Une des images que j’avais de Naples s’est ravivée sur place en découvrant tous les graffitis qui recouvrent les murs de la ville : les peintures d’Ernest Pignon-Ernest.
Hanté par les ombres laissées sur les murs, à Nagasaki et à Hiroshima, par les corps volatilisés, Ernest Pignon-Ernest a apposé, entre 1988 et 1995, des images peintes, dessinées, sérigraphiées sur du papier fragile, sur les murs, images qui se fondent dans l’architecture urbaine, sont acceptées par les populations qui les défendent même de leur dégradation lente (comme à Naples).
Ernest Pignon-Ernest décrit lui-même son œuvre comme une manière de saisir l’essence d’un lieu. Il puise dans l’histoire du lieu, dans les souvenirs, mais aussi dans la lumière, l’espace. Puis, il vient y inscrire une image élaborée dans son atelier. Cette image est en général le dessin d’une représentation humaine à l’échelle 1, reproduite par sérigraphie. Pignon-Ernest installe lui-même son œuvre dans la ville, durant la nuit.
« De par sa situation géographique, historique et littéraire, écrit Laurence Drummond, Naples est un lieu privilégié où se mêlent plus qu’ailleurs, dans la survivance des rites populaires, Réalité et Légendes. Ville clef de la Méditerranée, sise entre le Vésuve et la Mer, Naples porte trois mille ans de notre histoire et la marque profonde des multiples influences, païennes, religieuses et occultes qui fondent notre culture. Comme des étrangers au porche d’une ville imaginaire, nous sommes guidés par le désir qui anime Ernest Pignon-Ernest d’explorer le passé... de forcer les portes fermées des églises désaffectées où des chefs d’œuvre de l’Art baroque veillent dans la pénombre. Le film illustre de quelle manière Ernest Pignon-Ernest procède pour traduire la permanence des figures mythologiques... pour exprimer la valeur émotionnelle des peintures et sculptures baroques qu’il aime citer dans ses images... pour choisir les lieux précis où coller sérigraphies et dessins originaux. »
Les graffitis sur les murs de Naples revêtent tous un mélange de sentences drôles ou absurdes, de slogans politiques, d’inscriptions à caractères sexuels, le tout dans le plus grand désordre et l’esprit iconoclaste (allant même parfois jusqu’à s’afficher sur les murs ou les portes des églises, dans une ville pourtant connue pour sa piété). Mais le plus intéressant de ces interventions murales est le palimpseste que forment les affiches politiques et les tracts publicitaires, qui couvrent les murs et qui sont progressivement déchirés par les passants, abîmés par le temps, les intempéries, et les tags qui s’y mêlent, créant d’étranges et troublants tableaux.
Mimmo Rotella part pour Naples à la fin de ses années de collège et entreprend des études d’art. Revenu à Rome en 1953, il traverse une longue période de crise, durant laquelle il cesse de peindre, convaincu qu’en art, tout a déjà été fait. La découverte de l’affiche publicitaire comme moyen d’expression artistique et message de la ville est pour lui comme une révélation. Il commence à coller sur la toile des morceaux d’affiches déchirées et lacérées en 1955. Son travail exploite le « double décollage » (affiche arrachée de son support puis déchirée en atelier) et les arrières d’affiches. Avec la série Cinecittà (1958), il travaille sur les affiches de cinéma dont il isole visages et silhouettes.
Il réalise dans les années 80-90 des sur-peintures (sovrapitture) en intervenant picturalement sur des affiches publicitaires déchirées et collées sur toile et sur support métallique, sur lesquelles il trace des signes qui rappellent les graffitis.
En photographiant les murs de Naples, j’ai découvert le travail de l’artiste italien Žilda abandonnés en deux endroits de la ville, dont il restait quelques traces de l’éphémère travail.
La première peinture au tout début de notre séjour à Naples, dans la Pedamentina.
La seconde peinture était située près de la Piazza Bellini, dans une impasse, la Vico Costantinopoli : le pan de mur peint en rouge orange avait attiré notre regard de loin.
À la fin de notre séjour, passant à nouveau dans le quartier, nous découvrirons que l’œuvre a malheureusement complètement disparue. il reste heureusement quelques traces photographiques, et tous les souvenirs de ceux qui ont vu l’œuvre in situ.
« L’œuvre s’envisage comme métissage des pratiques et des matières, écrit Lubna S. pour présenter le travail de l’artiste italien Žilda dans ce tableau photographique où les frontières entre mise en scène et réalité sont déplacées. L’art de rue devient ce lieu où se mêlent peinture, scénographie et photographie. »
Žilda reprend à sa manière le mode d’intervention urbaine d’Ernest Pignon-Ernest, avec des thèmes proches de l’artiste français.
Sur l’ensemble des murs de la ville, c’est le travail d’un inconnu qui a surtout retenu mon attention, son pinceau qui dessine les visages de face ou de profil d’hommes ou de femmes, d’un trait sûr et délicat, évocateur, d’une grande beauté, parfois recouvert par des graffitis, caché par un amoncellement d’affiches qui, déchirées, en laissent apparaître le contour, nous invitant à compléter le dessin de ce visage comme celui de ces inconnus croisés dans une ville qu’on découvre, formant en eux-même le visage de cette ville.