce déroulé, où s’efface déjà ce qui n’avait pas d’importance.


LIMINAIRE le 19/04/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
Flux RSS Liminaire - Pierre Ménard sur Publie.net - Administration - contact / @ / liminaire.fr - Facebook - Twitter - Instagram - Youtube