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Même dans la mort c’est un sauvage

Découvrir par hasard sur Internet cet entretien de Gérard Depardieu à propos du Garçu de Maurice Pialat. « Le Garçu c’est simplement un testament pour son fils Antoine. » Entretien réalisé par Serge Toubiana le 30 avril 2003. Quelques mois après la mort du cinéaste. Et se sentir tout à coup happé par ce qui est dit et la manière avec laquelle l’acteur parle de son ami, du cinéma, de la maladie, de la mort, et des femmes.

« Et puis j’ai dit à Maurice, tu sais, il y a une chose qui est belle, c’est d’essayer, avant que l’enfant ne formule... le verbe, puisque le verbe est Dieu, et que d’un seul coup on a cette communication, c’est-à-dire qu’il n’y a que les pères ou les mères qui peuvent comprendre... le verbe. » Dans le flux de la parole une proposition s’ouvre et parfois rien ne vient la fermer. « Et je lui dis, tu vois ça ce serait beau ! Puis après lui il m’a mis là-dessus, il m’a dit : tu comprends, j’ai mon enfant qui… je suis vieux... Il verra pas. Je verrai pas ses vingt-ans…. »

J’essaye de saisir ce qui retient tant mon attention dans ces propos décousus de l’acteur (hors de toute promotion, et indépendamment du personnage public qu’il est). Ce qui attire et intrigue, ce sont ses silences, ses changements de tons, ses phrases interrompues, ses mots qu’il cherche avec une intensité rare, une tension, les mots qu’il oublie en cours de route, ses idées qui s’entrechoquent, l’émotion qui le submerge, ses rires et ses soupirs.

« Je lui dis, mais quelle importance, Maurice ! Il m’a dit : moi ça me fait mal ! Je lui dis oui, mais quelle importance du moment que... c’est lui qui compte, c’est pas toi... Alors, on a évoqué la possibilité de faire un film entre le malaise de cet homme qui va mourir avant les vingt ans de son fils et puis… l’énergie de cet enfant qui parle un langage et qui vont essayer de transmettre ensemble pour qu’il sache qui était son père. »

Serge Toubiana pose ses questions, sans qu’on le voit, de l’autre côté de la caméra, mais je ne les note pas, ce qui compte c’est sa présence discrète, son écoute amicale, ce micro tendu à l’acteur pour qu’il nous livre ses confidences. Rien d’obscène, d’indécent ou de complaisant.

« C’est tellement difficile de faire un film. Tellement ! » 

« Maurice était pour moi le plus grand. C’est lui qui m’a donné envie. Il m’a montré comment c’était simple de faire un film, et ça tu vois... Avec lui j’ai dit... Combien de fois il m’a dit écoute Gérard, dirige-le parce que moi je suis trop fatigué, je lui disais : mais non Maurice, t’es malade ! Alors il dit : on appelle qui ? Stevenin ? Je lui dis mais non, on va le faire, on n’a qu’à se reposer puis... on le fait. Et Toscan qui appelait, qu’appelait, qu’appelait, qu’était complètement malade, qui me dit mais qu’est-ce que vous faîtes ? Je lui dis : on mange des grenouilles !... (Rires). On mange des grenouilles, puis c’est bon. Mais enfin, il faut tourner !... Silence... Je dis : Maurice il est fatigué... Oui, mais tu comprends... Il fait chier !... ça coûte de l’argent !... Bah, oui, bah !... La Porte de l’enfer a été faite en trente ans, il y a eu quatre, cinq, six gouvernements qui sont passés... Commande d’état ! Faut savoir à qui tu as à faire ! Tu veux quoi ? Un artiste ?... Est-ce que tu penses que... Que les artistes sont des gens paisibles ? Aide-moi ! J’peux pas ! J’peux pas parce que d’abord faut que j’termine mes grenouilles... et puis que j’aime beaucoup la sauce !...

Dans leur luxueux pavillon de l’Ile Maurice, Gérard est de mauvaise humeur. Il se plaint de l’attitude de son fils, plus enclin à jouer avec le serviteur noir qu’avec lui. Le soir, il le console de ses terreurs nocturnes et veille sur son sommeil le matin. Au lit avec sa femme, il téléphone ce qui déclenche la colère de celle-ci. "Je vais m’en aller" prévient-il mais c’est elle qui lui demande de partir : "Tu es lourd, fatigant, j’en peux plus." Il part. Sophie reste seule avec leur fils, ils se baignent. Elle revient avec lui en bus Ils regardent dehors, on entend la musique de Bob Marley. Cette image de la mère à l’enfant, à la fois attendrie et souffrante, contraste avec l’apparente insouciance des jeunes enfants, vus au travers de la vitre qui jouent dans une cour d’école.



Raccord avec un bus de Paris. Gérard prend Antoine à la baby-sitter pour l’emmener dans son second appartement parisien en moto.

« Il n’est pas terminé le Garçu ! Il faut le remonter... Maintenant, va savoir si c’est comme ça qu’il aurait voulu le remonter... T’as bien vu comme il est ! Il est... Même dans la mort c’est un sauvage ! Il y avait un beau titre de Maupassant qui s’appelait : Hors la mort*, oui... Hors la mort, je crois. C’est ça, c’est un... Maurice il est comme ça. Et pourtant, tu vois, la dernière fois que je l’ai vu... Il me parlait... Encore... Réellement... Il me parlait... Dans la réalité... Il me parlait comme seul un poète peut parler...

Il faut le remonter. Le dialogue aussi. Le mettre en scène. Écouter sa musique, parcourir sa partition pour tenter

Il me parlait de moi, de lui... Il ne parlait pas de sa maladie.

Le film d’une extrême rigueur formelle avec ses plans soigneusement pensés et préparés, déroute par son organisation en une dizaine de blocs de séquences que l’on a du mal à situer les unes par rapport aux autres. Comme Gérard est privé de généalogie, Pialat semble vouloir se priver de chronologie. Après sa rupture avec sa femme sur l’île Maurice, Gérard revient souvent la voir et recommence éternellement une nouvelle histoire, une nouvelle rupture.

Il m’a dit : Si tu savais ce que les femmes... sont belles. Si tu savais ce que les femmes... ont peur... Elles ont peur de leur maternité, elles ont peur... Je lui dis : pourquoi tu me dis ça ?... Il m’a dit parce que... c’est la seule raison de vivre ! De faire attention aux femmes. »




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