« Celui qui saute dans le vide n’a plus de comptes à rendre à ceux qui le regardent. »
Jean-Luc Godard, dans sa critique de Montparnasse 19.
« Ce qu’Yves Klein met en place, écrit Camille Morineau commissaire de l’exposition du Centre Pompidou [1], est destiné à s’effacer devant le dialogue que le regardeur établit avec un au-delà, qui reste pour chacun à définir, et dont l’artiste se contente de proposer le principe, le moteur. »
Temps suspendu, plus dur sera la chute dans le temps le silence, un espace où les bruits s’éloignent. Ils racontent des histoires, des histoires de voyages des histoires racontées, vraies et fausses, tombé du ciel, c’est un secret le temps d’arrêt. Prouver son existence n’est pas toujours simple, ce qui dans la réalité résiste à la représentation. Théâtre du vide à la limite de la caricature hors jeu du grotesque, les murs sur lesquels nous grimpons ceux que nous escaladons que nous dressons. Saut dans le vide en nous dialectique à l’arrêt dans les vestiges de ce qui a déjà eu lieu, un coin de ciel bleu dans les vertiges de ce qui va s’accomplir d’inconnu nuit debout dans le noir et l’impatience à me souvenir de vous de vos mains, de vos silences
Dans le prolongement de son travail sur l’espace pictural, Klein s’attaque à l’espace tout court, c’est-à-dire à l’espace vide, ce qui précisera sa théorie de l’imprégnation.
L’espace intérieur de la galerie est entièrement peint en blanc, laissé vide, tandis que l’extérieur est orné de bleu de part en part : la vitrine, le rideau qui accueille les visiteurs, les cartons et les timbres des invitations, tout est bleu, jusqu’au cocktail offert par l’artiste, teinté de bleu de méthylène. L’espace blanc de la galerie peut alors être perçu comme contaminé par le bleu. L’artiste l’imprègne de sensibilité artistique par l’intermédiaire du bleu. Yves Klein présente une photographie de son travail le plus célèbre sur le vide Saut dans le vide, dans une fausse édition d’un journal fictif intitulé Dimanche, qui paraît le 27 novembre 1960. Le titre en première page du journal fait sensation : « Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! »
Comme l’artiste l’explique dans la légende qui accompagne la photographie prise à Fontenay-aux-Roses, il cherche par cette action à être au plus près de l’espace : « Pour peindre l’espace, déclare-t-il, je me dois de me rendre sur place, dans cet espace même... sans trucs ni supercheries, ni non plus en avion ni en parachute ou en fusée : le peintre de l’espace doit y aller par lui-même, avec une force individuelle autonome, en un mot il doit être capable de léviter ».
L’image du saut d’Yves Klein est un photomontage, l’artiste a vraiment sauté depuis le mur d’enceinte de la propriété, mais il était secondé au sol par des amis judokas qui maintenaient tendue une bâche pour le réceptionner.
Leur présence a été effacée de la photographie finale pour lui substituer une image de la rue avant le saut. Klein a réellement sauté pour expérimenter et s’imprégner des qualités immatérielles du vide, et les transmettre ensuite à ses œuvres.
Revenir aux certitudes du début, aux temps de la maîtrise. On ne sait jamais ce qui va arriver imprévisible attente, l’urgence de se battre de lutter dans la vie tous les jours, le chemin existe bel et bien vers notre démantèlement entre deux phrases sans dépenser la vérité dans des slogans nuit debout a chercher votre visage vous aviez des mots trop doux je ne connaissais que la rage [2] pour se rappeler comment aller, comment on va. Difficile de s’appuyer sur du fuyant, les ruines nous échappent. Ce que l’on retient, coïncidences et rencontres captures d’instants qui se juxtaposent racontent nos coïncidences et nos rencontres, notre cheminement dans l’image. Vivre le présent de son expérience, se sentir libre, voler.
[1] Camille Morineau, commissaire de l’exposition, in « Le Bleu, l’or et le rose : comment appropriation rime avec sublimation », catalogue de l’exposition
[2] La nuit debout, Philippe Djian / Stéphane Eicher