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Les lignes de désir
Harry Callahan, Providence, 1984

La méthode de Harry Callahan était de se balader tous les matins dans la ville où il vivait pour y prendre de nombreuses photographies. Je fais de même. Je veux voir combien de photographies différentes je peux rassembler en jouant avec les variations d’une même idée. Et passer ensuite toute mon après-midi à faire des essais de tirage à partir des meilleurs négatifs que j’ai ai pris le matin. Au final, ne garder qu’une dizaine de clichés par an. Largement suffisant. Les scènes que l’on croise au détour des rues de la ville. À chaque fois, mettre l’accent sur les lignes et les formes ainsi que le contraste et la luminosité. Jouer aussi avec les techniques d’expositions multiples. Mon travail est une réponse très personnelle à ma vie. Photographier sa vie, c’est le meilleur sujet, mais sans jamais être sentimental. La photographie est une aventure, tout comme la vie est une aventure. Une longue réflexion sur les possibilités de la photographie dans une utilisation ludique, mais pas naïve.

Harry Callahan, Providence, 1984

Cela devient vite une habitude. On commence sans y réfléchir, attiré dans la rue par une démarche, une silhouette. On ne connaît jamais celle que l’on suit dans la rue, mais très vite on accorde le rythme de nos pas à sa démarche, on emprunte son chemin. Elle tourne à gauche sans raison, on l’imite quelques mètres après. Elle s’arrête devant la vitrine d’un magasin, on opère la même station, à distance, avec un temps retard, devant un autre magasin, sans jamais regarder vraiment ce qu’il y a derrière la vitre, car ce n’est ce qui est important. On veut la voir, c’est elle qui nous attire. La voilà qui s’éloigne déjà, on accélère le pas, sans se faire remarquer ni paraître insistant. Voir c’est devenir invisible. Notre vision de la ville est très limitée, seul le parcours effectué nous revient après coup, de retour chez soi, mais sur le moment on ne voit rien de la ville traversée. Elle n’est plus que fesses, jambes, nuque, longs cheveux bruns, bras le long du corps, mains et pieds liés.

Harry Callahan, Providence, 1984

Si une personne veut s’exprimer par la photographie, elle doit absolument comprendre sa propre relation à la vie. Tentative compulsive de donner forme à son expérience intérieure. La photographie se résume pour moi à être au bon endroit au bon moment, en fonction de mon humeur. En apparence très formelles, mes images ont en fait une puissance émotionnelle profonde. J’ai envie de revenir sans cesse aux mêmes idées, sachant qu’elles sont différentes tout en étant les mêmes. La ville, détails d’architecture, façades et trottoirs, essentiellement les passants, perdus dans leurs pensées, anonymes et sans repères, à Detroit, Chicago et Providence. « Quand je photographie une personne isolée dans la rue, c’est une façon d’éviter quelque chose. » Toujours la même façon de faire avec les gens qui passent, mais techniquement mon dispositif est recherché, il va de paire avec le sentiment d’une sorte de dislocation de la culture moderne, sensible dans ces multi-expositions aux écrans de télévision.

Les lignes de désir est un projet de fiction, un récit à lecture non-linéaire, un entrelacs d’histoires, de promenades sonores et musicales, cartographie poétique de flâneries anciennes, déambulations quotidiennes ou voyages exploratoires, récits de dérives aux creux desquels se dessinent les lignes de désir.


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