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Ah ! que le temps vienne / Où les cœurs s’éprennent

Le Rayon vert, film réalisé par Éric Rohmer en 1986, cinquième de la série « Comédies et Proverbes », illustre les vers extraits du poème « Chanson de la plus haute tour » d’Arthur Rimbaud : « Ah ! que le temps vienne / Où les cœurs s’éprennent ».



Ce film, tourné en 16 mm et couronné par le Lion d’or au Festival de Venise, reprend, d’un ton plus léger et dans un milieu plus modeste, le thème de Ma nuit chez Maud. Dans la filmographie de Rohmer, c’est le seul où il recourt à une musique de film (dans ses autres films, la musique utilisée pour le film est une reprise de divers sons enregistrés pendant le tournage de la scène en cours). Son scénario n’a pas été écrit, Rohmer demandant aux acteurs d’improviser sur un canevas lâche, et laissant ainsi le film se construire petit à petit. C’est pourquoi l’actrice Marie Rivière est aussi créditée en tant que scénariste.

Le titre est une allusion à un phénomène optique et atmosphérique : le tout dernier rayon du soleil, qui prend l’aspect d’un éclair vert, par temps clair au bord de l’océan. Pour l’observateur du phénomène, ainsi qu’un groupe de personnes qui en discutent dans une scène pédagogique du film, il serait ainsi possible de « lire dans ses propres sentiments, et dans les sentiments des autres ».

Philippe Demard, chef monteur, crédité au générique du film sous la poétique mention coucher de soleil raconte la vraie histoire du tournage de la séquence du rayon vert.

Plage d’Édenville, en Normandie, en aout 2012

Delphine (le personnage interprété par Marie Rivière) voit son projet de vacances en Grèce s’écrouler lorsque l’amie avec qui elle devait partir se décommande. Elle va chercher en vain une alternative qui la satisfasse. Tout en rêvant au grand amour et en se plaignant de sa solitude, elle se comporte au long du film de manière à renforcer cette solitude et à s’y morfondre. Elle suit un itinéraire initiatique où chacune de ses rencontres se présente comme une épreuve à surmonter. En effet, pour la sauver de cette solitude, chacun la pousse à renoncer à ce qu’elle est, une romantique qui croit au grand amour.

Coucher de soleil à Édenville, en Normandie, en aout 2012

À la différence du narrateur de Ma nuit chez Maud, Delphine serait sans doute bien en peine de citer Pascal. Ses vacances n’en seront pas moins une sorte d’itinéraire spirituel. Chacune de ses rencontres ressemble à une épreuve qu’elle doit surmonter. Car, pour la sauver de la solitude, chacun la pousse à se trahir elle-même. Mais Delphine pressent vaguement qu’elle doit rester fidèle à ce qu’elle est : une romantique qui croit au grand amour. Pour se guider, comme dans les jeux de piste, Delphine trouve des signes...

Jules Verne a écrit Le Rayon vert, en 1882, un roman où l’héroïne cherche à observer ce phénomène atmosphérique.

Le Rayon-Vert de Jules Verne

Voici l’une des dernières pages du roman :

« En ce moment, toutes ses pensées allaient d’elles-mêmes à Miss Campbell. Des périls qu’il avait courus, qu’il avait volontairement partagés, il ne se souvenait même pas. Ce qu’il se rappelait de cette nuit horrible, c’étaient les heures passées près d’Helena, dans cet obscur réduit, lorsqu’il l’entourait de ses bras pour la sauver de l’arrachement des lames. Il revoyait aux tueurs phosphorescentes la figure de cette belle jeune fille, plutôt pâlie par la fatigue que par la crainte, se dressant devant les fureurs de la mer comme le génie des tempêtes ! Il l’entendait répondre d’une voix émue : « Quoi, vous le saviez ? » lorsqu’il lui avait dit : « Je sais ce que vous avez fait, quand j’allais périr dans le gouffre de Corryvrekan ! » Il se retrouvait au fond de cet étroit abri, cette niche plutôt faite pour loger quelque froide statue de pierre, où deux êtres jeunes, aimants, avaient souffert, lutté l’un près de l’autre pendant de si longues heures. Là, ce n’était même plus Sinclair et Miss Campbell. Ils s’étaient appelés Olivier, Helena, comme si, au moment où la mort les menaçait, ils avaient voulu se reprendre à une vie nouvelle.

Ainsi s’associaient les idées les plus ardentes dans le cerveau du jeune homme, alors qu’il errait sur le plateau de Staffa. Quel que fût son désir de retourner près de Miss Campbell, une invincible force le retenait malgré lui, parce que en sa présence il aurait parlé peut-être, et qu’il voulait se taire.

Cependant, ainsi qu’il arrive quelquefois après un trouble atmosphérique brutalement amené, brutalement disparu, temps était devenu admirable, le ciel d’une pureté parfaite. Le plus souvent, ces grands coups de balai des vents du sud-ouest ne laissent aucune trace après eux, et redonnent à l’outremer de l’espace une incomparable transparence. Le soleil avait dépassé son point de culmination, sans que l’horizon se fût voilé de la plus mince couche de brume.

Olivier Sinclair, la tête bouillonnante, allait ainsi à travers cette intense irradiation, reflétée par le plateau de l’île. Il se baignait au milieu de ces chauds effluves, il aspirait cette brise marine, il se retrempait dans cette vivifiante atmosphère.

Soudain, une pensée – pensée bien oubliée au milieu de celles qui hantaient maintenant son esprit – lui revint, lorsqu’il se vit en face de l’horizon du large.
« Le Rayon-Vert ! s’écria-t-il. Mais si jamais ciel s’est prêté à notre observation, c’est bien celui-ci ! Pas un nuage, pas une vapeur ! Et il n’est guère probable qu’il en vienne, après l’effroyable bourrasque d’hier, qui a dû les rejeter au loin dans l’est. Et Miss Campbell, qui ne se doute pas que le soir de ce jour lui ménage peut-être un splendide coucher de soleil ! … Il faut… il faut la prévenir… sans retard ! … »

Olivier Sinclair, heureux d’avoir ce motif si naturel pour retourner près d’Helena, revint vers la grotte de Clam-Shell.

Quelques instants après, il se retrouvait en présence de Miss Campbell et des deux oncles, qui la regardaient affectueusement, tandis que dame Bess lui tenait la main.

« Miss Campbell, dit-il, vous allez mieux ! … Je le vois… Les forces vous sont revenues ?

– Oui, monsieur Olivier, répondit Miss Campbell, qui tressaillit à la vue du jeune homme.

– Je pense que vous feriez bien, reprit Olivier Sinclair, de venir sur le plateau respirer un peu de cette légère brise, purifiée par la tempête. Le soleil est superbe, il vous réchauffera.

– M. Sinclair a raison, dit le frère Sam.

– Tout à fait raison, ajouta le frère Sib.

– Et puis, s’il faut tout vous dire, si mes pressentiments ne me trompent pas, reprit Olivier Sinclair, je crois que, dans quelques heures, vous allez voir s’accomplir le plus cher de vos vœux.

– Le plus cher de mes vœux ? murmura Miss Campbell, comme si elle se fût répondu à elle‑même.

– Oui… le ciel est d’une pureté remarquable, et il est probable que le soleil se couchera sur un horizon sans nuage.

– Serait-il possible ? s’écria le frère Sam.

– Serait-il possible ? répéta le frère Sib.

– Et j’ai lieu de croire, ajouta Olivier Sinclair, que vous pourrez, ce soir même, apercevoir le Rayon-Vert.

– Le Rayon-Vert ! … » répondit Miss Campbell.

Et il semblait qu’elle cherchât dans sa mémoire un peu confuse ce qu’était ce rayon.

« Ah ! … c’est juste ! … ajouta-t-elle. Nous sommes venus ici pour voir le Rayon-Vert !

– Allons ! allons ! dit le frère Sam, enchanté de l’occasion qui s’offrait d’arracher la jeune fille à cette torpeur, dans laquelle elle tendait à s’engourdir, allons de l’autre côté de l’îlot.

– Et nous n’en dînerons que mieux au retour », ajouta gaiement le frère Sib.
Il était alors cinq heures du soir. »

À chaque fois que nous revenons en famille à Édenville, en Normandie, près de Granville, et que nous logeons avenue de la plage, à quelques mètres de la promenade verte qui surplombe le sable de la plage, difficile de ne pas aller chaque soir, comme pour accomplir un rituel secret, voir le soleil se coucher sur la mer. La plage est déserte à cette heure, belle et sauvage sous la lumière dorée et rasante du soleil qui se couche à l’horizon. Les premières années j’y allais systématiquement en quête du Rayon Vert. Cette année, comme lorsque j’étais allé en août dernier à Ouessant et avais pu admirer le ciel et ses couleurs changeantes j’ai retrouvé cette magie des ciels.

Ce soir là, il faisait un peu plus froid que jours les précédents, Caroline n’avait pas voulu rester très longtemps à cause du vent, mes filles sont venus jouer sur la plage pendant que j’observais le soleil se coucher. J’étais confiant, persuadé que cette fois-ci je ne manquerai pas de voir le Rayon Vert. Le ciel était bleu, l’horizon bien dégagée, et du vent en altitude.

Le rayon vert émeraude est alors apparu, fugace et a disparu presque aussi soudainement, lorsque le bord supérieur du disque solaire a effleuré l’horizon juste avant de se coucher. Cette petite tache lumineuse a duré à peine quelques secondes.

Ce phénomène de réfraction, qui ne se produit que lorsque l’atmosphère est extrêmement pure et qu’il y a très peu de particules pouvant créer de la diffraction ou dispersion, apparaît très rarement au lever ou au coucher du soleil.
Au moment de son apparition ou de sa disparition, le Soleil sembler vert à son sommet ou même diffuser un flash vert. Il est parfaitement possible de fixer ce phénomène sur une photographie, indiquant ainsi qu’il ne s’agit pas d’une illusion, mais c’est la meilleure façon de ne pas le voir.

L’année dernière, je l’ai vu.

Et cette année, je l’ai filmé.




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